mardi 15 janvier 2019


NÉS POUR UN PETIT PAIN?

Quelques traits de psychologie collective chez les ouvriers canadiens-français

Daniel Paquet                                                              dpaquet1871@gmail.com

L’historien Gustave Lanctot a fouillé les données du Recensement du Canada de 1765; il les présente dans son Histoire du Canada; à l’époque environ 9,000 citoyens habitaient la ville de Québec.  Cette capitale, « la Vieille Capitale » selon l‘appellation courante aujourd’hui, avait été conquise par les Britanniques en 1760, sous les boulets destructeurs qui avaient réduit en cendres 80% de la ville.  Il aura fallu plus de 30 ans pour reconstruire celle-ci.  Peu de gens le savent maintenant.  Ce fut, pour  cette période, un effort colossal.  (Du Traité d’Utrecht au Traité de Paris, 1713-1763, Librairie Beauchemin, Montréal,  1966,  pp. 342-345).
Cet affrontement armé avait fait écrire à Voltaire dans Candide : « Qu’est-ce que ce monde-ci?  disait Candide sur le vaisseau hollandais. –Quelque chose de bien fou et de bien abominable répondait Martin. –Vous connaissez l’Angleterre; y est-on  aussi fou qu’en France? – C’est une autre espèce de folie, dit Martin.  Vous savez que ces deux nations sont en guerre pour quelques arpents de neige vers le Canada, et qu’elles dépensent pour cette belle guerre beaucoup plus que tout le Canada neNouvelle-France1760.jpg vaut. » (Voltaire, Candide, Larousse, Paris, 1990, p. 169).
(Reproduction Internet : conquérants britanniques en Nouvelle-France, 1760).

Deux siècles plus tard : 1960, la Révolution tranquille
De la société féodale, les Canadiens passent  à la Révolution industrielle du XIXème siècle.  L’indépendance américaine, le commerce métropole-colonial (fourrures et bois d’œuvre…) ajoutés à l’immigration de la Grande-Bretagne (Anglais, Écossais et Irlandais), les descendants des colons français qui cohabitaient avec les Amérindiens, se voient confrontés au partage du territoire avec les anglophones favorisés par leur statut de vainqueurs et une structure capitaliste.
Les Canadiens vivent sous la férule de l’Église catholique, qui tout en maintenant  unie la « nation », dans un cadre conservateur et passéiste, les livre poings et mains liés au patronat « anglais » en garantissant la paix sociale et l’embrigadement dans des institutions cléricales, y compris les syndicats, pour qu’ils n’enfreignent pas les normes imposées par le Capital.
Même si le peuple travailleur n’a pas accès à une éducation très développée, pour la majorité populaire, des idées novatrices et des constats s’imposent.  Avec Jean-Jacques Rousseau, dont le peuple ignore l’existence réelle, ils peuvent dire : « À prendre le terme dans la rigueur de l’acception, il n’a jamais existé de véritable Démocratie, et il n’en existera jamais. […] S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait démocratiquement.  Un Gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes. » (Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Larousse, Paris, 1973, pp. 69-70).
Retour_messe_minuit.jpgCe que l’on a retenu de ce peuple -qui devient le peuple canadien-français-, c’est son obéissance aux hommes de la soutane, aux hommes et aux femmes de Dieu.  Bien sûr, ce sont de joyeux drilles; ils aiment la bonne chère et la blague facile tout en sautillant sur les airs des « violoneux », dans les chantiers de bûcherons l’hiver; à coucher au sol la forêt.
(Reproduction Internet : retour de la messe de minuit, à Noël).
À ce moment-là, les sociologues et autres ethnologues ne se penchaient pas sur leur cas.  Ils travaillaient d’arrache-pied pour se constituer un pécule qui servira aux achats pour la « terre » à la fonte des neiges, lors du retour à la ferme au printemps.  Ils ne recherchaient pas le contact avec les « Anglais ».  Encore aujourd’hui, en 2011, dans certains coins du Québec (le Canada français du passé), les habitants se  nomment naturellement : nous, les Canadiens. 
Est-ce un effet de la conquête militaire, de la violence psychologique, d’un grand traumatisme ou de la douleur,- d’après les termes d’un collègue de travail, Mario Patry (aussi journaliste à la revue en santé mentale, Mentalité)-, toujours est-il que les ouvriers canadiens-français sont très prudents dans leurs contacts?  Il y a de la méfiance, surtout dans les discussions politiques, que l’on fuit d’ailleurs également par « ignorance » : j’sais pas, pas au courant!  L’exutoire : les matchs de hockey sur glace, sport national par excellence; alors là, les opinions les opiniâtres vont bon train.
L’action politique des ouvriers canadiens-français
Pendant les campagnes électorales, ils disent tous la même chose aux candidats des différents partis : « on va lire votre beau programme, bonne chance, on devrait voter pour vous… »  En réalité, ils pensent, pourvu que la crise passe au plus sacrant, qu’il y ait de « l’ouvrage en masse » et que la chicane des élections cesse!
Ont-ils peur des communistes?  Certes, les « persécutions » contre les catholiques, parce qu’ils sont toujours très croyants; raillés par des gens –trop souvent des extrémistes de gauche, y compris au sein du parti communiste-, ont meurtri leur âme.  Même si on ne voit plus que des têtes grises à l’église, ils se  sentent dénigrés et profondément blessés dans leurs convictions les plus intimes.  Dans certains cas, ils ne veulent plus rien savoir de la gauche, mais Dieu leur a appris à pardonner!
Toutefois, si un jour, par le plus grand des hasards, ils discutent, -alors là très très discrètement-, avec un communiste, au sujet de la vie en général;  ils peuvent lui dire tout d’un coup : bon assez jaser de politique, viens on va prendre une bonne bière et conte moi donc une blague comique!
AciérieSorel.jpgQuelques jours plus tard, solennel, l’ouvrier dira à ce communiste : « salut, président! »  Président de quoi? répliquera ce dernier.  – Les gars « à shop » (par exemple dans une aciérie près de Montréal), nous avons parlé et tu es maintenant le président.  –Oui, mais il n’y a pas eu d’élections. – On t’élit, on a nos règles, c’est tout.  Voilà, ce qu’a déclaré sans appel ce métallurgiste; repoussant, oui,  toute contestation.
(Photo Internet : aciérie à Sorel (près de Montréal).
Le lecteur comprendra qu’il y a quelque chose de trouble dans cette anecdote.  Mais la même histoire s’est répétée dans un grand atelier de soudure, cette fois dans Montréal.  Les ouvriers, surtout immigrants, ont fait comprendre au communiste que dorénavant, c’était lui le chef.
C’est une grande responsabilité; parce que pour ces ouvriers, c’est un choix politique qui est aussi un choix de vie.
Pour l’instant, les travailleurs canadiens-français sont conscients que le parti communiste boite, et qu’il n’a pas la force – inclusivement idéologique- pour présenter des candidats dans les 75 circonscriptions du Québec.  Aussi, il ne faut pas se surprendre que le soir avant les élections, qui ont habituellement lieu le lundi, les amis et les sympathisants des communistes téléphonent pour savoir pour quel candidat des autres partis ils doivent voter (car voter c’est important!).  Quant aux enjeux les plus déterminants, comme la séparation du Québec de la confédération canadienne, les débats se font, par exemple, dans la région de Québec, au sein des familles élargies.  Quels déchirements émotifs!  À Montréal, c’est assez similaire, même si les travailleurs sont moins dépendants de leur parenté.  L’instinct ouvrier : la volonté de préserver le couple uni; même si un jour, il faudra qu’il y ait changement dans la chambre à coucher…
La participation démocratique
Règle générale, que ce soit au sein des syndicats ou dans les partis politiques de gauche, les travailleurs élisent des délégués qui deviennent dans le premier cas : le gars ou la fille de l’union.   Il faut comprendre que ces derniers ont la responsabilité entière de défendre au quotidien les employés.
Et c’est du solide.  D’ailleurs, un ancien journaliste de la Société Radio-Canada, Bernard Drainville (maintenant député du Parti québécois, d’obédience nationaliste), s’était rendu dans un local occupé par les cols bleus de Montréal pour réaliser un reportage en direct. Il a d’abord interrogé un représentant syndical qui a répondu  à ses questions.  Insatisfait, le journaliste s’est tourné alors vers les ouvriers et a tenté par tous les moyens de tirer les vers du nez de ceux-ci.  Ils ont refusé de répondre.  Il a tout essayé.  Peine perdue.  Il a dû rendre l’antenne au chef du réseau.
Soyons clairs, l’indépendance du Québec, n’est pas le premier choix des ouvriers canadiens-français.  Ils sont encore ambivalents sur la question dépendamment de l’humeur chauvine des ténors racistes du Canada anglais; tout de même, ils veulent apprendre la langue anglaise.  C’est un atout pour eux.  Après tout, souvent quand il n’y a pas de travail au Québec, ils migrent vers l’Ouest canadien.  C’est vrai notamment pour les ouvriers de la construction.
Ils aiment bien voyager aux États-Unis et au Canada anglais lors des vacances estivales.  Comme tout bon Nord-américain, ils ne manquent pas la remise des trophées Oscar lors de la célébration des meilleurs films de l’industrie cinématographique tant états-unienne qu’étrangère.
(Reproduction Internet : le grand patriote canadien-français Louis-Joseph Papineau).
Pour ce qui est de l’avenir de la société, ils sont sûrement d’accord pour dire avec Karl Marx : « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer. » (Marx-Engels, L’idéologie allemande, Thèses sur Feuerbach, Éditions sociales, Paris, 1968, p. 142).
Papineau-2.jpgLes lecteurs étrangers seront peut-être intéressés de savoir que les descendants des colons qui ont vécu au Bas-Canada (ancien nom du Québec), ont eu un héros national.  Il s’agit de Louis-Joseph Papineau, né à Montréal (1786-1871), qui « défendit les droits des Canadiens français et fut l’un des instigateurs de la rébellion de 1837 ».  (Dictionnaire encyclopédique pour tous, Petit Larousse illustré, Paris, 1978, p. 1585).
Dans le parler populaire, lorsqu’on s’adresse à une personne qui ne saisit pas le bon sens ou encore qui manque de jugement, on l’interpelle en affirmant : « mais ça ne prend pas  la tête à Papineau pour comprendre ça! »  Eh oui, c’était un homme brillant…  C’était un grand démocrate libéral.
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