jeudi 29 novembre 2018


Comprendre le blocus contre le Venezuela : le vécu et les faits (1/2)





Première partie : le vécu.


Au mieux la guerre économique et le blocus financier contre le Venezuela sont généralement invoqués comme un détail sans importance ou une invention du gouvernement, au pire, et dans l’extrême majorité des cas, elle est complètement passé sous silence. Il ne s’agit pas ici de faire une révision exhaustive des politiques économiques de la Révolution Bolivarienne. Si la majorité d’entre elles ont eu un apport bénéfique pour le pays, certaines ont pu être ponctuées d’erreurs, et ont pu avoir des conséquences dans la crise économique que traverse actuellement le pays.


Cependant, il est indéniable que les manœuvres et les sanctions contre l’économie vénézuélienne ont un impact prédominant dans la situation économique actuelle. Et aujourd’hui, il est impossible d’analyser objectivement la situation au Venezuela sans passer par une étude minutieuse du blocus financier et de la guerre économique.


Ces sanctions ne sont pas propres au Venezuela. Elles proviennent d’un arsenal de mesures économiques déjà mis à l’épreuve dans le Chili d’Allende mais aussi actuellement à Cuba, en Russie ou en Iran pour ne citer que quelques exemples. Même s’il existe quelques rares articles en français sur ce sujet, ils sont assez complexes et ne parviennent que trop rarement à expliquer une situation difficile à s’imaginer pour tout un chacun.


C’est ce que nous tenterons de faire ici. C’est pourquoi, cher lecteur, j’ai décidé exceptionnellement de te tutoyer. Parce que je vais parler de toi. Ou plutôt, je vais prendre un exemple de ta vie quotidienne pour essayer de t’expliquer ce que représente la guerre économique contre le Venezuela. La première partie de cet article (« Le vécu ») tente de te faire imaginer ce que serait ta vie si les mesures prises contre le Venezuela s’appliquaient à ton quotidien. Ensuite, dans une deuxième partie (« les faits ») nous établirons une chronologie du blocus contre le Venezuela pour imposer des faits aux opinions particulières.


Alors ferme les yeux et imagine toi dans la peau d’un pays en guerre économique (c’est une invitation à te transposer, rouvre les yeux sinon tu ne pourras pas lire le texte).









Cher lecteur,


Comme chaque français, ta journée commence par l’achat d’une baguette de pain. A peine réveillé, tu fonces à la boulangerie pour acheter le sésame qui marquera véritablement le lancement d’une nouvelle aventure quotidienne. Tu le fais même avant de dire bonjour à tes enfants, car tu sais très bien que le bisou matinal de tes gosses n’est pas le même si il est, ou non, accompagné de la bonne odeur du pain chaud.


Un matin, tu te lèves comme tous les autres jours, et tu vas à la boulangerie en bas de chez toi. Un rituel habituel. Cela va de soi.
« Bonjour Sylvie. Comment vas-tu ? » Après tant d’années, tu la connais bien ta boulangère. Elle fait presque partie de la famille. Mais aujourd’hui, en regardant son visage lorsque tu es rentré dans son commerce, tu sens qu’il y a quelque chose qui cloche.
« Écoute, je suis très embêtée, mais je ne vais plus pouvoir te vendre du pain.
Surpris et interloqué, tu réponds du tac au tac : « Comment ça ? C’est une blague ?
- Non, désolé. Les fournisseurs de farine nous ont prévenus. Si nous te vendons du pain, ils ne nous livreront plus de farine. Tu comprends que ce n’est pas négociable.
- Et bien tu perds un client et un bon ».
Très énervé, tu sors de ta boulangerie. Qu’à cela ne tienne, tu iras dans une autre. Ce n’est pas les boulangeries qui manquent dans le quartier.
Sauf que tu vas déchanter très vite. Tous les vendeurs de pain du quartier te tiennent le même discours, et toutes celles de ton arrondissement. Le premier jour tu rentres chez toi, sans pain.
« Papa, tu n’as pas acheté de pain aujourd’hui » te demande le plus jeune de tes enfants.
- Non, pas aujourd’hui, grommèles-tu avant de disparaître dans ta chambre.


Le lendemain et les jours suivants, tu te rends compte que la chose est sérieuse. Non seulement aucune boulangerie de la ville ne veut te vendre du pain, mais ce refus est tout aussi catégorique dans les boulangeries du département et de la région. Assez rapidement, tu comprends que les 35.000 établissements de vente de pain présents sur le territoire national ont répondu aux exigences des fournisseurs de farine et de leurs actionnaires. Aucun d’eux ne te vendra de pain. Pour trouver une baguette, il va falloir désormais te lever tôt car même au niveau de l’Union européenne, impossible de trouver une boulangerie qui accepte de te vendre directement ses produits. C’est quand même le comble, tu as de l’argent pour acheter mais personne ne veut te vendre.


Evidemment, c’est toute ton organisation quotidienne qui va s’en trouver chamboulée. Après de grandes recherches, tu as réussi à trouver une boulangerie qui fait des bonnes baguettes. Elle veut bien te vendre du pain. Petit problème, elle est au Vietnam. Avec le cout du transport, ça te revient plus cher. En plus, la baguette, n’est pas la même que chez nous. Comment y remédier ?


Pour essayer de contourner ce système, tu avais dégoté un importateur qui achète du pain dans une boulangerie en Pologne et le transporte jusqu'à chez toi. Mais cette solution n’est pas idéale. D’abord le type se sucrait une bonne commission au passage, mais en plus les fournisseurs de farine et leurs actionnaires ont fini par repérer son manège, et l’ont sanctionné. Désormais, il pourra toujours continuer à faire son métier mais ne pourra plus importer du pain. Quand à toi, c’est retour à la case départ. Tu dois encore chercher un autre importateur, qui vu les risques encourus, va prendre une commission encore plus grosse. Cela ne peut pas être une solution quotidienne et tu ne l’utilises que vraiment exceptionnellement. En plus, pour les payer il fallait inventer tout un tas de stratagèmes, car les virements d’argent pour payer l’importateur étaient, soit refusés par les banques, soit l’argent transféré était congelé pendant des mois, et nombreux étaient les importateurs qui se fatiguaient de travailler dans ses conditions.







Chez toi, comme tu peux l’imaginer, l’ambiance est délétère. Tout le monde souffre de la situation et aimerait un retour à la normal, pouvoir faire un petit déjeuner avec du pain et des croissants…comme avant.


L’autre jour tu t’es engueulé avec ton fils cadet. Il t’a accusé de ne pas te remuer assez pour ramener du pain. Toi, évidemment ça t’a énervé vu que tu passes le plus clair de ton temps à essayer d’en trouver. Ça déteint sur ton travail d’ailleurs. Car ne pouvant te dédoubler, tu peines à concilier ton activité professionnelle d’artisan avec des recherches qui empiètent sur ta routine quotidienne. Du coup, tu es moins efficace. C’est un cercle vicieux.


Ta fille ainée en a eu ras le bol. Elle est partie vivre à Montréal dès qu’elle a eu obtenu son diplôme d’ingénieure agronome. Chez nos cousins québécois, il y a beaucoup de boulangers et de fils de boulangers français. Elle trouve du pain. De temps à autre, elle t’en envoie par la Poste. Quand il arrive, il est souvent rassis et dur comme de la pierre. Tu en fais du pain grillé et lui envoie une photo de ton petit déjeuner par wasapp. Tu souris sur la photo mais c’est un peu forcé. L’autre jour, par téléphone, tu lui as fait remarqué que tu ne cherches pas l’aumône mais juste pouvoir acheter ton pain normalement.


« Tu comprends rien, papa. Je fais tous les efforts pour vous envoyer du pain. Je ne travaille pas comme ingénieure ici, je fais des petits boulots. Même moi, je ne mange pas de baguette tous les jours car j’ai plein d’autres choses à payer.
- Si tu ne manges pas de pain tous les jours, pourquoi tu ne reviens pas, lui as tu répondu.
Elle t’a raccroché au nez. Décidément, vous n’êtes plus sur la même longueur d’ondes. Chacun voit la difficulté de sa réalité quotidienne depuis ses propres perspectives. Le dialogue est difficile, conséquence tragique de la pression exercée par les producteurs de farine et leurs actionnaires.


Face à la complexité de la situation, tu décides de changer ton fusil d’épaule. Si c’est si difficile d’acheter du pain, alors tu vas le faire. Tu te décides à acheter un terrain où tu feras pousser du blé en quantité suffisante, tu le récolteras, le transformeras en farine, et tu feras ton pain.


Sauf que, si tu avais suffisamment d’argent pour acheter une baguette par jour, c’est toute une autre affaire pour te lancer dans cette aventure. Il va falloir que tu demandes un prêt. Qu’á cela ne tienne, ce n’est pas la première fois. Ta voiture, ta maison, la construction de ta cuisine, tu as fais tout cela à crédit. Mais alors que tu les as toujours remboursés rubis sur l’ongle et dans les temps, tu apparais dans le Fichier National des Incidents de Remboursement des Crédits aux Particuliers. Il n’y a aucune explication rationnelle, á moins de suspecter que les producteurs de farine et leurs actionnaires soient de mèche avec ceux qui établissent ce fichier. Tu as beau démontré que tu n’as jamais eu de retard de paiement, aucune banque ne veut te prêter de l’argent. C’est rageant.


Quand finalement tu réussis à trouver un établissement bancaire qui veuille bien t’octroyer un crédit, les taux d’intérêts qu’il te propose sont ahurissants. Tu te dis, encore une fois, que ce n’est pas juste. Ton voisin, qui vit à crédit, et a remboursé les banques exactement dans le même temps que toi, bénéficie lui de l’autorisation de prêts à des taux d’intérêts abordables.


Une fois acheté le terrain, il faut encore investir dans des semences, de l’engrais, du matériel agricole, des moissonneuses-batteuses, des aspirateurs, des sasseurs, des trieurs, des broyeurs, des mélangeuses. Il te faudra des pièces de rechange aussi, si ça pète. Et puis, une fois que tu auras ta farine, pour faire ton pain, il te faudra un four, une couche, un pétrin (et pas celui dans lequel tu te trouves).


C’est un gros investissement. En plus, les producteurs de farine et leurs actionnaires veillent scrupuleusement à ce que tu ne rentres pas dans cette activité et font pression sur tous les vendeurs de matériels agricoles et de boulangerie.


Mais le plus difficile, c’est que tu n’as jamais fait ça de ta vie. Pour avoir ton pain, il faut te lancer dans une aventure qui t’est complètement étrangère. Ta fille aurait pu t’aider, elle est ingénieure agronome. Mais elle est partie à Montréal. Il faudra donc que tu commences de zéro, tout seul, et tu feras certainement toutes les erreurs que commettent les novices en la matière. Bref, tu décides malgré tout de te lancer mais le résultat ne sera certainement pas palpable demain.


Comme si la situation n’était pas assez complexe, un matin tu vas au travail et tu découvres que plusieurs de tes clients habituels ont annulé leurs commandes. Tu leur téléphones. Ils te disent tous la même chose. Les producteurs de farine et leurs actionnaires les ont menacés de sanctions et de représailles, s’ils continuent de travailler avec toi. Non content de t’empêcher d’acheter ton pain, ils veulent désormais te ruiner pour être sûr que tu n’arriveras pas à contourner leur manœuvre.







C’est dans ces moments là que se retrouver entre amis permet de décompresser. Ah les amis, parlons en ! La plupart d’entre eux venaient prendre le petit déjeuner chez toi depuis des années. Au début de ton calvaire, certains ont continué à venir. Mais la première fois, tu leur as servi de la cervelle avec le café. Ils ont quand même gouté en esquissant plein de grimaces. La deuxième fois, ils sont venus mais n’ont pas mangé. Et puis avec le temps, ils ne viennent plus. Les rares copains qui ne t’ont pas lâché t’ont informé que plus personne ne parle de toi dans le groupe. Tu es devenu un tabou. Quand certains ex-amis parlent de toi en mal, qu’ils soutiennent que tu es un abruti, incapable de fournir une baguette de pain à tes gosses, un murmure traverse systématiquement les copains présents. S’ensuit un silence gêné et tout le monde passe á autre chose. Tu es devenu gênant pour l’harmonie du groupe. A la trappe, on n’en parle plus.


Tu te dis qu’ils pourraient agir, que cette situation pourrait leur tomber sur le coin du nez un jour ou l’autre. Ils pourraient organiser un boycott des producteurs de farine, faire connaître ta situation, peser de tout leur poids pour que l’on te ré-autorise à acheter du pain. Et puis, à quoi bon ? Tu as juste désormais beaucoup plus d’estime pour ceux qui continuent à te rendre visite pendant le petit déjeuner.


L’autre jour, quelqu’un a sonné chez toi. C’était tard le soir. Tu es sorti pour voir de qui il s’agissait. Un type était planté devant toi. La lune éclairait sa silhouette, laissant deviner un homme assez grand. Tu n’as pas distingué son visage, caché sous une capuche. A ses pieds, était posé un gros sac.
« Bonsoir. On m’a dit que vous cherchiez à acheter du pain, te dit-il en te révélant le contenu de son sac qui regorgeait de baguettes, de pains de campagne et autres viennoiseries.
Ton visage s’est illuminé. « Combien la baguette ? » lui demandes-tu en essayant de ne laisser transparaitre aucune émotion.
« 90 euros. Pour le pain, c'est 130 euros. 25 le croissant, et…. »
Tu le coupes d’un ton sec et d’un geste de la main : « C’est bon, ça ne m’intéresse pas, c’est trop cher »
Le type a remballé sa marchandise et s’en est allé dans la nuit en te glissant « je repasserai ».


Ta première réaction a été de vouloir lui mettre ton poing dans la gueule. Et puis, tu es revenu à la raison. Non seulement le type semblait être plus fort que toi, mais en plus peut être qu’un jour tu seras quand même contraint de lui acheter une baguette. Donc tu t’es ravisé. A chaque fois que tu y repenses, ton sang bouillonne. C’est révoltant, c’est injuste. Mais pourquoi donc la police n’arrête-t-elle pas ce délinquant ?


En y réfléchissant bien, peut-être que si tu étais policier, tu négocierais une baguette de pain pour fermer les yeux sur son trafic. Peut-être même que si tu étais directeur d’un hôpital ou d’un établissement scolaire, tu détournerais le pain des patients et des enfants pour le bouffer ou pour le vendre à ton tour. Peut-être, peut-être…ou peut-être pas, parce que tu crois encore dans certaines valeurs morales et solidaires, mais tout le monde n’est pas comme toi.


Quoiqu’il en soit cette situation t’a changé, tu ne penses plus pareil. La volonté de sortir de cette galère quotidienne t’amène à imaginer des scénarios auxquels tu n’aurais jamais songé avant. C’est même devenu obsessionnel. Tu commences à concevoir tes relations avec les autres et avec le monde alentour au prisme de la situation délicate que tu dois affronter. Les répercussions que cela engendre sont terribles et contribuent à déstructurer les normes qui régissaient le lien que tu entretiens avec la société.


Ta situation n’étant pas « normale », il t’est difficile de penser un ensemble de solutions qui s’avèreraient de bon sens ou rationnel dans un contexte ordinaire. Il te faut sans cesse inventer, contourner les règles et normes établies. Comme tu avances en territoire inconnu, tu commets quelques erreurs. Les réparer fait surgir d’autres obstacles.


Tu es beaucoup plus à fleur de peau, et tu réagis au quart de tour. Tu es un peu parano aussi, tu as l’impression que la terre entière t’en veut. Ce qui n’est que partiellement vrai, car seulement une partie de la terre t’en veut ; mais alors, elle t’en veut à mort. Elle t’en veut pour être ce que tu es, pour l’identité que tu dégages fièrement. Donc tu es devant un dilemme, soit tu jettes l’éponge mais ça, ce n’est pas toi. Soit tu persistes à reconstruire une normalité depuis une situation anormale, et cela n’a rien d’aisé.






Pour te détendre un peu, tu décides de regarder la télé. Ô surprise, toutes les chaines parlent de toi. Tu as beau zapper, elles racontent toutes la même chose, tout comme la presse, les magazines et les radios. Des dizaines d’experts se succèdent à l’écran pour dire que « tu es un incapable », se lamentent sur le sort de tes « pauvres gosses qui ne peuvent pas manger de pain ». « Salaud » te crie un professeur d’Université depuis un plateau télé, « si tu n’a pas de pain, achète de la brioche ». Tu ne comprends pas ce déferlement de haine, tu ne l’as pourtant jamais vu ni connu auparavant.


Bien évidemment, aucun de ces commissaires médiatiques ne mentionnent la guerre que te livrent les fournisseurs de farine et leurs actionnaires. La seule fois où tu as entendu un éditorialiste la mentionner du bout des lèvres, c’était pour ajouter dans la foulée que « cette soi-disant guerre te sert de prétexte pour justifier ton incapacité à donner une tartine à ses gosses ». Tu as manqué de t’étrangler de rage. Si tout ce que font les producteurs de farine et leurs actionnaires pour te nuire ne fait que t’avantager, pourquoi donc n’arrêtent-ils pas leur manège?


Ceux qui osent encore venir prendre le petit déjeuner avec toi et ta famille sont systématiquement dénigrés, vilipendés et insultés par les médias. Ceux qui ne viennent plus aussi, ce qui, il faut l’avouer, te fait bien rire.


Dans le quartier, tout le monde regarde la télé mais tu n’es pas devenu totalement un paria. La majorité des gens s’en foute de ta situation car ils sont déjà préoccupés par la leur, certes différente mais néanmoins difficile. S’ils connaissaient ton cas, tu es sûr que cela les révolterait. Surtout que ceux qui s’acharnent sur toi font partie de la même caste qui a rendu leurs vies compliquées.


Beaucoup dans ta situation se seraient arrêtés pour pleurer sur le bord de la route. Mais ce n’est pas ton genre. Avec le temps, toutes ses attaques te renforcent dans tes convictions, ta dignité n’est pas négociable, tu ne lâcheras rien.


Voilà, maintenant que tu t’es mis dans la peau de ce personnage, que tu te l’es approprié, que tu as commencé à te demander comment tu ferais concrètement pour avoir du pain, alors maintenant seulement, on peut commencer à parler du Venezuela.



Prochaine partie : les faits.

vendredi 23 novembre 2018



Donald Trump, l’assassinat de Jamal Khashoggi et... l’Iran

« Le monde est un endroit très dangereux ! » · Quelques réflexions sur la déclaration de Donald Trump concernant l’assassinat de Jamal Khashoggi, alors que le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman s’apprête à se rendre au sommet du G-20 à Buenos-Aires à la fin du mois.
traductions:
français
فارسىRELATIONS INTERNATIONALES > POLITIQUES > ALAIN GRESH > 21 NOVEMBRE 2018


Donald Trump et Mohamed Ben Salman dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, 14 mars 2017.
Shealah Craighead/The White House


Le président américain Donald Trump vient de rendre publique une déclaration sur l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi. Sa tache était d’autant plus difficile que le Washington Post avait divulgué des informations selon lesquelles la CIA était convaincue de la culpabilité du prince hériter saoudien Mohamed Ben Salman (MBS) dans ce crime, ce que confirment toutes les informations rendues disponibles par la Turquie. Ce texte de Donald Trump est un cas d’école. On hésite sur la manière de le qualifier : cynisme, arrogance, mépris de la vérité, mais une chose est sûre, il fera date dans les annales de l’histoire de la diplomatie.

Le titre d’abord : « Le monde est un endroit très dangereux ! » sert, dès le départ, à déplacer le problème qui n’est plus l’assassinat barbare de Khashoggi, mais... l’Iran. C’est d’ailleurs contre ce pays que débute la diatribe du président américain : « L’Iran est responsable d’une guerre sanglante par procuration contre l’Arabie saoudite au Yémen, qui tente de déstabiliser la fragile tentative de démocratie de l’Irak, soutient le groupe terroriste Hezbollah au Liban, soutient le dictateur Bachar Al-Assad en Syrie (qui a tué des millions de ses propres citoyens), et bien plus. De même, les Iraniens ont tué de nombreux Américains et d’autres innocents dans tout le Moyen-Orient. L’Iran déclare ouvertement, et avec une grande force : "Mort à l’Amérique !" et "Mort à Israël !" L’Iran est considéré comme "le premier sponsor mondial du terrorisme". »

On pourrait rappeler bien des faits que le président semble oublier : que c’est l’Arabie saoudite qui a déclenché la guerre contre le Yémen ; que c’est l’intervention américaine en Irak qui a déstabilisé le pays ; que, si les Iraniens ont tué des Américains, ces derniers ont mené une guerre permanente contre leur pays ; que ce sont les États-Unis et Israël seuls qui considèrent l’Iran comme « le premier sponsor du terrorisme », etc. Mais nous savons que le président américain n’est ni un connaisseur de l’histoire de la région, ni un expert en géopolitique. On peut cependant insister sur un point : à l’heure où Trump tente de mobiliser le monde arabe et Israël contre l’Iran, un pays qui symboliserait « le Mal », il aura du mal à se réclamer d’une quelconque « supériorité morale » sur son adversaire s’il entérine la politique saoudienne. Même s’il sait pouvoir compter sur les cercles pro-israéliens à Washington et sur le gouvernement de Tel-Aviv qui ont été, depuis deux mois, les plus fermes soutiens de MBS.

Or c’est ce qu’il fait tout au long de son texte. Il affirme ainsi, contre toute vraisemblance, que l’Arabie « se retirerait volontiers du Yémen si les Iraniens acceptaient de partir ». Il est inutile de revenir longuement sur ce mensonge, sur la manière dont l’Arabie et ses alliés ont déclenché une guerre d’agression, détruit le pays, visé les civils, affamé sa population. Ni sur le fait que l’implication réelle mais limitée des Iraniens au Yémen est venue en réponse à cette intervention, les houthistes se cherchant des alliés.

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Mais Trump se veut « réaliste », soucieux des intérêts économiques des États-Unis. Il insiste sur le fait que l’Arabie saoudite aurait accepté, après sa visite à ce pays en 2017, d’acheter pour 450 milliards de dollars (395 milliards d’euros) de produits américains, dont 110 (96 milliards d’euros) en matériels militaires. Mais tous ces chiffres ont été gonflés, la presse américaine l’a démontré à plusieurs reprises. Ils incluent des contrats signés sous la présidence Obama, comme de simples déclarations d’intention. Et Trump a aussi avancé des chiffres fantaisistes sur le nombre d’emplois que cela représenterait pour les États-Unis, allant jusqu’à un million — toute l’industrie de l’armement emploie moins de 400 000 personnes ! Fake news comme dirait Trump. Et même ces chiffres justifient-ils un appui inconditionnel à Riyad ?
« NOTRE PAYS N’APPROUVE PAS » CE CRIME

Il est significatif que le jour même où Trump faisait cette déclaration, Human Rights Watch révélait, dans un communiqué, que des actes de torture avaient été pratiqués contre les Saoudiennes arrêtées récemment — pratique il est vrai courante dans le royaume. Qu’importe toutes ces bavures, du moment que l’Arabie est « notre alliée » contre l’Iran, pays auquel le président américain a décidé de déclarer la guerre ! Comme le disait le président Franklin D. Roosevelt à propos du dictateur nicaraguayen Anastasio Somoza, « c’est peut-être un fils de p..., mais c’est notre fils de p... » Et on se souvient du soutien des États-Unis au régime du chah en Iran.

C’est dans cette perspective que Trump analyse le crime contre Khashoggi : « Notre pays ne l’approuve pas. » Ne l’approuve pas ? Un peu faible comme condamnation. Et Trump reprend ensuite les allégations de Riyad selon lesquelles Khashoggi « était un "ennemi de l’État" et un membre des Frères musulmans », des mensonges qui servent à atténuer la portée du crime commis. Et quid de la responsabilité de ce crime ? Là on touche au sublime : « Le roi Salman et le prince héritier Mohamed Ben Salman nient vigoureusement avoir eu connaissance de la planification ou de l’exécution du meurtre de M. Khashoggi. Nos services de renseignement continuent d’évaluer toute l’information, mais il se pourrait très bien que le prince héritier ait eu connaissance de cet événement tragique — peut-être qu’il l’a fait et peut-être pas ! »

Car Trump ne peut pas nier ce qui a fuité dans la presse américaine : la CIA est convaincue de la responsabilité de MBS, mais le président américain la traite comme un détail qui ne doit pas menacer les relations avec l’Arabie. « Ils ont été un grand allié dans notre très importante lutte contre l’Iran. Les États-Unis ont l’intention de rester un partenaire inébranlable de l’Arabie saoudite pour défendre les intérêts de notre pays, d’Israël et de tous les autres partenaires dans la région. Notre objectif primordial est d’éliminer complètement la menace du terrorisme dans le monde entier ! » Et Trump se contentera de punir quelques lampistes désignés par Riyad et dont le crime est d’avoir suivi les instructions de Riyad.
MBS AU SOMMET DU G-20 ?

Le Congrès suivra-t-il le président dans cette absolution donnée à la monarchie saoudienne ? Trump écarte à l’avance toute proposition qui ne serait pas « compatible avec la sécurité et la sûreté complètes de l’Amérique ». D’autant que le royaume, ajoute-t-il, a été très réceptif « à mes demandes de maintenir les prix du pétrole à des niveaux raisonnables. » Et de conclure : « J’ai l’intention de veiller à ce que, dans un monde très dangereux, les États-Unis défendent leurs intérêts nationaux et contestent vigoureusement les pays qui veulent nous faire du mal. Très simplement, cela s’appelle l’Amérique d’abord ! » Mais, même d’un point de vue de realpolitik cynique, ce calcul est-il bon ? MBS, en quelques années de pouvoir a déclenché une guerre désastreuse contre le Yémen ; ouvert une crise avec le Qatar ; enlevé le premier ministre libanais ; fait arrêter (et sans aucun doute maltraiter physiquement) des centaines de responsables saoudiens coupables de ne pas lui être totalement fidèles ; intensifié les arrestations contre tous les opposants. Ce prince erratique est-il vraiment un allié fiable des États-Unis ? Beaucoup aux États-Unis, y compris dans les cercles militaires et du renseignement, en doutent.

Après ces déclarations de Trump, on attend avec intérêt la réaction des gouvernements européens. Alors que plusieurs pays ont annoncé leur volonté d’arrêter leurs livraisons d’armes à l’Arabie, la France continue à en fournir, alors que tout prouve qu’elles servent dans la guerre contre le Yémen. Et Paris semble déjà prêt à tourner la page et à poursuivre le partenariat avec un royaume dont la politique contribue aux incendies dans la région. Un premier test sera le sommet du G-20 à Buenos Aires en Argentine (30 novembre-1er décembre) où le prince héritier saoudien a annoncé qu’il se rendrait après son absolution par Trump. Emmanuel Macron acceptera-t-il de lui serrer la main ?

ALAIN GRESH


Spécialiste du Proche-Orient, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont De quoi la Palestine est-elle le nom ? (Les Liens… (suite)

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mercredi 21 novembre 2018


LES CATHOLIQUES ET LES MUSULMANS DU CANADA

Daniel Paquet      dpaquet1871 @gmail.com

Entendu au Québec chez un retraité de la construction : « ils ne viendront tout de même pas fermer nos églises (catholiques, ndlr)? »  L’immigration musulmane de masse est encore assez nouvelle au Québec; c’est à Montréal qu’elle se fixe.  Les rumeurs vont bon train; c’est pourquoi bon nombre de Canadiens-français se sont laissé dire que les musulmans ne visaient qu’à installer leur religion et reléguer la religion chrétienne - de la très vaste majorité de la population- au dernier rang.  Entendons-nous, les Canadiens ne sont pas vraiment pratiquants, mais au Québec, ils sont farouchement croyants et même superstitieux à l’occasion.  Quelqu’un qui avait la division à l’esprit a donc mis de l’huile sur le feu.
La nation canadienne-française a souvent bien de la difficulté à trouver sa place au sein du Canada; alors ce n’est pas le moment de faire tanguer la chaloupe (nous y reviendrons plus loin).  Mais, dans le cas présent, il ne faudrait pas plonger vers l’extrême comme en Belgique. Cette année, « le Conseil communal de Charleroi a décidé d’interdire tous les signes d’appartenance philosophique, religieuse et politique, dès la rentrée prochaine, dans les écoles communales primaires et secondaires carolorégiennes [selon Sophie Merckx du Parti des travailleurs de Belgique-PTB], cette interdiction touche au droit à la libre expression, une évolution dangereuse.  Si nous suivons la majorité communale, on interdira donc de porter un T-shirt avec la photo de Che Guevara ou un pin’s pour le commerce équitable […] Est-ce que les écoles ne doivent pas justement être l’institution qui ouvre le débat, qui développe la réflexion démocratique, philosophique, qui encourage la solidarité et la  multiculturalité parmi notre jeunesse? »
L’édition montréalaise du quotidien anticommuniste et pro-républicain des États-Unis, La Grande époque, annonce déjà que le monde musulman en Amérique du Nord passe à l’action, ou presque : « Une autre méthode utilisée par Al-Qaïda est de trouver des groupes islamiques qui entretiennent des ‘concepts de victimisation, des concepts selon lesquels les musulmans sont persécutés par l’Occident non musulman, par les impérialistes, les colonialistes’… »

Un pays, deux nations

Nous voilà au cœur du débat.  Les Québécois ont à cœur la protection de leur culture, bien avant de se braquer contre les Canadiens-anglais.  Selon le quotidien La Presse du début août 2010, « le président du Parti québécois (nationaliste, ndlr), Jonathan Valois, craint la ‘folklorisation’ et ‘l’institutionnalisation’ de la souveraineté (séparation, ndlr) si ce projet ne rejoint pas davantage les jeunes générations. » 
Celui avait déposé en 2004 un rapport sur les jeunes et la souveraineté (sic).  « Selon ce rapport, les jeunes jugeaient l’indépendance ‘dépassée, désuète et vétuste’. »  Quant au président du Conseil de la souveraineté et ancien président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Gérald Larose, il n’est plus nécessaire de parler « d’indépendance » économique, semblant s’accommoder de la mondialisation et du libre-échange, même si ça ne laisse aucune parcelle d’autonomie aux travailleurs du Québec.  Un fameux syndicaliste!
Ils s’exprimaient tous deux à la veille d’une université d’été organisée par le Forum jeunesse du Bloc québécois, représentant les milieux nationalistes au Parlement fédéral du Canada.  Chose inusitée, l’unique député du parti Québec solidaire (social-démocrate) a participé à cet évènement.   D’ailleurs, l’autre porte-parole de ce jeune parti, Françoise David s’est réjouie en précisant au journaliste de La Presse que « cette organisation transpartisane est très noble.  Je trouve cela extrêmement intéressant et prometteur pour la suite des choses ».  Et les ouvriers, alors?

Sur la scène

Chaque année, le Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens organise une cérémonie spéciale.  La Presse rapporte, en mars 2010, que « cette année encore, la cérémonie d’intronisation se déroulait à Toronto.   ‘À la fin de la soirée, des jeunes attendaient (Robert Charlebois, ndlr) pour dire : I liked your performance.  Ils sont prêts à entendre de la bonne musique en français, mais le lendemain de la fête, c’est fini.  On n'entend plus de français dans les rues ou à la radio.  Ça donne l’impression de donner un coup d’épée dans l’eau.  Toronto est dans le même pays, mais dans une autre planète. »
Au mois d’avril, le quotidien a parlé de Gordon Lightfoot.  « Le musicien fait partie de ces pionniers du renouveau folk populaire.  En plus d’être l’une des premières stars anglo-canadiennes  à avoir obtenu la reconnaissance internationale, il a constamment représenté la culture anglophone de son pays.  Ce pays, d’ailleurs, il ne l’a jamais quitté […]  ‘J’ai toujours été fier d’être un ambassadeur de la culture de mon pays.  J’ai toujours pris ce rôle avec beaucoup de conviction et d’enthousiasme.  Oh yeah, no problem there. »
Sur les planches, la relève s’impose et elle n’est plus aussi européenne.  Comme le dit la comédienne Cynthia Cantave : « S’il y avait plus d’acteurs noirs sur les scènes, plus de jeunes pourraient s’identifier et avoir le goût de sortir au théâtre ou d’en faire.  Parce qu’à l’heure actuelle, les Noirs sont le plus souvent relégués à des rôles secondaires ».
Pour conclure, faisons un peu de droit constitutionnel.  Dans la Loi fondamentale de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (1977), l’article 27 affirmait que : « L’État se préoccupe de préserver et de développer les valeurs culturelles de la société et de les mettre largement à profit pour la formation morale et esthétique des Soviétiques, pour élever leur niveau culturel.  En U.R.S.S., on encourage par tous les moyens le développement des activités artistiques professionnelles et populaires. » 
Même le plus fieffé des pourfendeurs de l’Union soviétique sait que dans ce pays les arts en général y avaient une place de choix, et que c’était financièrement accessible.  C’était donc un droit garanti pour toutes les familles ouvrières.  Opéra, cirque, théâtre, cinéma, bibliothèques, concerts…  tout était à la portée des salaires des travailleurs. 
Décidément,  il en a drôlement perdu Yvan Yvanovitch avec tous ces « chambardements »!

Montréal, le 5 septembre 2010,   www.lnvr.blogspot.com

-30-

jeudi 15 novembre 2018



Theresa May se bat pour faire passer son projet d’accord

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Photo: Agence France-Presse Theresa May

Pauline Froissart - Agence France-Presse à Londres16 h 17
Europe


Ébranlée par des démissions de ministres en série, la première ministre britannique Theresa May a défendu jeudi bec et ongles son projet d’accord de divorce avec l’Union européenne, faisant planer la menace d’un retour en arrière sur le Brexit si elle n’obtenait pas de soutien.

« Je crois, avec chaque fibre de mon être, que le chemin que j’ai suivi est le meilleur pour mon pays », a déclaré Mme May devant la presse en fin de journée, assurant agir dans « l’intérêt national ».

Elle avait auparavant affronté pendant trois heures des députés vent debout contre l’accord, tentant de les convaincre de soutenir le texte de près de 600 pages qui avait provoqué plus tôt la démission de quatre membres de son gouvernement, dont son ministre responsable du Brexit Dominic Raab.

« Le choix est clair : nous pouvons choisir de partir sans accord, risquer qu’il n’y ait pas de Brexit du tout, ou choisir de nous unir et soutenir le meilleur accord que nous pouvions négocier, cet accord », a prévenu Mme May.

Mais outre l’hostilité prévisible de l’opposition, la chef du gouvernement est en butte à celle de bon nombre de députés de son propre parti, dont plusieurs tentent d’organiser un vote de défiance pour l’évincer.

C’est le député conservateur pro-Brexit Jacob Rees-Mogg, à la tête du puissant groupe parlementaire eurosceptique European Research Group (ERG), qui est à la manoeuvre, l’accusant d’avoir trahi les promesses faites au peuple britannique.

L’appui de 48 députés, soit 15 % du groupe conservateur aux Communes, est toutefois nécessaire pour organiser un tel vote et il faudrait ensuite qu’une majorité de députés conservateurs votent contre Theresa May. Le député europhile Kenneth Clarke s’est dit sceptique : « Il n’y a pas d’alternative », a-t-il confié à Sky News.

Alors que mercredi soir la première ministre se targuait d’avoir obtenu le soutien de son cabinet, les démissions se sont enchaînées jeudi avec, outre le départ de Dominic Raab, ceux de la secrétaire d’État du Brexit, Suella Braverman, du secrétaire d’État à l’Irlande du Nord, Shailesh Vara, et de la ministre du Travail, Esther McVey, inquiets notamment du sort réservé à la province britannique d’Irlande du Nord après le Brexit.

L’incertitude plane

Ces démissions ont conforté les partisans d’une sortie sans accord avec l’UE dans le propre camp de Mme May.

Elles ont aussi ragaillardi les partisans d’un second référendum sur le Brexit, une idée qui gagne du terrain même si Theresa May a répété jeudi qu’elle n’y recourrait pas.

Un rassemblement en faveur d’un second référendum s’est tenu jeudi près du Parlement. « C’est un chaos total », a confié Emma Roper-Evans, une écrivaine de 53 ans, à l’AFP. « Tout le château de cartes est en train de s’effondrer. »

Le projet d’accord prévoit un « filet de sécurité » (« backstop » en anglais), solution de dernier recours prévoyant le maintien de l’ensemble du Royaume-Uni dans une union douanière avec l’UE ainsi qu’un alignement réglementaire plus poussé pour l’Irlande du Nord, si aucun accord sur la future relation entre Bruxelles et Londres n’était conclu à l’issue d’une période de transition de 21 mois après le Brexit, prévu le 29 mars 2019, et prolongeable une fois.

Pour Dominic Raab, « le régime réglementaire proposé pour l’Irlande du Nord présente une menace très réelle pour l’intégrité du Royaume-Uni ».

Mme May a fait valoir qu’aucun accord avec Bruxelles ne serait possible sans cette assurance.

La bataille des Communes s’annonce rude

Theresa May doit à présent convaincre les parlementaires de voter le projet d’accord en décembre, une fois qu’il sera entériné lors d’un sommet européen le 25 novembre à Bruxelles.

La tâche s’annonce rude : son allié, le petit parti unioniste nord-irlandais, dont les dix députés lui sont indispensables pour avoir une majorité absolue, a ouvertement exprimé son opposition. Quant au Parti travailliste, il a laissé entendre qu’il ne voterait pas le texte.

Le Brexiter conservateur Mark Francois a calculé qu’il était « mathématiquement impossible » de le faire adopter.

Un autre tory, Andrew Bridgen, a carrément appelé Theresa May à démissionner « dans l’intérêt national ».

« Le gouvernement est en plein chaos », a résumé le leader de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn.

La cacophonie régnant au Royaume-Uni, qui a fait chuter la livre sterling de près de 2 % face à l’euro et au dollar, contrastait avec la satisfaction du Parlement européen, selon lequel l’accord est « le meilleur » possible pour l’UE.

La chancelière allemande Angela Merkel s’est dite « très contente », tandis que le premier ministre français Édouard Philippe a jugé que le projet était « un grand pas » tout en pointant des « inquiétudes » quant à son adoption finale.

Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a assuré que l’UE était prête pour un « accord final » avec le Royaume-Uni en novembre. « Nous sommes aussi préparés pour un scénario d’absence d’accord. Mais évidemment, nous sommes mieux préparés pour un scénario d’absence de Brexit », a-t-il ajouté avec un sourire.

vendredi 9 novembre 2018


Le salaire

Daniel Paquet                                                                    dpaquet1871@gmail.com

Quand le capitaliste (propriétaire des moyens de production) rencontre au         ’ marché ’ celui ou ceux qui complètent les forces productives en lui louant sa force de travail, il lui verse un salaire.  (Salaire origine de l’échange du temps de travail contre le sel, denrée rare au Moyen-âge).  « Il est tout à fait exact que la classe ouvrière, considérée dans son ensemble, dépense et doit forcément dépenser son revenu tout entier en moyens de subsistance (même si avec les années, elle est devenue, par le biais des syndicats –notamment au   Québec -, actionnaire de fonds d’investissement et d’épargne : ex. Fonds de solidarité du Québec  (FTQ) et Fondaction (CSN), et de préparation à la retraite, - ndlr).  Une hausse générale des salaires provoquerait donc une augmentation de la demande des moyens de subsistance et, par conséquent, aussi une hausse de leur prix sur le marché. Les capitalistes qui les produisent se dédommageaient des augmentations des salaires par les prix croissants de leurs marchandises sur le marché. (…)
Or, quelle sera la situation des capitalistes qui ne produisent pas d’objets de première nécessité?  Le taux de leur profit baissant par suite des augmentations générales des salaires, ils ne pourraient pas se rattraper par l’élévation des prix de leurs marchandises puisque la demande de ces marchandises n’aurait pas augmenté.  Leur revenu diminuerait, et c’est avec ce revenu amoindri qu’il leur faudrait payer davantage pour la même quantité d’articles courants de prix accru.  Mais ce ne serait pas tout.  Leur revenu diminuant, ils auraient également moins à dépenser en objets de luxe et, de cette façon, il y aurait recul dans la demande réciproque de leurs marchandises respectives.  Cette diminution de la demande ferait baisser les prix de leurs marchandises.  Donc, dans ces branches d’industrie, le taux des profits baisserait non pas simplement en proportion de l’élévation générale des salaires, mais aussi en rapport avec l’action combinée de la hausse générale des salaires, de l’augmentation des prix des objets de première nécessité et de la baisse des prix des objets de luxe.
Quelle serait la conséquence de cette différence entre les taux de profit pour les capitaux employés dans les différentes branches d’industrie?   La même conséquence qui se produit chaque fois que, pour une raison quelconque, surviennent des différences dans les taux moyens des profits dans les diverses sphères de la production.  Le capital et le travail seraient transférés des branches les moins rémunératrices dans les plus rémunératrices, et ce processus de transfert durerait jusqu’à ce que l’offre dans une branche d’industrie eût augmenté proportionnellement à la demande accrue, et qu’elle eût baissée dans les autres branches d’industrie en raison de la demande diminuée. (…)
Si, l’accroissement des salaires était dépensé en objets ne figurant pas auparavant dans la consommation des ouvriers, il ne serait pas nécessaire de prouver l’augmentation effective de leur pouvoir d’achat.  Mais comme elle n’est que la conséquence de l’élévation de leur salaire, il faut bien que l’augmentation du pouvoir d’achat des ouvriers corresponde exactement à la diminution du pouvoir d’achat des capitalistes.  Par conséquent, ce ne serait pas la demande totale des marchandises qui augmenterait, mais les parties constituantes de cette demande qui se modifieraient. (Finalement), la hausse générale du taux des salaires n’entraînera finalement rien d’autre qu’une baisse générale du taux de profit. »[1]
« (Les) efforts pour relever les salaires ne sont que des tentatives pour maintenir la valeur donnée au travail, et que la nécessité d’en disputer le prix avec le capitaliste est en connexion avec la condition qui l’oblige à se vendre (i.e. la classe ouvrière) elle-même comme une marchandise.  Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d’entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure.  En même temps, et tout à fait en dehors de l’asservissement général qu’implique le régime du salariat, les ouvriers ne doivent pas s’exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne.  Ils ne doivent pas oublier qu’ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets, qu’ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction.  Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par ces escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital ou les variations du marché. (…)
Les trade-unions (i.e. les syndicats) agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital.  Elles manquent en partie leur but dès qu’elles font un emploi peu judicieux de leur puissance.  Elles manquent entièrement leur but dès qu’elles se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps  à sa transformation et de se servir de leur propre force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition du salariat (au-delà d’une rémunération au sein d’un régime nouveau, le socialisme, -ndlr). »[2]
Finalement, nous avons pour preuve de cette bataille édulcorée, l’éditorial d’une livraison antérieure du journal syndical Le  Monde Ouvrier où on peut lire : « Ces luttes ne s’inscrivent pas dans le cadre des relations de travail traditionnelles, mais plutôt dans le cadre d’une action politique non partisane (sic), mais porteuse de notre projet de société. (…)
Le programme d’austérité du gouvernement libéral fait mal à l’emploi et a freiné la croissance économique.  Les moyens pour atteindre la promesse de 250 000 emplois demeurent pour le moment insuffisants. Nous allons continuer d’intervenir pour exiger un véritable dialogue social (sic). Nous sommes convaincus que c’est par la mise en place de véritables lieux de concertation que nous pourrons trouver des solutions viables pour l’emploi et pour une transition juste pour les travailleurs et travailleuses. (…)
(Pourtant, le diagnostic est juste) : Les inégalités sociales augmentent, les droits des travailleurs et travailleuses reculent, les systèmes écologiques sont fragilisés, les emplois se précarisent, le filet social se désagrège, l’économie répond de moins en moins aux besoins humains.  C’est à nous d’y voir, de rester mobilisés et de provoquer les changements souhaits. »[3]
La position du patronat, elle, est claire.  « Voyant la campagne en faveur du salaire minimum à 15$ prendre de l’ampleur au Québec, des représentants d’employeurs fourbissent leurs armes, de crainte que le gouvernement soit tenté de céder aux pressions.  La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a lancé une pétition sur la question et une campagne de lettres adressées à la ministre du Travail, Dominique Vien.  En entrevue… la vice-présidente principale de la FCEI, Martine Hébert, a insisté sur le fait que même étalée sur plusieurs années, une majoration de 10,75$ à 15$ l’heure reste ‘une hausse de 40 cents’.  Et une telle augmentation, même sur quelques années ‘ ne sera pas sans conséquences’ sur les emplois ou les heures de travail… »[4]
Retour à Marx : « À la surface de la société bourgeoise, la rétribution du travailleur se représente comme le salaire du travail : tant d’argent payé pour tant de travail.  Le travail lui-même est donc traité comme une marchandise dont les prix courants oscillent au-dessus ou au-dessous de sa valeur.  Mais qu’est-ce que la valeur?  La forme objective du travail social dépensé dans la production d’une marchandise.  Et comment mesure la grandeur de valeur d’une marchandise?  Par la quantité de travail qu’elle contient. »[5]
« Ce qui sur le marché fait directement vis-à-vis au capitaliste, ce n’est pas le travail, mais le travailleur.  Ce que celui-ci vend, c’est lui-même, sa force de travail. Dès qu’il commence à mettre cette force en mouvement, à travailler, dès que son travail existe, ce travail a déjà cessé de lui appartenir et ne peut plus désormais être vendu par lui.  Le travail est la substance et la mesure inhérente des valeurs, mais il n’a lui même aucune valeur (c). (page 579)
« Le salaire revêt à son tour des formes très variées… La vente de la force de travail a toujours lieu, comme on s’en souvient, pour une période de temps déterminée. La forme apparente sous laquelle se présente la valeur soit journalière,  hebdomadaire ou annuelle, de la force de travail est donc en premier lieu celle du salaire au temps, c’est-à-dire du salaire à la journée, à la semaine, etc.  La somme d’argent (a) que l’ouvrier reçoit pour son travail du jour, de la semaine, etc., forme le montant de son salaire nominal ou estimé en valeur. Mails il est clair que, suivant la longueur de sa journée ou suivant la quantité de travail livré par lui chaque jour, le même salaire quotidien, hebdomadaire, etc. peut représenter un prix du travail très différent, c’est-à-dire des sommes d’argent très différentes payées pour un même quantum de travail. (b)  Quand il s’agit du salaire au temps, il faut donc distinguer de nouveau entre le montant total du salaire quotidien, hebdomadaire, etc. et le prix du travail. (…)
Le capitaliste peut maintenant extorquer à l’ouvrier un certain quantum de surtravail sans lui accorder le temps de travail nécessaire à son entretien.  Il peut anéantir toute régularité d’occupation et faire alterner arbitrairement, suivant sa commodité et ses intérêts du moment, le plus énorme excès de travail avec un chômage partiel ou complet. Il peut sous le prétexte de payer le prix normal du travail’ prolonger démesurément la journée sans accorder au travailleur la moindre compensation. »[6]
« Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui lui apportent la mort; elle a aussi engendré les hommes qui porteront ces armes – les ouvriers modernes, les prolétaires. Dans la mesure même où se développe la bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, se développe le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent que tant qu’ils trouvent du travail et qui n’en trouvent que tant que leur travail augmente le capital.  Ces ouvriers, obligés de se vendre par portions successives, sont une marchandise comme tout autre article du commerce et sont donc exposés de la même manière à tous les aléas de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. L’extension du machinisme et la division du travail ont fait perdre au travail des prolétaires tout caractère indépendant et par suite tout attrait pour l’ouvrier.  Celui-ci n’est plus qu’un accessoire de la machine et l’on n’exige de lui que le geste le plus simple, le plus monotone, le plus facile à apprendre. »[7]
« Il faudrait donc dire que nulle part les machines ne sont employées aussi volontiers qu’en U.R.S.S., puisqu’elles économisent du travail à la société et allègent la peine des hommes.  Et comme le chômage n’existe pas en U.R.S.S., les ouvriers emploient très volontiers les machines dans l’économie nationale.  Quand on parle de la situation matérielle de la classe ouvrière, on pense d’habitude aux ouvriers occupés, et l’on ne tient pas compte de la situation matérielle de ce qu’on appelle l’armée de réserve, l’armée des chômeurs.  Une telle façon de traiter la situation matérielle de la classe ouvrière est-elle juste?  Je pense que non.  Si les chômeurs forment une armée de réserve, dont les membres n’ont pas de quoi vivre, sinon de la vente de leur force de travail, les chômeurs doivent forcément faire partie de la classe ouvrière; mais alors leur situation misérable ne peut qu’influer sur la situation matérielle des ouvriers occupés.  Je pense donc qu’en définissant la situation matérielle de la classe ouvrière dans les pays capitalistes, il faudrait tenir compte aussi de la situation de l’armée de réserve des sans-travail. »[8]

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[1] Marx, Karl, Salaire, prix et profit, Œuvres choisies, tome 2, Éditions du Progrès, Moscou, 1978, pages 31-33
[2] Ibidem, pages 75-76
[3] Éditorial, L’action politique pour défendre notre projet de société, Le Monde Ouvrier, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, Montréal, no. 117, septembre-octobre 2016, page 3
[4] La Presse canadienne, Les employeurs préparent leur riposte, Métro, mercredi 12 octobre 2016, page 12
[5] Marx, Karl, Le Capital, Livre I, Gallimard, Paris, 1968, page 577
[6] Ibidem, Le Capital, pages 579-590
[7] Marx, Karl; Engels, Friedrich, Le Manifeste du Parti communiste, Flammarion, Paris, 2008, pages 236-237
[8] Staline, J., Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S., www.marxisme,fr, Édition électronique réalisée par Vincent Gouysse à partir de l’ouvrage publié en 1974 aux Éditions en langues étrangères, Pékin, page 21

jeudi 8 novembre 2018



Association Amitié Haïti-République populaire de Chine/Vive l’Amitié Chine populaire/Haïti


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Disparition de Gérald Bloncourt, photographe au regard engagé

dimanche 4 novembre 2018, par admin



Disparition de Gérald Bloncourt, photographe au regard engagé
Par Chantal Guerrier Publié le 02/11/2018 à 12:48

L’ancien grand reporter et artiste aux multiples facettes est mort le 29 octobre, à l’âge de 91 ans. Il laisse une œuvre impressionnante : des photos, bien sûr, mais aussi des romans, des recueils de poésie, des tableaux.


Dans quelques jours, le 4 novembre, Gérald Bloncourt devait fêter son anniversaire. Il avait promis de tenir jusque-là. Mais depuis quelque temps, il postait des messages sur sa page Facebook qui ne laissaient plus beaucoup la place au doute. « Encore quelques jours… », écrivait-il ainsi, histoire d’habituer ses proches, ses amis et ses admirateurs. Lui qui maniait l’humour aussi bien que l’obturateur. Voilà un an, il avait effectué, avec sa famille, un voyage en forme de pèlerinage sur sa terre natale, Jacmel, en Haïti, mais aussi Port-au-Prince, la capitale, où de vibrants hommages lui ont été rendus par la jeune génération avec laquelle il se sentait tellement à l’aise.

Gérald Bloncourt est né le 4 novembre 1926, à Baînet, commune de Jacmel, dans le Sud-Est d’Haïti. Dès son plus jeune âge, il est révolté par l’injustice, lui qui venait d’une famille aisée. Il aime raconter une scène qui a forgé son « âme révolutionnaire ». Enfant, il voit un homme tabassé à mort par les policiers parce qu’il allait pieds nus. Le père de Gérald est guadeloupéen négociant en café, et sa mère française institutrice pour les enfants de la bourgeoisie. Ils s’installent à Jacmel en 1927, alors sous l’occupation américaine. Jeune lycéen, à Port-au-Prince, Gérald Bloncourt se range aux côtés des ouvriers et des paysans qui résistent contre les Marines.

Artiste, il rencontre d’un peintre américain Dewitt Peters, et les deux hommes créent le Centre d’art haïtien à Port-au-Prince. C’est un creuset d’où explosent de nombreux talents et qui attire des personnalités artistiques et intellectuels notamment Aimé Césaire, Pierre Mabille (attaché culturel de la France libre), André Breton et le peintre cubain Wifredo Lam. La série de conférences prononcées par l’écrivain surréaliste André Breton galvanise Gérald Bloncourt et ses camarades parmi lesquels Jacques-Stephen Alexis et René Depestre. Ensemble, ils créent la revue La Ruche pour publier leurs créations.

En 1946, le petit groupe prend la tête d’un soulèvement étudiant. Ce seront « les Cinq Glorieuses » qui aboutiront à la chute du président Elie Lescot, le 11 janvier 1946. Arrêté, puis relâché, Gérald Bloncourt part pour l’exil à bord d’un paquebot qui le conduira en Guadeloupe puis en France où il rejoint la famille de sa mère. À Paris, ensuite, il est accueilli par des militants communistes et des poètes. Il apprend la photographie et travaille comme reporter-photographe pour le journal L’Humanité, où il est devenu chef du service photo. Dans les années 1950, son « regard engagé » immortalise les clichés des ouvriers de Renault à Boulogne-Billancourt, des immigrés portugais dans les bidonvilles de Joinville-le-Pont. Il est aux côtés des ouvriers du chantier de construction de la tour Montparnasse.

Il parcourt aussi l’Europe pour couvrir comme grand reporter les événements populaires qui explosent un peu partout comme la Révolution des œillets au Portugal. Il voyage dans les pays de l’Est, en URSS, en Chine, où il rencontre Mao Tsé-toung.

Gérald Bloncourt est aussi le photographe des artistes. Sa pellicule argentique noir et blanc a sublimé nombre d’entre eux, Yves Montand, Georges Moustaki, Charles Aznavour, pour ne citer que ceux-là. Il est de la même trempe que ses contemporains Robert Doisneau et Willy Ronis. Pour Bloncourt, « la photographie est un moyen de dire l’Homme, dans sa plus grande vérité ». Lorsqu’apparaît le numérique, cet adepte de la modernité s’y met à fond. Il numérise l’ensemble de ses négatifs sur son Mac. Ce travail phénoménal qui lui prend plusieurs années, il ne le délaisse à personne. Son fonds photographique est impressionnant. Pas moins de 200.000 clichés. Il se saisit aussi du procédé de digigraphie pour imprimer ses peintures et dessins en grand format. Il est régulièrement sollicité dans des conférences pour parler d’Haïti, de la photo, de la peinture. Jamais il ne dit « non ».

Parallèlement à son travail de photographe, ce créateur aux multiples facettes embrasse le roman, la poésie, la peinture, avec autant de talent. Il publie La peinture haïtienne, une bible incontournable, en 1986. Mais aussi des romans, Yeto le palmier des neiges, et des essais, Le regard engagé, parcours d’un franc-tireur de l’image de 2004, pour ne citer que ceux-là. Mais il reste un personnage sensible, très abordable. Sa demeure parisienne est un havre accueillant pour les visiteurs désireux de l’écouter parler politique. Une de ses grandes passions. Gérald Bloncourt a été plusieurs fois récompensé pour l’ensemble de son œuvre. En 2011, il est fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en France et en 2015, il accède à la Légion d’honneur.

Le plus ancien exilé haïtien a attendu la chute de Jean-Claude Duvalier, le 7 février 1986, pour pouvoir remettre les pieds en Haïti, quarante ans après en être parti. Depuis, il n’a eu de cesse de vouloir traduire l’ex-dictateur devant la justice pour les innombrables crimes commis sur les opposants du régime hérité de son père François pendant les 29 ans qu’a duré leur règne sanguinaire. Il a été à l’initiative d’un « comité pour juger Duvalier », lorsque ce dernier est accueilli en France, alors que dans le même temps, les personnes persécutées par le régime du dictateur sont refoulées par l’administration migratoire française. Gérald Bloncourt a même recouru à une longue grève de la faim. Ses proches ont eu très peur car il a frôlé la mort. Ce combattant inlassable n’a eu de cesse d’obtenir que le dictateur soit jugé et qu’il rembourse à Haïti la fortune spoliée par sa famille. Le tyran est mort en 2011. Sans avoir été jugé. Une bataille perdue pour Gérald.

Dans la nuit du 28 au 29 octobre, Bloncourt a perdu son combat contre la maladie, qu’il a mené avec un courage exemplaire. Les obsèques auront lieu un jour après son anniversaire, le 5 novembre au cimetière parisien du Père-Lachaise.

http://www.lefigaro.fr/culture/2018/11/02/03004-20181102ARTFIG00128-disparition-de-gerald-bloncourt-photographe-au-regard-engage.php


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