mardi 21 mars 2017

        OUEST-FRANCE (21.03.2017)                     

Présidentielle. Un premier débat ponctué de punchlines

                 
  • Le débat entre les cinq candidats a été ponctué d'échanges vifs.
    Le débat entre les cinq candidats a été ponctué d'échanges vifs. | AFP

À moins de cinq semaines du premier tour de la présidentielle, les cinq principaux candidats se sont retrouvés, hier soir, sur TF1, le temps d’une confrontation inédite.
Succession de monologues ou échanges de tirs croisés ? On s’interrogeait, avant le débat, sur les formes qu’il allait prendre. Après un début timide et policé, les candidats n’ont pas hésité à s’interpeller.

« Droguée aux faits divers »

C’est surtout Marine Le Pen et ses outrances qui ont fait l’objet de remontrances de la part de ses concurrents. L’accusant d’être « droguée aux pages faits divers », Benoît Hamon a été le plus prompt à pointer ses propos « nauséabonds » et à dénoncer son « commerce électoral » sur la question de l’immigration.
Très offensif, le candidat du PS a ciblé ensuite Emmanuel Macron sur le financement de sa campagne.


Juste avant, le candidat d’En Marche avait dû parer une autre attaque venant de Marine Le Pen à propos de la laïcité et du burkini : « Le piège dans lequel vous êtes en train de tomber, Mme Le Pen, par vos provocations, c’est de diviser la société. »

« Qui vous finance ? »

Passe d’armes entre Benoît Hamon et Emmanuel Macron. Le candidat du PS s’est interrogé sur les « lobbies » qui financent la campagne de l’ancien ministre de l’économie. « Ma campagne est financée depuis le premier jour par des personnes physiques, a répondu Macron.
Tous les noms ont été transmis à la commission nationale. » Macron a évoqué « 32 000 personnes qui ont donné ». Il ne dévoilera pas les noms, car l’identité des donateurs est « protégée par la loi ». Benoît Hamon a enfoncé le clou : il craint que des donateurs puissants n’influencent la politique du président élu. « Je prends l’engagement de n’être tenu par personne », a assuré le candidat d’En Marche !

« Pudeurs de gazelle »

Sans attendre que les affaires qui le touchent soient mises sur la table, François Fillon a annoncé que s’il est élu il mettra en place une « commission » chargée de faire des propositions en matière de « transparence de la vie publique ». Composée du vice-président du Conseil d’État, du premier président de la Cour des comptes et du procureur près la Cour de cassation, « elle remettra ses propositions au Parlement ».
Jean-Luc Mélenchon a avancé les siennes : « Il faut une interdiction de gagner de l’argent grâce à des activités de conseil lorsqu’on est élu. Les indemnités de mandats doivent être transparentes. Enfin, il doit être interdit d’embaucher sa famille », a-t-il expliqué, avant de moquer « les pudeurs de gazelle » des animateurs : « Ici, il n’y a que deux personnes concernées et qui ont des choses à se reprocher, M. Fillon et Mme Le Pen. Les électeurs le savent. Et il ne leur est pas interdit de récompenser les vertueux ! ».


« Un exil forcé »

L’immigration, vrai sujet de controverse entre les candidats. « Je veux arrêter l’immigration légale et illégale », a annoncé Marine Le Pen qui veut rétablir les frontières nationales et « couper les pompes aspirantes de l’immigration ».
François Fillon propose de fixer des quotas « calculés et votés » par le Parlement « en fonction de la situation économique ». Emmanuel Macron défend « une politique rigoureuse, ferme », mais prône en même temps un certain humanisme : « Quand quelqu’un fuit un régime, il doit être accueilli en vertu de nos principes ».


Une proposition que ne renieraient pas Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon qui estiment que la France doit s’ouvrir aux victimes des guerres et du changement climatique. « Les gens ne partent pas en immigration par plaisir. C’est un exil forcé », selon le candidat de la France insoumise.

« Justice TGV »

Marine Le Pen a dénoncé un « gigantesque problème d’intérêts privés qui s’invitent dans cette présidentielle, et qui vont peut-être prendre la place de candidats qui auraient été élus », visant implicitement l’ancien ministre de l’Économie.
« Ce que vous avez décrit, ce sont des conflits d’intérêts et ça se caractérise pénalement. Donc, soit ce que vous venez de faire Mme Le Pen, c’est de la diffamation, soyez plus précise et allez devant la justice de notre pays et, dans ces cas-là, la justice fera son office, comme elle est en train de le faire avec plusieurs candidats », a répliqué le candidat d’En marche ! Le Pen a alors ironisé : « J’espère qu’elle sera aussi rapide que pour M. Fillon ». Ce à quoi ce dernier a ajouté : « Oui, c’est ce qu’on appelle la justice TGV ».

« Le vide sidéral »

Marine Le Pen, candidate FN à la présidentielle, a sermonné Emmanuel Macron sur l’international, l’ancien ministre pointant en retour leurs divergences. « Vous avez un talent fou, vous arrivez à parler sept minutes, je suis incapable de résumer votre pensée, vous n’avez rien dit, c’est le vide absolu, sidéral », a lancé la présidente du FN.


« Si vous n’avez pas compris que contrairement à vous je ne veux pas pactiser avec M. Poutine… », a aussitôt répondu M. Macron à l’eurodéputée FN. « Si vous n’avez pas compris que, contrairement à vous, je veux une politique française forte mais responsable, pas la ruine, pas les dépenses qu’on ne sait pas financer… », a ajouté l’ancien ministre de l’Économie.
« Si vous n’avez pas compris que, contrairement à vous, je veux une France forte dans l’Europe, que j’assume pleinement, c’est notre grand désaccord », a ajouté M. Macron.« C’est de pire en pire », a répliqué Mme Le Pen. « C’est juste que je ne suis pas d’accord avec vous », a insisté le candidat « En Marche ».

Laïcité et provocations

Le thème de la laïcité a donné lieu à quelques échanges vifs entre Marine Le Pen et les autres candidats. Emmanuel Macron, notamment, accusé d’être « pour le burkini » par la présidente du FN, lui répond qu’il ne s’agit pas d’une question de laïcité mais d’ordre public.
« Le piège dans lequel vous êtes en train de tomber Mme Le Pen par vos provocations, c’est de diviser la société » et de faire « des ennemis de la République » des « plus de 4 millions de Françaises et de Français dont la religion est l’islam et qui sont, pour la très grande majorité, absolument pas dans le communautarisme », a-t-il jugé. Jean-Luc Mélenchon, tout en estimant que la laïcité était « forte », a mis en garde pour qu’elle ne « serve pas de prétexte pour s’en prendre à une religion, en clair contre les musulmans ».
L'Académie des sciences russe continue à se battre
 

V. Fortov, président de l'Académie des sciences de Russie
 
La réforme de 2013 de l'Académie des sciences de Russie continue à porter ses fruits. Maintenant, même élire son président devient de facto impossible. Ou comment l'Académie des sciences risque de perdre le peu d'indépendance qui lui reste.
 
Alors que sous l'Ancien Régime et la période soviétique, l'indépendance de l'Académie des sciences a pu être préservée, le Gouvernement actuel a employé tout l'arsenal méthodologique néolibéral pour y mettre un terme. Sous couvert d'effectivité et de managment (qui peut être contre l'efficacité?), une Agence fédérale a été mise en place, dirigée par un "manager" qui doit libérer l'Académie des soucis matériels. Autrement dit, qui tient les cordons de la bourse. Après beaucoup de débats, de nouveaux statuts ont été adoptés et la vie a repris son cours.
Voici nos publications sur le conflit entre le Gouvernement et l'Académie des sciences:

Corporate raid du Gouvernement sur le système de l'Académie des sciences de Russie
 

L'Académie des sciences en sursis


Les députés votent la réforme de l'Académie des sciences et non sa liquidation


Les dangers pour l'Académie des sciences se précisent et se confirment
L'on pensait l'affaire réglée, qu'un certain compromis avait été trouvé entre contrôle et indépendance, mais c'était sans compter les luttes politiques internes, qui manifestent, malheureusement, peu d'intérêt pour l'institution académique elle-même.
 
Ainsi, trois candidats se sont présentés aux élections du président de l'Académie qui devait avoir lieu hier: le président en fonction V. Fortov qui déplait au pouvoir, le président de l'Institut des problèmes d'information et des lasers V. Pantchenko, principal concurrent et "protégé" de M. Kovaltchuk, proche de V. Poutine (Kovaltchuk dont la candidature avait été refusée par l'Académie), enfin le président de l'Institut de biologie moléculaire A. Makarov. La mise en scène fut magistrale, même si le scénario n'a pas totalement fonctionné comme prévu, ces scientifiques sont décidément par trop incontrôlables.
 
La réunion de l'assemblée générale commençait normalement, Fortov a dit quelques mots et passé la parole à A Dvorkovitch, vice-premier ministre, dont la tonalité fut dès le départ choquante. Après avoir félicité les académiciens pour leur travail et leur apport à la science, il a, abruptement, déclaré qu'il considère sans fondement leurs gérémiades et pleurnicheries. 
 
Cette remarque souligne tout le respect de ce Gouvernement pour l'Académie et la science.
 
Ensuite, le secrétaire scientifique du Presidium, Paltsev a pris la parole, laconiquement, pour annoncer que les candidats s'étaient réunis la veille et avaient décidé de retirer leurs candidatures en raison de l'imprécision de la procédure d'élection dans les statuts de l'Académie. Il faut préciser que l'initiative a été prise par les opposants à Fortov, subitement, il y a une semaine. Ils ont demandé et obtenu que les élections soient reportées de 6 mois. Fortov s'est au début opposé à ce coup de force, mais finalement il ne pouvait laisser se dérouler des élections sans candidatures alternatives et s'est donc également retiré. 
 
Sans vraiment entrer dans les détails de ce qui l'a poussé à agir de la sorte, il a simplement déclaré que des gens au Gouvernement et à l'Administration présidentielle ont analysé la question et ont trouvé la solution légitime.
 
Cela ressemble donc à s'y méprendre à un coup de force de certains clans au pouvoir contre l'indépendance de l'Académie, afin d'y mettre "son" homme.
 
Les académiciens réagissent très mal. Pendant ces dernières années, personne n'a rien eu à redire aux statuts et à quelques jours des élections, ils le contestent. Certains critiquent la faiblesse de Fortov dans cette situation. La déclaration de l'académicien G. Messiats est intéressante:
"Tout s'est passé comme une opération spéciale. Je sais que vendredi matin une voiture a été envoyée à Fortov et ils sont partis. Il est revenu dans la journée et il s'est passé ce qui s'est passé. Nous sommes témoins de la manière dont l'on fait de nous, qui sommes patriotes, des ennemis de la nation. Nous ne sommes pas des dissidents quand même!"
Fortov avait voulu se retirer et laisser les rènes à un président par interim en attendant les élections dans 6 mois, mais les académiciens ont refusé et ont voté pour qu'il occupe la présidence lui-même par interim d'ici l'élection du nouveau président.
 
Dans le même ordre d'idée, le directeur de l'agence fédérale gérant l'Académie a demandé qu'un nouveau Presidium soit élu en attendant l'élection du nouveau président. Sa demande a été soutenu par certains académiciens, qui par des attaques frontales ont voulu profiter de l'occasion pour se positionner politiquement. Mais finalement, la demande a été rejetée.
 
L'opération de force n'a pas tout à fait fonctionné. Certes, les élections ont été bloquées, Fortov n'a pas pu être réélu et risque de ne pas présenter sa candidature par la suite, mais il n'a pas été remplacé et le Presidium n'a pas été démis de ses fonctions. Ce qui montre que malgré toutes les attaques politiques dont l'Académie est l'objet depuis 2013, elle a encore des forces de résistance, ce dont le pouvoir devrait tenir compte. Le secrétaire scientifique a donc envoyé au Gouvernement la résolution adoptée.
 
La réaction de D. Medvedev est significative de ce que le Gouvernement s'attendait à une victoire plus facile et complète. Il semble quelque peu perdu et prend constamment les autres membres du Gouvernement à témoin. L'argumentation vole assez bas, est plutôt émotionnelle (comment osent-ils s'opposer?) finalement, au niveau du managment en fait: ce n'est pas un club quand même, ils dépensent de l'argent public et utilisent des immeubles appartenant à l'Etat. Il faudrait qu'ils se mettent d'accord, il ne faut pas laisser passer un collapse.
Certes, le Gouvernement est très intéressé par la science et la recherche et est prêt à apporter toute son aide juridique. La question reste de savoir laquelle? Un projet de loi est à l'étude, selon lequel le président de l'Académie, à l'avenir, serait nommé par le Président de la Fédération suite à proposition de candidatures par l'Académie. 
Paltsev estime que ce n'est pas si grave que cela. Les présidents des universités d'Etat de Moscou et Saint Petersbourg sont bien nommés par le Président russe et leur statut a augmenté, ils sont plus indépendants par rapport aux autres universités. Lorsque la question de l'indépendance se pose, il faut toujours de s'interroger pour savoir par rapport à qui ou à quoi. En l'occurrence, ces recteurs sont certes plus indépendants des scientifiques et universitaires, mais  le danger, pour la science, ne vient pas des scientifiques, ni des universitaires. Or, ces institutions sont maintenant directement connectées aux directives de l'OCDE que transmet le bloc néolibéral du Gouvernement et l'on voit, par exemple, le système de soutenance des thèses totalement perturbé, la restriction des postes et les problèmes récurrents d'élections qui mettent les personnes-clés en position de dépendance. C'est en effet un bel exemple à suivre pour l'Académie des sciences. Même sous l'époque soviétique, l'on n'a jamais vu de tels problèmes pour que les scientifiques puissent choisir librement leur président. Mais, c'est vrai, l'on n'avait pas alors la chance de connaître les recommandations de l'OCDE, le néolibéralisme, les managers ... L'on s'occupait bêtement de la recherche et l'on s'en occupait plutôt bien si l'on en croit les acquis, toujours exploités à ce jour. L'invasion manageriale ne semble pas avoir créé grand chose, développé, commercialisé, rentabilisé, oui. Mais l'on ne parle pas de commerce ici.
La question de la nomination ou de l'élection du président de l'Académie des sciences n'est pas anodine, elle est révélatrice de la conception que se fait le pouvoir de la sciences dont "il a besoin" et du respect réel qu'il a pour les personnes qui y dédient leur vie. Soit, il a besoin d'instituts techniques et d'un "personnel" dévoué devant remplir les commandes, soit il estime que le pays est suffisamment important pour se permettre une véritable politique de recherche avec des chercheurs indépendants. La réponse était évidente sous l'Ancien régime, la période soviétique a réussi à parfaitement conjuguer les deux, et le développement de la recherche scientifique théorique et la recherche technologique en fonction des besoins de l'industrie. Mais la Russie post-soviétique a été fortement désindustrialisée et s'est jetée vers les nouvelles technologies. L'avenir incarné par Skolkovo et ses scandales, Syrius et la connaissance immédiate des enfants géniaux parce qu'enfants. Revenir à un juste milieu ne serait pas un luxe.
Il est dommage que la Russie ne puisse développer à l'intérieur une politique comparable, fonctionnellement, à celle qu'elle développe à l'international. Car avec ces démarches brusques et injustifiées, en permettant à des intérêts très particuliers d'interférer avec l'intérêt public, elle affaiblie non seulement ses structures, mais également le soutien dont l'Etat a besoin, en plus du soutien populaire acquis par le retour de la Russie sur la scène internationale. D'autant plus que l'affaiblissement intérieur consécutif à la mise en place de cette politique néolibérale et clanique, ne pourra qu'entraîner l'affaiblissement de la Russie sur la scène internationale, qui en plus de la lutte contre le terrorisme, le gaz ou le pétrole, doit pouvoir proportionnellement développer les domaines scientifiques ou culturels, sans tomber dans les pièges affriolants de la globalisation.
 
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lundi 20 mars 2017

Vladimir Poutine a accordé en Russie, à Vladivostok le 13 novembre 2014, une interview à la télévision allemande « ARD ». Cette interview est à visionner ici pour les germanophones.
Cette interview porte principalement sur les rapports de la Russie avec l’Allemagne, sur l’OTAN et le déploiement des forces de part et d’autre, sur la Crimée, sur la crise ukrainienne et ses enjeux économiques, et bien sûr la Novorossiya.
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Traduction en français pour Media Presse Info
Les inter-titres ont été ajoutés par la Traduction
Vladimir Poutine a répondu aux questions de Hubert Seipel pour la télévision allemande ARD. L’entrevue a été enregistrée le 13 Novembre à Vladivostok.
HUBERT SEIPEL: Bonjour, Monsieur le Président. Vous êtes le seul président russe qui ait jamais donné un discours au Bundestag. Cela se passait en 2001. Votre discours a été un succès. Vous avez parlé des relations entre la Russie et l’Allemagne, de la coopération de la Russie à la construction de l’Europe, même si vous aviez donné un avertissement. Vous avez dit que les idées de la guerre froide devaient être éradiquées. Donc vous avez noté que nous partagions les mêmes valeurs, encore  que vous ne fassiez pas confiance aux autres. Pourquoi étiez-vous un peu pessimiste à l’époque?
VLADIMIR POUTINE: Tout d’abord, je ne donne aucun avertissement ou remontrance et je ne voulais pas être pessimiste. Je voulais juste analyser la période précédente dans le développement de la situation dans le monde et en Europe, après l’effondrement de l’Union soviétique. Donc je me suis permis de prédire la situation en fonction de différents scénarios de développement. Naturellement, cela  reflète la situation comme nous la voyons, à travers le prisme, à la façon des diplomates, du point de vue de la Russie, mais encore, je pense qu’il s’agissait d’une analyse plutôt objective.
Je réitère: il n’y avait pas de pessimisme que ce soit. Aucun. Au contraire, je voulais être optimiste. Je suppose que, après avoir reconnu tous les problèmes du passé, nous devons aller vers un processus de renforcement des relations beaucoup plus confortables et mutuellement avantageuses dans le futur.
HUBERT SEIPEL: La semaine dernière a marqué le 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin, qui n’aurait pas été possible sans le consentement de l’Union soviétique. Ce fut ainsi à l’époque. A présent, l’OTAN mène des exercices dans la mer Noire, près des frontières russes, tandis que les bombardiers russes procèdent à des exercices dans l’espace aérien international de l’Europe. Le ministre de la Défense a dit, si je ne me trompe pas, ils ont volé aussi loin que le golfe du Mexique. Tout cela souligne une nouvelle guerre froide.
Et, bien sûr, les partenaires échangent des déclarations virulentes. Il y a quelque temps, le président Obama  a dit que la Russie est une menace équivalente au virus Ebola et aux extrémistes islamiques. Vous avez qualifié  l’Amérique de nouveau riche, qui se considère comme le vainqueur de la guerre froide, et maintenant l’Amérique tente de façonner le monde suivant ses propres idées sur la vie. Tout cela rappelle la guerre froide.

L’OTAN

VLADIMIR POUTINE: Voyons, vous avez dit en 2001 et je vous ai dit que mon point de vue était plutôt optimiste. Nous avons assisté à deux vagues d’élargissement de l’OTAN depuis 2001. Si je me souviens bien, sept pays – la Slovénie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Roumanie et trois États baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie – ont rejoint l’OTAN en 2004. Deux autres pays l’ont rejoint en 2009. Cela signifie que le jeu géopolitique change. De plus, le nombre de bases militaires est en accroissement. Est-ce que la Russie possède des bases militaires dans le monde ? L’OTAN et les Etats-Unis ont des bases militaires disséminées dans le monde entier, y compris dans les zones à proximité de nos frontières, et leur nombre est en augmentation.
De plus, tout récemment, il a été décidé de déployer les Special Opérations Forces, de nouveau à proximité de nos frontières.  Vous avez mentionné divers exercices, vols,  mouvements des navires, et ainsi de suite. Oui, c’ est ainsi en effet.  Cependant, tout d’abord, vous avez dit – ou peut-être est-ce une traduction inexacte – qu’ils ont été menés [les exercices ndlr] dans l’espace aérien européen international. Eh bien, c’est soit l’espace international (neutre) soit l’espace européen. Alors, s’il vous plaît notez que nos exercices ont été menées exclusivement dans les eaux internationales et l’espace aérien international.
En 1992, nous avons suspendu les vols stratégiques de nos avions et ils sont restés à leur bases aériennes depuis de nombreuses années. Pendant ce temps, nos partenaires américains ont poursuivi les vols de leurs avions nucléaires dans les mêmes domaines qu’avant, y compris les zones proches de nos frontières. DONC, il y a plusieurs années, ne voyant pas de développements positifs, personne n’étant prêt à nous rencontrer à mi-chemin, nous avons repris les vols de notre aviation stratégique dans des régions éloignées. C’est tout.
HUBERT SEIPEL: Alors, avez-vous pensé que vos intérêts en matière de sécurité n’ont pas été pris en compte?
Permettez-moi de revenir à la crise actuelle et à son déclenchement. La crise actuelle a été déclenchée par l’accord entre l’Union européenne et l’Ukraine. Le titre de cet accord est relativement inoffensif. Il est appelé l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine. Le point clé de cet accord est d’ouvrir le marché ukrainien de l’UE et vice versa. Pourquoi est-il une menace pour la Russie? Pourquoi vous êtes-vous opposé à cet accord?

L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine

VLADIMIR POUTINE: En réalité, l’économie suit presque le même chemin que la sécurité. Nous prêchons le contraire de ce que nous pratiquons. Nous avons dit qu’un seul espace  serait construit et  de nouvelles lignes de division ont été construites à la place.
Penchons-nous sur ce que l’accord UE-Ukraine Association stipule. Je l’ai dit plusieurs fois, mais il semble que je doive le répéter encore une fois: il élimine les droits d’importation pour les produits européens entrant sur le territoire ukrainien, cela leur apporte zéro. Maintenant, comme l’Ukraine est membre d’une zone de libre-échange au sein de la CEI, zéro droits de douane ont été mis en place entre la Russie et l’Ukraine. Qu’est-ce que cela veut dire? Cela signifie que tous les produits européens iront à travers le territoire ukrainien directement sur le territoire douanier de la Fédération de Russie.
Il y a beaucoup d’autres choses qui peuvent ne pas être évidentes pour les personnes qui ne sont pas éclairées concernant ces matières, mais elles existent. Par exemple, Il y a des règlements techniques qui sont différents entre la Russie et l’UE, nous avons des normes différentes. Ce sont les normes de contrôle technique, les normes phytosanitaires et des principes qui déterminent l’origine des marchandises.
A titre d’exemple, je citerai l’assemblage des composants de voitures sur le territoire ukrainien. Selon L’accord d’association, les biens manufacturés sur le territoire de l’Ukraine sont destinés à notre marché dans le cadre de la zone de libre-échange russo-ukrainienne. Vos entreprises ont investi des milliards d’euros dans des usines en Russie (Volkswagen, BMW, Peugeot, Citroën, US Ford, et d’autres) entrées sur notre marché en des termes complètement différents, à condition d’une localisation profonde de la production. Comment pourrions-nous accepter cela? Nous l’avons dit dès le début, « Nous sommes d’accord, mais laissez-nous  procéder étape par étape et prendre en compte les vrais problèmes qui peuvent émerger entre la Russie et l’Ukraine. » Qu’est-ce qu’on nous a répondu? «Ce ne sont pas vos affaires, aussi sortez votre nez  de nos affaires! »

L’enclenchement de la crise ukrainienne

HUBERT SEIPEL: je voudrais revenir sur le passé. Lorsque l’accord d’association UE-Ukraine était discuté. Cela a provoqué des rassemblements sur la place Maidan à Kiev. Je me réfère à des manifestations durant lesquelles les gens demandaient une vie meilleure sans l’Union européenne. Mais Ils protestaient également contre le système ukrainien. En fin de compte tout cela a entraîné une vague de violence.
Après, le président d’alors n’a pas signé l’accord, ça a provoqué au début de la violence, et des gens ont été tués sur le Maidan. Puis le ministre allemand des Affaires étrangères est arrivé et a essayé de trouver un compromis entre les manifestants et le gouvernement, et il a réussi à le faire. Un accord qui prévoyait un gouvernement d’union nationale. Il est resté en vigueur pendant environ 24 heures, puis il a disparu.  Vous avez suivi de près l’évolution du 21 février et vous vous souvenez que vous avez parlé avec M. Obama et Mme Merkel.
VLADIMIR POUTINE: Oui. En effet, le 21 février, non seulement le ministre allemand des Affaires étrangères, mais aussi ses homologues de Pologne et de France sont arrivés à Kiev pour agir en tant que garants de l’accord conclu entre le Président de l’Ukraine Viktor Ianoukovitch et l’opposition.L’accord stipule que le seul chemin que prendrait le processus serait pacifique.
En tant que garants, ils ont signé un accord entre les autorités officielles et l’Opposition. Et la forme assurait qu’il serait  observé.   Il est vrai que j’ai parlé par téléphone avec le président des États-Unis ce jour même, et cela était le contexte de notre conversation. Cependant, le jours suivant, en dépit de toutes les garanties prévues par nos partenaires de l’Ouest, un coup d’État est arrivé et l’administration présidentielle et le siège du gouvernement ont été occupés.
Je voudrais dire à cet égard la chose suivante: soit les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne, de Pologne et de France n’ont pas signé l’accord entre les autorités et l’opposition comme garants, soit, car ils l’ont  signé après tout, ils auraient du insister sur sa mise en œuvre au lieu de se dissocier de cet accord. Qui plus est, ils préfèrent maintenant ne pas le mentionner du tout, comme si l’accord n’avait jamais existé. C’est de mon point de vue, absolument faux et contre-productif.

La Crimée et le Kosovo

HUBERT SEIPEL: vous avez agi rapidement. Vous avez, pour ainsi dire, annexé la Crimée et justifié cela sur le moment  par le fait que 60 % de la population de Crimée était Russe, que la Crimée a été russe sur une longue partie de son histoire et, enfin, du fait que sa flotte est stationnée là-bas. L’ Ouest a a prétendu qu’il s’agissait d’une violation du droit international.
VLADIMIR POUTINE: Quelle est votre question exactement?
HUBERT SEIPEL: Avez-vous sous-estimé la réaction de l’Occident et les sanctions possibles, qui furent imposées la Russie?
VLADIMIR POUTINE: Nous croyons que ces sortes de réaction sont totalement disproportionnées par rapport à ce qui s’est passé.
Chaque fois que j’entends des plaintes concernant le viol par la Russie du droit international je suis tout simplement amusé.
Qu’est-ce que le droit international? C’est tout d’abord la Charte des Nations Unies, la pratique internationale et son interprétation par les institutions internationales pertinentes.
De plus, nous avons un précédent clair récent – le Kosovo.
HUBERT SEIPEL: Vous voulez parler de la décision de la Cour internationale de Justice sur le Kosovo? Celui dans lequel elle avait déclaré que le Kosovo a le droit à l’autodétermination et que les Kosovars avaient le droit à se déterminer sur l’avenir de leur État ?
VLADIMIR POUTINE: (En allemand.) Exactement. (Suite en russe.) Mais pas seulement. Le point principal était le procédé à prendre concernant leur autodétermination suivant lequel  les personnes vivant dans un territoire ne sont pas tenues de demander l’avis des autorités centrales de l’État où elles vivent. Cela ne nécessite pas l’approbation par les autorités centrales, par le gouvernement, de prendre les mesures nécessaires pour l’auto-détermination. Tel est le point central.
Et ce qui a été fait en Crimée n’est en aucune manière différent de ce qui a été fait au Kosovo.
Je suis profondément convaincu que la  Russie n’a pas commis de violation du droit international. Oui, ce n’est pas un secret, c’est un fait et nous n’avons jamais caché nos forces armées, soyons clairs, ni bloqué les forces armées ukrainiennes stationnées en Crimée, ni forcé quelqu’un à voter, ce qui aurait été impossible, mais [nous avons agi] pour éviter une effusion de sang, pour donner aux gens la possibilité d’exprimer leur avis sur la façon dont ils voulaient façonner  leur avenir et celui de leurs enfants.
Le Kosovo, dont vous avez parlé, n’a déclaré son indépendance que par voie parlementaire seulement. En Crimée, les gens n’ont pas seulement pris une décision parlementaire, ils ont tenu un référendum, et ses résultats ont été tout simplement magnifiques.
Qu’est-ce que la démocratie? Vous et moi connaissons bien la réponse. Que signifie Démos? Demos c’est le peuple, et la démocratie est le droit des peuples. Dans ce cas particulier, c’ est le droit à l’autodétermination.

La Novorossiya

HUBERT SEIPEL: Cela montre immédiatement que vous êtes un avocat.
Mais vous connaissez aussi bien les arguments de l’Ouest. L’Occident dit que les élections ont eu lieu sous  contrôle de l’armée russe. Tel est le raisonnement de l’Occident.
Permettez-moi d’aborder la question suivante. Aujourd’hui, l’Ukraine est plus ou moins divisé. Quatre mille personnes sont mortes, des centaines de milliers sont réfugiées et se sont enfuies, entre autres lieux, en Russie. Dans l’est du pays, les séparatistes russophones réclament une large autonomie, certains veulent se joindre à la Russie. Conformément à l’accord de Minsk, un cessez-le-feu a été déclaré, mais les gens meurent tous les jours. Le pays est en faillite. Fondamentalement tout le monde est perdant dans ce conflit. L’Ukraine semble avoir perdu le plus, mais l’Europe et la Russie aussi. Comment voyez-vous l’avenir de l’Ukraine?
VLADIMIR POUTINE: L’Ukraine est un pays complexe, et pas seulement en raison de sa composition ethnique, c’est ainsi, mais aussi du point de vue de sa formation tel qu’elle est aujourd’hui.
Y a t-il un avenir et comment sera-t-il? Je pense qu’il y en aura un certainement. C’est un grand pays, une grande nation avec une population de 43 à 44 millions de personnes. C’est un grand pays européen avec une culture européenne.
Vous savez, il ne manque qu’une seule chose. Je crois que, ce qui manque c’est la compréhension que pour réussir, être stable et prospère, les gens qui vivent sur ce territoire, quelle que soit la langue qu’ils parlent (hongrois, russe, ukrainien ou polonais), doivent sentir que ce territoire est leur patrie. Pour parvenir à cela ils doivent sentir qu’ils peuvent réaliser leur potentiel ici aussi bien que dans tous les autres territoires et peut-être même mieux dans une certaine mesure. Voilà pourquoi je ne comprends pas la réticence de certaines forces politiques en Ukraine à entendre parler de la possibilité de fédéralisation.
Nous avons entendu récemment que la question qui se pose n’est pas la fédéralisation mais la décentralisation. Il s’agit d’un jeu de mots. Il est important de comprendre ce que ces notions signifient: décentralisation, fédéralisation, régionalisation. Vous pouvez reprendre une douzaine d’autres termes. Les personnes qui vivent dans ce territoire doivent RÉALISER qu’elles ont droit à quelque chose, qu’elles peuvent décider quelque chose pour elles-mêmes dans leur vie.
HUBERT SEIPEL: La question centrale dans l’Ouest est la suivante: l’Ukraine veut-elle rester un Etat indépendant? C’est la question centrale aujourd’hui à l’ordre du jour. La deuxième question est de savoir ce que la Russie peut faire de plus? Peut-être que la Russie a plus de possibilités pour accélérer ce processus en Ukraine, particulièrement en ce qui concerne les accords de Minsk?

Les accords de Minsk

VLADIMIR POUTINE: Vous savez, quand quelqu’un nous dit que nous avons des occasions spéciales pour résoudre tel ou tel crise, cela me trouble et m’alarme toujours. Nous avons entendu à plusieurs reprises que la Russie dispose d’une clé pour la solution du problème syrien, que nous avons des possibilités spéciales pour résoudre un autre problème ou la crise ukrainienne. Je commence toujours à soupçonner une intention de nous mettre la responsabilité sur le dos et de nous faire payer pour quelque chose. Nous ne voulons pas cela. L’Ukraine est un Etat indépendant, libre et souverain.
Pour parler franchement, nous sommes très préoccupés par de possibles nettoyages ethniques et la possibilité que l’Ukraine se retrouve un État néo-nazi. Que sommes-nous censés penser si les gens portent des croix gammées sur leurs manches? Ou que dire des emblèmes SS que nous voyons sur les casques de certaines unités militaires combattant maintenant dans l’est de l’Ukraine? Si c’est un état civilisé, que recherchent les autorités? Au moins, ils pourraient se débarrasser de cet uniforme, ils pourraient faire supprimer ces emblèmes des nationalistes. Voilà pourquoi nous avons peur que tout cela puisse finir de cette façon. Si cela se produisait, ce serait une catastrophe pour l’Ukraine et les Ukrainiens.
Les accords de Minsk ont surgi seulement parce que la Russie a participé activement à cet effort; nous avons travaillé avec les milices du Donbass, les combattants du sud-Ukraine, et nous les avons convaincus qu’ils devraient se contenter de certains accords. Si nous ne l’avions pas fait, cela n’aurait tout simplement pas eu lieu. Il y a quelques problèmes avec la mise en œuvre de ces accords, c’est vrai.
Quels sont ces problèmes? En effet, les défenseurs, par exemple, devaient laisser quelques-unes des villes qu’ils avaient encerclées, ils ne les ont pas quitté. Savez-vous pourquoi? Je vous le dis tout net, ce n’est pas un secret: parce que les gens qui se battent contre l’armée ukrainienne disent, « Ce sont nos villages, nous venons de là, nos familles et nos proches vivent ici. Si nous partons, les bataillons nationalistes vont venir.. tuer tout le monde. nous ne partirons pas, vous pouvez nous tuer vous-mêmes. » Vous savez, c’est un difficile problème. Bien sûr, nous essayons de les convaincre, nous parlons, mais quand ils disent des choses comme ça, vous savez, il n’y a pas grand chose à répondre.
Et l’armée ukrainienne  non plus n’a pas laissé quelques-unes des villes qu’elle était censée quitter. Les miliciens sont des gens qui se battent pour leurs droits, pour leurs intérêts. Mais si les autorités ukrainiennes centrales choisissent tout simplement de ne pas déterminer la ligne de démarcation, qui est très importante aujourd’hui pour arrêter les bombardements et les meurtres, mais si elles veulent préserver l’intégrité territoriale de leur pays, chaque village ou ville en particulier ne sont pas significatifs ; ce qui est important est d’arrêter immédiatement l’effusion de sang et les bombardements et de créer les conditions pour entamer un dialogue politique. Voilà ce qui est important. Si elle ne le font pas, il n’y aura pas de dialogue politique.
Je suis désolé pour ce long monologue, mais vous me faites revenir à l’essence du problème.
Quelle est l’essence? Le coup d’Etat a eu lieu à Kiev. Une partie considérable du pays l’a supporté, et ils étaient heureux en partie parce qu’ils croyaient que, après la signature de, disons, l’accord d’association, il y aurait l’ouverture des frontières, des possibilités d’emploi, le droit de travailler dans l’Union européenne, y compris en Allemagne. Ils pensaient que ce serait ainsi. En fait, ils n’ont rien eu de semblable.
L’autre partie du pays, le sud-est, ne l’a pas supporté et a dit: «Nous ne vous reconnaissons pas. » Et au lieu d’entamer un dialogue, au lieu d’expliquer aux gens que les autorités centrales de Kiev ne vont pas faire quelque chose de mal, et qu’au contraire, elles allaient proposer différentes formes de coexistence et le développement d’un Etat commun, qu’ils seraient  prêts à leur accorder leurs droits; au lieu de cela, ils ont commencé à faire des arrestations de nuit. Une fois que les arrestations de nuit ont commencé, les gens du sud-est ont pris les armes. Une fois qu’ils ont pris les armes, au lieu d’arrêter (les autorités devraient avoir la sagesse de le faire) et à la place du dialogue ils ont envoyé l’armée, l’armée de l’air, tanks et lance-roquettes multiples. Est-ce un moyen de résoudre les problèmes? Et finalement on est arrivé à une impasse. Est-il possible de sortir de cela? Je suis sûr que c’est possible.

La Russie ne laissera pas anéantir la population du Donbass

HUBERT SEIPEL: La question ou, plus exactement, le reproche fait par Kiev aujourd’hui est que la Russie fournit des armes aux séparatistes et envoie ses militaires là-bas.
VLADIMIR POUTINE: Où ont-ils vu les véhicules blindés et les systèmes d’artillerie? Aujourd’hui, les gens qui luttent et considèrent que cela est juste obtiendront toujours des armes. Ceci est le premier point.
Mais je tiens à souligner que ce n’est pas le problème. La question elle-même est tout à fait différente. Le problème est que nous ne pouvons pas avoir une vision unilatérale du problème.
Aujourd’hui il y a des combats dans l’est de l’Ukraine. Les autorités centrales ukrainiennes ont envoyé les forces armées là-bas et ils utilisent même des missiles balistiques. Est-ce que quelqu’un en parle? Pas un seul mot. Et qu’est-ce que cela signifie? Qu’est-ce que cela nous dit? Cela souligne le fait que les autorités centrales ukrainiennes veulent anéantir tout le monde là-bas, tous leurs ennemis et opposants politiques. Est-ce ce que c’est ce que vous voulez? Nous certainement pas. Et nous ne laisserons pas cela se produire.

Les sanctions contre la Russie

HUBERT SEIPEL: Après que la Crimée eut rejoint la Russie, l’Ouest a expulsé la Russie du Groupe des Huit, ce club exclusif des pays industrialisés. Dans le même temps les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont imposé des sanctions contre la Russie. A présent, vous partez pour le sommet du G20 des pays industriels les plus importants de la planète. L’accent y sera mis sur la croissance économique et l’emploi. Ils disent qu’il n’y a plus de croissance et que le chômage devrait augmenter; que les sanctions commencent à avoir un effet; qu’à la fois le rouble et le prix du pétrole ont connu des records de baisse. Les prévisions pour parvenir à une croissance de 2 pour cent en Russie sont impossibles. D’autres pays sont dans la même situation. Cette crise a un caractère contre-productif, y compris pour le prochain sommet, vous ne trouvez pas?
VLADIMIR POUTINE: Vous voulez dire la crise ukrainienne?
HUBERT SEIPEL: Oui.
VLADIMIR POUTINE: Bien sûr, qui pourrait en bénéficier? Vous voulez savoir comment la situation évolue et quelles sont nos attentes ? Nous attendons, bien sûr, que la situation change pour le mieux. Bien sûr, nous attendons que la crise ukrainienne prenne fin. Bien sûr, nous voulons avoir des relations normales avec nos partenaires, y compris aux États-Unis et en Europe. Bien sûr, la situation avec les soi-disant sanctions est dommageable pour l’économie mondiale (elle est dommageable pour nous et pour l’économie mondiale de la même façon.) et elle est dommageable par-dessus tout pour les relations UE-Russie.
Cependant, il y a certains avantages: les restrictions imposées à certaines entreprises russes sur l’achat de certains produits en provenance des pays occidentaux, d’Europe et des États-Unis, nous ont incité à produire ces marchandises nous-mêmes. La durée de vie confortable, quand tout ce que nous avions à faire était de produire plus de pétrole et de gaz, et d’acheter tout le reste, fait partie du passé.    En ce qui concerne la croissance, il convient de noter que cette croissance a été modeste sur l’année, mais elle était néanmoins d’ environ 0,5-0,6 pour cent. L’année prochaine, nous prévoyons d’atteindre une croissance de 1,2 pour cent, l’année après de 2,3 pour cent et 3 pour cent en trois ans. Habituellement, ce ne sont pas les chiffres que nous aimerions avoir, mais c’est  néanmoins de la croissance et nous sommes confiants que nous allons atteindre ces chiffres.

« ont-ils quelque chose de déconnecté dans leurs cerveaux »?

HUBERT SEIPEL: Un autre thème qui sera discuté à Brisbane sera la stabilité financière. La situation en Russie peut également se compliquer parce que les banques russes ne peuvent plus se refinancer sur les marchés mondiaux. En outre, il est prévu de fermer pour la Russie le système des paiements internationaux.
VLADIMIR POUTINE: les banques russes ont actuellement étendu un prêt de 25 milliards de dollars à l’économie ukrainienne. Si nos partenaires européens et américains veulent aider l’Ukraine, comment peuvent-ils saper la base financière et limiter l’accès de nos institutions financières sur les marchés de capitaux mondiaux? Veulent-ils la faillite de nos banques? Dans ce cas, ils mettront en faillite l’Ukraine. Ont-ils pensé à ce qu’ils font à tous ou pas? Ou bien, leurs politiques sont-ils aveugles? Comme nous le savons les yeux constituent une partie périphérique du cerveau. Ont-ils  quelque chose de déconnecté dans leurs cerveaux?
La banque que j’ai mentionnée est Gazprombank, qui cette année seulement, cette année civile, a accordé un prêt de 1,4 plus 1,8 milliards de dollars au secteur énergétique ukrainien. Combien est-ce au total? 3,2 milliards. Ceci est la somme qu’elle a allouée. Dans un cas, elle a émis un emprunt à l’ukrainien Naftogaz, qui est une entreprise publique; dans l’autre cas, elle a alloué 1,4 milliard de dollars à une entreprise privée afin de soutenir l’industrie chimique de l’Ukraine. Dans les deux cas, aujourd’hui, cette banque a le droit de demander le remboursement anticipé parce que les partenaires ukrainiens ont violé leur accord de prêt.
HUBERT SEIPEL: La question est de savoir s’ils paieront ou pas?
VLADIMIR POUTINE: (En allemand.) Pour le moment Ils paient. (Repris en russe.) Ils honorent le prêt. Naftogaz honore l’un des prêts. Cependant, il y a certaines conditions qui sont violées. Par conséquent, la banque a le droit formel d’exiger le remboursement anticipé.    Mais si nous le faisions, l’ensemble du système financier ukrainien s’effondrerait. Et si nous ne le faisions pas, notre banque peut s’effondrer. Que devrions-nous faire?
De plus, lorsque nous avons prolongé un prêt de 3 milliards de dollars il y a un an, il y avait pour condition que si la dette totale de l’Ukraine venait à dépassé 60 pour cent du PIB, nous, le ministère russe des Finances, serait en droit d’exiger un remboursement anticipé. Encore une fois, si nous le faisons, l’ensemble du système financier va s’effondrer. Nous avons déjà décidé que nous ne le ferons pas. Nous ne voulons pas aggraver la situation. Nous voulons que l’Ukraine se remettre sur pied à la fin.
HUBERT SEIPEL: Avez-vous l’intention de proposer des solutions pour résoudre la crise en Ukraine?
VLADIMIR POUTINE: Madame la Chancelière est très consciente de toutes les nuances de ce conflit. Quant au problème de l’énergie, elle a fait beaucoup pour sa solution. [En effet, ce sont les Français et les Allemands qui payent pour l’Ukraine! ndlt]
En ce qui concerne les questions de sécurité, je dirais que dans ce domaine nos points de vue et approches ne coïncident pas toujours. Ce qui est clair est que la Russie et la République fédérale d’Allemagne veulent que la situation dans cette région soit réglée. Nous sommes intéressés dans ce domaine et nous allons travailler pour l’observation des accords de Minsk. Il y a juste une chose à laquelle je porte toujours attention. On nous dit encore et encore: les séparatistes pro-russes doivent faire ceci et cela, vous devez les influencer de cette façon, vous devez agir de la sorte. Alors je demande toujours: « Qu’avez-vous fait pour influencer vos clients à Kiev? Qu’est-ce que vous faites pour lutter contre les sentiments russophobes? »Cela est une voie très dangereuse. Une catastrophe se produira si quelqu’un soutient subrepticement la russophobie en Ukraine. Ce sera une véritable catastrophe! Ou bien, allons-nous chercher une solution commune? Pour cela, nous allons aider les positions des parties à se rapprocher. Je vais vous dire quelque chose que certaines personnes dans ce pays peuvent ne pas aimer. Essayer de réaliser un seul espace politique dans ces territoires. Nous sommes prêts à aller dans cette direction, mais seulement ensemble.
HUBERT SEIPEL: Il est très difficile de corriger les erreurs commises par d’autres. Parfois, il est seulement possible de corriger ses propres erreurs. Je voudrais vous demander: avez-vous commis des erreurs?

Les relations Russie-Allemagne

VLADIMIR POUTINE: Les gens font toujours des erreurs. Chaque personne fait des erreurs dans les affaires, dans la vie privée. Est-ce vraiment important? La question est que nous devrions donner une réponse rapide, efficace et opportune pour réparer les conséquences de ces erreurs. Nous devons les analyser et nous rendre compte qu’elles sont des erreurs. Nous devons les comprendre,  les corriger et progresser vers la solution du problèmes plutôt que rester dans une impasse.    Il me semble que c’est la façon dont nous avons agi dans nos relations avec l’Europe dans son ensemble et la République fédérale d’Allemagne en particulier, au cours de la dernière décennie. Regardez l’amitié qui a été établie entre la Russie et l’Allemagne au cours des 10-15 dernières années. Je ne sais pas si nous avions jamais joui de telles relations avant. Je ne pense pas. Je vois cela comme une très bonne base, une bonne base pour le développement des relations non seulement entre nos deux Etats, mais aussi entre la Russie et l’Europe dans son ensemble, pour l’harmonisation des relations dans le monde. Il serait dommage que nous laissions perdre cela.
HUBERT SEIPEL: Monsieur le Président, je vous remercie pour l’interview.
Traduction pour Medias Presse Info à partir de la traduction anglaise : Emilie Defresne 
L’avenir des relations entre les Etats-Unis et la Russie
 
Jacques SapirPar  · 

Ceci est la version française (longue) d’un article devant paraître dans The Cairo Review (en anglais).

L’avenir des relations entre les Etats-Unis et la Russie
 
La question des relations entre la Russie et les Etats-Unis va se poser avec acuité dans les prochains mois. Il est clair que cette relation n’a plus la fonction structurante qu’elle pouvait avoir dans la « Guerre Froide ». Les relations entre les Etats-Unis et la Chine, la Russie et la Chine, mais aussi, celles autour de la place de l’Inde, pays courtisé par les trois puissances citées, et enfin autour des pays européens, sont devenues des relations susceptibles d’avoir des effets structurants.
 
C’est le produit d’une évolution que le Général de Gaulle avait anticipé, et qu’il avait cherché à construire, en particulier avec la reconnaissance de la Chine, mais qui ne prend toute sa dimension que maintenant. C’est le produit du monde multipolaire qui est aujourd’hui une réalité. Mais, cette relation entre Washington et Moscou reste d’une importance extrême tant pour les Etats-Unis, la Russie, que pour les autres puissances.
 
Donald Trump à la Maison-Blanche
 
Cette relation est en partie biaisée, pour les observateurs, par les diverses accusations faisant du Président Donald Trump la marionnette de la Russie. C’est un très vieux fantasme dans la politique et la culture américaine. Que l’on se souvienne du film « The Manchurian Candidate » avec Frank Sinatra, film datant de 1962 et réalisé par John Frankenheimer. Mais, c’est un fantasme et non une réalité. Le Général Kevin Ryan l’avait d’ailleurs fort bien expliqué en octobre 2016[1].
 
Non que l’élection de Donald Trump n’ait été préférée par le gouvernement russe à celle d’Hillary R. Clinton. Le gouvernement russe savait qu’il devait s’attendre à une phase de très forte hostilité dans ce cas. La préférence pour Donald Trump était claire, mais aussi les interrogations concernant le personnage. La diplomatie russe, et cela date du temps de l’URSS, est extrêmement conservatrice. Les dirigeants russes craignent par dessus tout d’avoir face à eux des responsables aux réactions imprévisibles. Or, d’une certaine manière, Madame Clinton était prévisible, certes, dans l’hostilité, mais elle était néanmoins prévisible. Or, Donald Trump est largement, et quoique l’on puisse en penser, un inconnu pour les dirigeants russes.
 
Nul ne sait, actuellement, quelle sera sa politique à propos de l’Ukraine ou du Moyen-Orient. Or, ces deux sujets sont critiques pour la Russie et, certainement, le Moyen-Orient, parce qu’il a le pouvoir de déstabiliser l’Asie centrale est aujourd’hui prioritaire pour Moscou. Le dossier du Moyen-Orient inclut la question de l’Iran, bien entendu. Un compromis entre la Russie et les Etats-Unis passe par un accord raisonnable entre l’Iran et les Etats-Unis.
 

L’occidentalisme déçu des dirigeants russes
 
On oublie trop souvent que les dirigeants russes, et Vladimir Poutine en premier, sont en réalité des occidentalistes déçus. Il faut se souvenir que Vladimir Poutine, qui venait alors d’être élu à la suite de la démission de Boris Eltsine, a cherché sans relâche au début des années 2000 à améliorer les relations entre les deux pays. Il a offert des facilités logistiques aux Etats-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Il a soutenu l’intervention en Afghanistan. Mais, les dirigeants russes ont commencé à s’inquiéter quant il est devenu évident que l’idéologie que l’on appelle « néo-conservatrice » était devenue la seule boussole de la politique étrangère des Etats-Unis. De là date leur opposition croissante à la politique américaine, qu’il s’agisse de l’invasion de l’Irak ou sur d’autres terrains. Le choix du président russe, alors que la Russie était isolée après son opposition à l’intervention de l’OTAN au Kosovo, n’était pas simple. D’un côté, les États-Unis, à partir de 2001, démantelaient unilatéralement un certain nombre d’accords qui avaient garanti la stabilité durant la guerre froide et en particulier le traité ABM, dont l’importance pour la Russie ne doit pas être sous-estimée[2]. De l’autre, ils menaient une politique pour le moins complaisante vis-à-vis du régime des Talibans en Afghanistan, en dépit des informations qui permettaient de prouver que ce pays était devenu une des bases arrière du terrorisme islamiste et de la déstabilisation de l’Asie centrale. Il devient aujourd’hui clair que l’action du président russe était guidée par deux objectifs de court terme : conduire les dirigeants américains à rompre avec la mouvance islamiste fanatique qu’ils avaient flattée trop longtemps et canaliser leur légitime réaction armée dans un cadre multinational. À long terme, il espérait indiscutablement qu’une prise de conscience par Washington des racines même du phénomène terroriste serait la base d’une relance de l’action internationale dans laquelle la Russie trouverait enfin sa place. Cela ne fut pas, et explique bien des choses pour la suite.

Retour en 2007
 
Cette opposition a été clairement exprimée par Vladimir Poutine lors de la conférence de Munich sur la sécurité en 2007[3], il y a de cela dix ans. Ce qu’il a dit, à l’époque, était fondamental, mais ne fut ni compris ni même écouté par les dirigeants américains, mais aussi occidentaux, de l’époque. Eussent-ils écouté ce que disait à l’époque Vladimir Poutine qu’ils se seraient évités bien des déconvenues. Il convient donc de lire avec attention ce texte, qui constitue une définition précise de la représentation russe des relations internationales.
 
Deux points importants s’en dégagent, la constatation de l’échec d’un monde unipolaire et la condamnation de la tentative de soumettre le droit international au droit anglo-américain[4]. « J’estime que le modèle unipolaire n’est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu’il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d’un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner : contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c’est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur une base morale et éthique de la civilisation contemporaine[5] ».
 
En se situant au niveau des principes, Vladimir Poutine fournit aussi les éléments potentiels d’une critique de sa propre politique s’il s’avérait que lui aussi diverge par trop dans son action du cadre qu’il a défini. Que cette reformulation des principes des relations internationales s’accompagne en Russie d’un débat sur le fondement de la démocratie n’est ni neutre ni fortuit. Il n’existe pas de normes reconnues par tous qui pourraient fonder l’unipolarité. Dans son ouvrage de 2002, Evgueni Primakov ne disait pas autre chose[6]. Cela ne veut pas dire que les différents pays ne puissent définir des intérêts communs. Ni même qu’il ne puisse exister des valeurs communes. Le discours de Poutine n’est pas « relativiste ». Il constate simplement que ces valeurs (la « base morale et éthique ») ne peuvent fonder l’unipolarité, car l’exercice du pouvoir, politique ou économique, ne peut être défini uniquement en valeur mais doit l’être aussi en intérêts. L’argument suit ici celui que l’on a évoqué ci-dessus. Faute d’une base morale et éthique permettant de faire disparaître le politique des relations internationales, ces dernières ne peuvent être gérées que par le principe fondamental du droit international, soit la règle d’unanimité et de respect des souverainetés nationales. Or, constate le président russe, les États-Unis tendent à transformer leur droit interne en droit international alternatif.
 
Dix ans après, les dirigeants russes ont le sentiment que les évolutions du monde ont confirmé leurs analyses, mais aussi leurs pires craintes.
 
La nécessité de compromis basés sur le respect de la souveraineté
 
Aujourd’hui, ce que les dirigeants russes espèrent des Etats-Unis, c’est le retour à une politique internationale conçue comme l’expression des intérêts de chaque nation. Là où il y a de la politique, soit des intérêts et des représentations divergentes, il doit y avoir de la souveraineté. Toute tentative d’empiéter sur cette dernière se qualifie alors en tyrannie et justifie la résistance. Cette position constitue en réalité une critique radicale de l’idéologie de la « mondialisation », cette dernière étant ici conçue comme un processus téléologique aboutissant à la « fin » des États et à la disparition de la notion de souveraineté.
 
Les dirigeants russes savent bien que ces intérêts peuvent être divergents, et ils n’ont guère d’illusions sur l’ampleur du rapprochement avec les Etats-Unis. Mais, si ces derniers reconnaissaient la primauté des intérêts sur les principes, alors un compromis deviendrait possible. Or, la paix est toujours construite sur des compromis.
 
Notes
 
 
[2].Leur intention actuelle d’installer des systèmes antimissiles en Pologne et en République tchèque, soi-disant pour protéger ces pays contre une menace iranienne – argument dépourvu de fondements –, participe de la même démarche délibérément provocatrice.
 
[3].On trouvera une traduction complète et fidèle de ce discours dans la revue La Lettre Sentinel, n° 43-44, janvier-février 2007, p. 24-29.
 
[4] Voir la revue La Lettre Sentinel, n° 43-44, janvier-février 2007, p. 25.
 
[5].Voir la revue La Lettre Sentinel, n° 43-44, janvier-février 2007, p. 25.
 
[6].E. Primakov, Mir posle 11 Sentjabrja, Moscou, 2002, p. 138-151.
Vers un nouveau Yalta




Comité d'intégration Russie-Donbass

Le 17 mars 2017 a été fondé, en Crimée, le Comité d'intégration Russie-Donbass à l'occasion du 3e anniversaire du rattachement de la Crimée à la Russie. Va-t-on vers un nouveau Yalta?

Dans le Palais de Livadia, à Yalta, comme en 1945, s'est tenue l'assemblée constitutive du Forum d'intégration Russie-Donbass, à laquelle ont pris part des députés russes, des membres du Conseil de la Fédération, des représentants des régions, des experts et les dirigeants de DNR et LNR. Si pour l'instant aucune décision politique officielle n'a été prise concernant l'intégration de ces républiques dans la Fédération de Russie, des mécanismes d'intégration sectorielle sont mis en place.
 
 
Le blocus mis en place par l'Ukraine a contraint le Donbass à renforcer ses liens avec la Russie et celle-ci est manifestement prête à assumer ses obligations. Ainsi, le député A. Kozenko a déposé un projet de loi visant, après la reconnaissance des passeports de DNR et LNR, à permettre à leurs titulaires à ne pas avoir besoin d'autorisation de travail en Russie et devant faciliter l'intégration des entreprises dans l'espace russe.
 
V. Konstantinov, premier ministre de Crimée, a insisté sur le fait que l'intégration politique ne devait pas trop tarder, car le retour vers l'Ukraine n'était plus possible. Il est vrai que la Crimée est particulièrement sensible à ces processus, les ayant elle-même vécus il n'y a que trois ans de cela. Et lancer le processus d'intégration du Donbass à l'occasion des cérémonies de commémoration du rattachement de la Crimée est fortement symbolique.
 
Les intervenants ont mis en avant le renforcement prévu de la coopération culturelle, mais aussi dans le domaine médical ou de l'enseignement, des processus d'intégration économique et sociale. A ce jour, la Russie a envoyé 62 convois humanitaires dans le Donbass, mais ce n'est plus suffisant. Pour le membre du Conseil de la Fédération S. Mamedov, si la Russie s'est toujours prononcée pour le respect et l'exécution des accords de Minsk 2, il faut être aveugle pour ne pas voir par la faute de qui ils ne sont pas exécutés et ne le seront pas. Il y a donc une reconnaissance de l'échec de ces accords.
 
Les dirigeants des Républiques de Donetsk et Lugansk ont largement soutenu ce processus qu'ils appellent de leurs voeux, estimant que trois années à verser leur sang pour garder le droit d'appartenir au monde russe légitime leur position.
 
I. Plotnitsky, le dirigeant de LNR, a déclaré que le Donbass était le coeur de la Russie. Il s'est retrouvé en Ukraine à la suite d'une erreur historique qu'il convient de corriger. 
Quant à A. Zakharchenko, le dirigeant de DNR, le Donbass a toujours été intégré dans l'économie russe, que ce soit à la période impériale ou soviétique, et il réoriente son activité, à nouveau, vers la Russie. Quant à l'avenir, ils prennent pour exemple la Crimée.
A la fin de l'assemblée, les participants ont fondé le Comité d'intégration Russie-Donbass, ayant qualité d'association. Il a officiellement pour but de renforcer le processus d'intégration culturelle, humanitaire, économique et sociale.
 
Officiellement, il ne s'agit pas encore d'intégration politique, mais le processus est lancé.
Le choix du lieu pour l'organisation de cet évènement est loin d'être anodin. C'est dans ce Palais qu'en 1945 un nouvel ordre mondial, malgré les résistances des "alliés", fut institué. En lançant le processus d'intégration du Donbass, la Russie se prononce pour un nouvel ordre mondial, multipolaire, dans lequel les Etats sont responsables de leur politique et en assument les conséquences.
 
Il est évident que l'Occident ne va pas prendre la chose à la légère, car il n'est pas prêt de remettre en cause ni ses avantages, ni son impunité. Jusqu'à présent, depuis la chute de l'URSS, les Etats Unis, avec l'OTAN et l'UE, ont pris l'habitude de pouvoir écarter du pouvoir les dirigeants qui dérangent, de faire exploser les pays et les recomposer à leur guise et en fonction de leurs intérêts du moment, de mettre des territoires sous gouvernance internationale et l'Europe de l'Est et la Russie sous "contrôle démocratique". Le tout en se fondant sur sa volonté souveraine et sans avoir à répondre des conséquences de ses politiques, lorsque les Etats sont détruits, la population livrée à elle-même mais les actifs "utilement" répartis entre les sociétés "démocratiques".
La Russie a déjà lancé deux alertes.
 
La première avec l'intégration de la Crimée suite au référendum populaire des habitants de la presqu'île, voulant fuire ce chaos fascisant en Ukraine. Ainsi, le message était le suivant: vous pouvez lancer des mouvements révolutionnaires et faire tomber les régimes, mais dans ce cas il y a risque de perte de l'intégrité territoriale, puisque l'Etat a été remis en cause. 
 
La seconde alerte a été lancée avec la Syrie. Depuis la chute de l'URSS, la Russie ne se mêlait pas des affaires de l'Occident à l'étranger, même dans son étranger proche. En Yougoslavie, elle a pu réagir diplomatiquement, mais elle était encore trop faible pour pouvoir mettre un frein aux appétits occidentaux. Or, le temps a passé et l'Etat a été rétabli. Elle a ainsi, à la surprise générale, répondu à l'appel du Gouvernement syrien pour l'aider à lutter contre les mouvements islamistes, dont certains, comme Al Quaïda, bénéficient d'un soutien ouvert des pays démocratiques.
 
L'intervention militaire de la Russie en Syrie a permis de renverser le rapport de force, ce que la coalition américaine n'a pu ou voulu faire et de permettre de laisser au peuple syrien la liberté de choisir son avenir politique, la décision prise par la coalition américaine de renverser Assad ayant été reportée sine die. Ici aussi, le message est clair: la communauté internationale n'a pas le droit de retirer aux populations nationales le droit de décider de leurs dirigeants sous couvert d'intervention militaire presqu'humanitaire.
 
Pour autant, à chaque fois que la Russie ne fait montre de force, on la considère comme faible. Lorsqu'elle négocie les accords de Minsk, les "partenaires" la font passer du rôle de garant à celui de partie et justifient ainsi l'adoption de sanctions. Quant au discours, il atteint des sommets de violence - pour l'instant verbale. La guerre de l'information discrédite des médias ayant pourtant très longtemps bénéficié d'une excellente réputation, discrédite un système idéologique, le libéralisme, considéré comme libérant l'homme. Ces crises fondamentales de notre système entraînent une période d'hésitation, de vide. Car les médias ne peuvent être remplacés par d'autres plus sûrs et une sorte de guerre interne a commencé, chacun avançant sa Vérité, la radicalisation devenant preuve d'objectivité, la partialité remplaçant l'investigation, la description biaisée l'analyse. Crise idéologique aussi suite à la radicalisation du libéralisme discréditant a priori toute contestation, devenant totalitaire en ce qu'il s'est donné pour mission de créer cet homme nouveau sans frontières et sans culture, cet homme mondialisé.  Mais aucune idéologique acceptable ne l'a remplacé et l'on tourne toujours dans une graduation variable autour du paradigme libéralisme/conservatisme. Les Etats étant classés non pas en fonction de leur politique réelle, mais en fonction de l'image que l'on veut donner d'eux, sachant que "libéralisme" est toujours synonyme de "Bien".
 
L'Ukraine est, en ce sens, un bon pays, car elle a choisi la voie "européenne". Elle est contre la Russie, donc elle est démocratique et libérale. Et l'on ne veut pas voir les groupes néonazis, l'on ne veut pas voir la répression de l'opposition, la destruction des mécanismes judiciaires, les dysfonctionnements du Parlement. Elle est du côté du bien. Et l'Occident ne peut réellement voir le blocus. 
La Russie a envoyé son troisième signal. Dans ce cas, l'on ne laisse pas les populations souffrir parce que les "valeurs" européennes ne permettent plus de les protéger. Elle lance le processus d'intégration du Donbass.
Chaque étape de la radicalisation de la politique menée par ce monde unipolaire arquebouté sur une période révolue a entraîné une réaction asymétrique de la Russie. L'hystérie qui s'empare tant des médias que des politiques occidentaux est surtout le signe de leur faiblesse et de leur démission morale. Ils ne peuvent reconnaître ni leurs actes, ni leur échec et se drapent dans une dignité d'autant plus affichée qu'elle est maltraitée. 
 
Le temps n'est-il pas venu d'en tirer les conséquences? L'ère d'un nouveau Yalta est venue, elle se construira avec ou sans nous.
 
Publié par 

Six ans de guerre en Syrie: le miroir de nos échecs

Deux chercheurs de sensibilité opposée, Jean-Pierre Filiu et Frédéric Pichon publient chacun un livre clair et argumenté. Ces deux ouvrages permettent de mieux comprendre ce pays ravagé par la guerre civile. Et nos propres erreurs

                 
La Syrie, en voie vers la reconstruction ?
La Syrie, en voie vers la reconstruction ?
© AP/SIPA
Il y a six ans, le 15 mars 2011, le pouvoir syrien de Bachar al-Assad réprimait violemment des manifestations d’opposants. Le début d’une atroce guerre, toujours pas terminée.
Une seule chose réunit Jean-Pierre Filiu et Frédéric Pichon : leur amour de la Syrie. En revanche, sur la guerre civile qui s’y déploie depuis six ans, leurs désaccords d’historiens et d’arabisants sont profonds. C’est dire si la lecture parallèle de leurs deux livres permet, non de se faire une opinion moyenne et insipide, mais d’aller plus loin dans la compréhension d’une situation tragique, en évitant l’écueil des anathèmes et des polémiques.

Depuis le premier jour, Jean-Pierre Filiu soutient activement ceux qu’ils appellent les « révolutionnaires », c’est-à-dire l’opposition modérée, au risque de privilégier son engagement personnel à la froide réflexion. Au risque, lui, de passer pour un soutien du régime, Frédéric Pichon se méfie des amis syriens de Filiu, par crainte de l’islamisme et attachement aux chrétiens d’Orient. Et si le premier approuve la politique anti-Assad de la France, le second y voit un « naufrage de la diplomatie française ».
Jean-Pierre Filiu n’en est pas à son premier livre sur la Syrie. Son Je vous écris d’Alep (Denoël, 2013) était un témoignage à chaud de la situation sur le terrain. En 2015, l’universitaire publie une BD (avec Cyrille Pomès) intitulée La Dame de Damas (Futuropolis, 2015), une manière pour lui de raconter cette « révolution » à un autre public. Avec Le miroir de Damas, Jean-Pierre Filiu en revient à l’histoire. Il entreprend de nous convaincre que « nous avons tous en nous une part de Syrie ». Si son livre part d’un cri de colère contre « l’indifférence » de « notre monde [qui] a abandonné la Syrie et son peuple à une horreur inimaginable », il nous montre comment « Damas nous tend aujourd’hui son miroir », tant « la descente aux enfers de la Syrie et de son peuple n’est ni un problème d’Arabes, ni le solde de querelles immémoriales ». C’est une histoire partagée que Filiu nous raconte dans ce livre savant mais très accessible.
Chemin de Damas. Tout débute avec Saint Paul et sa conversion « sur le chemin de Damas » : « C’est en Syrie que le christianisme a commencé à s’émanciper du judaïsme » et, là aussi, qu’a « grandi une chrétienté consciente d’elle-même au point de nourrir une ambition universelle ». Suivrons « les schismes d’Orient », « le premier empire de l’Islam », « les croisades et Saladin », la terreur mongole, puis le retour des Européens avec « les échelles du Levant » ou « la trahison des Alliés » au lendemain de la Première Guerre mondiale. L’auteur rappelle que ce « pays de Cham » est, dans l’eschatologie islamique, « la terre de la fin des temps », des concepts médiévaux repris par Daech.
Jean-Pierre Filiu insiste sur les erreurs et les crimes commis par les Français durant la période du mandat (1920-1946). Cette histoire est peu connue dans notre pays et il faut, par exemple, lire l’Histoire des Arabes d’Eugène Rogan (Tempus) pour mesurer l’ampleur des dégâts. « Comment ne pas retrouver dans ce triste feuilleton mandataire les échos de la conflagration actuelle ? », s’interroge Filiu, fidèle à sa méthode de « concordance des temps ». C’est, selon l’auteur, le refus obstiné de comprendre qu’il s’agit d’une révolution et l’accent, excessif à ses yeux, mis sur le sort des « minorités ». « Ce discours n’a pas pris une ride depuis les propagandistes du mandat [français] jusqu’aux thuriféraires d’Assad », dit-il.
S’il n’est pas cité, Frédéric Pichon fait évidemment partie de ceux dont Jean-Pierre Filiu dénonce les thèses. Jeune spécialiste de géopolitique, auteur d’une thèse sur le village chrétien de Maaloula, Pichon considère que la Syrie est « une guerre pour rien ». Au vu de l’échec de la « révolution » déclenchée en mars 2011 et de la « résilience » du régime, il est difficile de lui donner tort. Il place son livre sous les auspices de George Orwell, qui écrivait à propos de la guerre d’Espagne : « J’ai vu l’histoire s’écrire non pas en fonction de ce qui s’était passé, mais en fonction de ce qui aurait dû se passer ».
Progressive paralysie. Pour Frédéric Pichon, « la guerre régionale qui se joue en Syrie est devenue le symptôme de l’agonie d’un ordre international en même temps que la prémisse de celui qui vient. » Il diagnostique « la progressive paralysie de l’Occident, entravé dans ses actes mais aussi ses mots, donnant la pénible impression d’un monde qui lui échappe ». Il insiste sur « la dimension religieuse de ce conflit que les acteurs, à tort ou à raison, envisagent comme un élément essentiel, tandis que ce phénomène structurant est de plus en plus inconcevable dans nos sociétés qui vivent le crépuscule du religieux ».
Moins historique que celui de Filiu, le livre de Pichon décrit la situation actuelle, après la chute d’Alep-Est, en décembre dernier. Il revient toutefois sur les fondamentaux géopolitiques, sur lesquels s’est construit le régime baasiste depuis les années soixante. « Le système est confronté à deux contradictions majeures : celle du nombre et de l’espace », écrit-il. « Issu d’une communauté minoritaire, les Alaouites, et gouvernant avec d’autres groupes minoritaires, y compris la bourgeoisie sunnite, l’État baasiste manque d’un socle suffisant. Il lui est donc nécessaire de négocier quand c’est possible et de frapper brutalement quand il le faut, c’est-à-dire la plupart du temps ».
Finalement, note-t-il, « la contestation est venue de la plus grosse partie des mécontents, les populations des petits bourgs ruraux et des campagnes, véritablement sacrifiés sur l’autel des réformes économiques et ce paradoxalement alors que le Baas avait fondé ses succès et son arrivée au pouvoir sur cette ruralité ». En 2011, « c’est la Syrie périphérique qui se soulève brutalement ». Une thèse qui séduirait sans doute le géographe français Christophe Guilluy et sa « France périphérique »…
« Les révolutionnaires qui se sont soulevés en 2011 étaient persuadés de la chute imminente du régime Assad et ce fut sans doute leur plus grave erreur », juge Jean-Pierre Filiu. Un constat qui s’apparente finalement au « sursaut d’intelligibilité » revendiqué par Frédéric Pichon.
Le miroir de Damas », de Jean-Pierre Filiu, La Découverte, mars 2017, 14 euros.
Syrie, une guerre pour rien, de Frédéric Pichon, les éditions du Cerf, mars 2017, 16 euros.