lundi 11 mars 2019


La lettre européenne #20
Chaque lundi
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11/03/2019

 


Le parti pris du lundi,
par Ludovic Lamant

Isolé. La tribune d’Emmanuel Macron adressée aux « citoyens européens » s’avère bien moins ambitieuse que son discours fleuve prononcé à la Sorbonne sur l’avenir de l’Europe, à l’automne 2017 : on l’a déjà expliqué ici.
Mais elle a au moins eu un mérite, celui de lancer la campagne, à trois mois du scrutin : Laurent Wauquiez (LR) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) y sont allés de leur réponse indignée les jours suivants (ici et ). Depuis Budapest, Viktor Orbán a ironisé sur un texte qui « pourrait marquer le début d’un débat européen sérieux », séduit, peut-être, par la volonté de Paris de « remettre à plat l’espace Schengen ».
À Bruxelles, la commission européenne a rappelé que nombre des propositions françaises, soit existaient déjà, soit avaient déjà été formulées par l’exécutif de Jean-Claude Juncker. Bref, que le chef de l’État était en train de réinventer la roue.
Mais la réponse la plus cinglante est venue de Berlin : une tribune signée de la main, non pas de la chancelière Angela Merkel, sur le départ, mais de celle présentée comme sa successeure, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK, son portrait est ici), dans le Welt am Sonntag (ici, en allemand). Mais le porte-parole de Merkel a bien pris soin de préciser que les propositions d’AKK étaient « en harmonie » avec les convictions de la chancelière…
AKK s’en prend au « centralisme européen » comme à la « communautarisation des dettes », en passant par « l’européanisation du salaire minimum ». Alors même que Macron défendait, dans son « bouclier social », un salaire minimum européen. Affront pour Paris, AKK plaide aussi pour le regroupement du parlement européen à Bruxelles, aux dépens de Strasbourg – un dossier bloqué depuis toujours par les Français (lire notre enquête de 2014 sur ce vieux serpent de mer).
La réplique allemande confirme ce qu’on savait déjà : Berlin et Paris ne s’entendent pas sur les manières de renforcer l’Europe. C’est en partie pourquoi le bilan européen de Macron piétine depuis 2017. Elle illustre aussi à quel point Macron affronte son premier test électoral en restant très isolé, sans véritables alliés sur le continent.

DANS MEDIAPART

Nos articles de la semaine.

[ORBAN] Le Parti populaire européen ira-t-il jusqu’à l’exclusion ?

Le Parti populaire européen (PPE) ira-t-il jusqu’au bout ? Lundi 4 mars, douze formations membres du grand parti de la droite européenne ont demandé l’exclusion ou la suspension du Fidesz, le parti de Viktor Orbán. Un tir groupé qui semble fragiliser le premier ministre hongrois, mais qui ne préjuge pas du résultat. Les Républicains français n'ont pas appuyé l'initiative. Lire la suite.

[DEMOCRATIE] Hongrie, Pologne: la télévision d’Etat, entre haine et manipulation

Mensonges et intimidations sont le lot quotidien dans les médias publics, mis en coupe réglée par les nationaux-conservateurs en Pologne et en Hongrie. Une enquête glaçante de Corentin Léotard, à Budapest, à lire en écho à une enquête précédente, sur la reprise en main de la Rai italienne, par un proche de la Ligue de Salvini.

[EURO] La BCE face à ses limites

Trois mois après avoir annoncé sa volonté de revenir à la normale, la BCE fait demi-tour : elle reprend une partie de sa politique monétaire accommodante pour contrer une conjoncture européenne qui se dégrade rapidement. Les banques et la zone euro ne se sont toujours pas remises de la crise. Elles risquent de ne pas être en état de faire face à une récession. L'analyse de Martine Orange.

[FEMINISME] Retour sur la grève du 8-M en Espagne

Mediapart a donné la parole à Viviane Albenga, maîtresse de conférences en sociologie à l'IUT Bordeaux-Montaigne et qui travaille actuellement sur les mobilisations féministes en Espagne, pour comprendre la spécificité des mobilisations féministes dans ce pays. Vendredi dernier, elles étaient au moins 350 000 à défiler à Madrid et 200 000 à Barcelone, et des centaines de milliers d'autres dans d'autres villes et villages.

[AUTRICHE] L’extrême droite au pouvoir s’en prend aux ONG

Suite de notre travail de veille sur l'extrême droite au pouvoir à Vienne, réalisé par Corentin Léotard. Le gouvernement veut créer une agence fédérale responsable de la prise en charge des demandeurs d’asile et mettre ainsi fin aux contrats des ONG auxquelles, jusqu’à présent, était confiée cette mission. L'annonce s’inscrit dans un contexte de tensions entre les associations pro-migrants et le gouvernement. Notre article.

EUROVISIONS

Ailleurs dans la presse internationale.

[PARADIS FISCAUX] Gros plan sur le « lavomatic Troïka », scandale financier qui secoue l’Europe

C’est un scandale de blanchiment d’argent russe à grande échelle, révélé le 4 mars par un média d’investigation lituanien et un collectif de journalistes, l’OCCRP, à partir d’une fuite de données bancaires. Celles-ci concernent 1,3 million de transactions entre 233 000 entreprises.
Dans le viseur : le suivi de quelque quatre milliards d’euros d’argent sale, sortis de Russie sur la période 2006-2013, et passés par des paradis fiscaux. Le résumé des mécanismes du « lavomatic Troïka » est ici. L’article du Guardian sur les liens du prince Charles avec l’argent russe, ici.

[MULTINATIONALES] Les partis européens se financent aussi par le privé

Après la sortie de Marine Le Pen la semaine dernière, affirmant que Bayer-Monsanto finance « le parti d'Emmanuel Macron au parlement », c'est-à-dire, d'après elle, les libéraux d'ADLE, Le Monde a enquêté sur le sujet : les centristes de l'ADLE (auxquels le Modem ou l'UDI sont rattachés) ont reçu en 2018 quelque 122 000 euros de la part de huit multinationales et lobbys. Mais le mécanisme est plus vaste : quelque 83 entreprises ont versé plus d'un million d'euros au cours de la dernière mandature à cinq grands partis politiques européens.

DANS LE CLUB

Nos abonnés interviennent.

[ESPAGNE] Controverse sur une affiche de campagne de Podemos

Quand ça veut pas… Retour sur les derniers sursauts de la crise interne à Podemos, notamment le fiasco d'une affiche de campagne à la gloire de Pablo Iglesias, décrypté ici.

[POLOGNE] Alerte sur un nouveau projet de construction dans une zone naturelle classée

En Pologne, un an après le recul forcé du gouvernement conservateur pour exploiter la dernière forêt primaire d’Europe, le parti au pouvoir Droit et Justice vient de faire couper illégalement 10 000 arbres dans une zone naturelle classée. Le but ? La construction d’un canal qui permettrait au pays d’accéder à la mer Baltique sans faire passer ses navires dans les eaux territoriales russes. À lire ici.

UN ŒIL SUR LA RECHERCHE

À l‘affût des travaux universitaires.

[ELARGISSEMENT] Les ratés de l’UE dans la démocratisation des Balkans occidentaux

Récemment dans Mediapart, Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin évoquaient la vague de contestations populaires qui a gagné les Balkans occidentaux. Tout juste paru dans le Journal of European Public Policy, un article universitaire signé par Solveig Richter et Natascha Wunsch jette une lumière dérangeante sur la politique de conditionnalité pratiquée par l’Union européenne (UE) à l’égard de ces pays. En échange d’une perspective d’adhésion, ceux-ci doivent mettre en œuvre un certain nombre de réformes censées les transformer en authentiques démocraties libérales. 
Ces dernières années, leurs performances démocratiques ont cependant été médiocres — Florian Bieber, dans un autre article publié par East European Politics, identifie même une nouvelle génération d’« autoritarisme compétitif ». Or, cela ne s’explique guère par des résistances domestiques aux exigences européennes. Au contraire, les deux chercheuses font le constat d’un découplage entre les réels progrès enregistrés sur les critères d’adhésion, et la stagnation, voire le déclin des performances démocratiques. 
Elles affirment que ce découplage est dû au fait que le processus d’adhésion a renforcé la « captation de l’État » par des intérêts privés qui se subordonnent les circuits de décisions et les institutions publiques. Même si la politique de conditionnalité ne recherche pas, ni n’est à l’origine de cette captation de l’État, ses mécanismes n’aident pas du tout à la contrecarrer.
Les auteures pointent notamment un processus qui légitime des élites corrompues, leur donne la main sur des programmes n’impliquant aucun contre-pouvoir, et maximise les risques en exigeant des réformes pro-marché à un stade très précoce de libéralisation du système politique. Pour Richter et Wunsch, il faudrait surtout augmenter le pouvoir des parlements nationaux et l’influence et de la société civile. 
À l'approche des élections européennes, en mai 2019, et de la sortie de l'UE du Royaume-Uni, prévue en mars prochain, Mediapart lance une newsletter hebdomadaire spéciale Europe, chaque lundi. Pour tout comprendre aux crises qui fissurent le continent.
La newsletter #20 a été réalisée par Ludovic Lamant et Fabien Escalona. Vous souhaitez nous faire des retours ? Vous pouvez écrire à : ludovic.lamant@mediapart.fr
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