dimanche 12 mars 2017

Lettre ouverte à monsieur Charkaoui

                
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Monsieur Charkaoui
Permettez-moi d’écrire ces quelques lignes suite à votre coup de gueule, accusant notamment les médias de vous avoir calomnié. J’ai suivi attentivement votre intervention auprès de Mme Anne-Marie Dussault, journaliste à Radio-Canada. Tristesse est de constater que vous ne condamnez toujours pas les actes commis par l’EI. Tristesse est de constater que vous nourrissez, de par votre double langage, l’islamophobie...


Vous dites que vous militez contre l’islamophobie et pour que les musulmans aient les mêmes droits : avec qui? Je ne le sais pas. À titre personnel et originaire de cette culture, je considère que j’ai les mêmes droits que n’importe quel autre citoyen de ce pays. Contrairement à vous, je n’oublie pas aussi que j’ai les mêmes devoirs. Vous n’avez pas, au nom de cette communauté dont vous vous êtes autoproclamé porte-parole, condamné ces groupes extrémistes. Au sens de la population entière, y compris de la communauté musulmane, vous faites de nous des complices passifs. Je m’indigne donc et rejette votre attitude de cheikh autoproclamé.
Vous avez parlé d’Afghanistan, d’Irak, et de Gaza, mais comment se fait-il que vous ne parliez pas d’Algérie ou du Pakistan, de Boko Haram et des milices Shebabs? Pourtant les milices Shebabs et le GIA en l’Algérie avaient fait leur exaction bien avant Gaza, l’Afghanistan ou l’Irak. Vous parlez, à vos élèves, seulement du mal que les Occidentaux font au Moyen-Orient, d’après ce simple décompte quatre conflits sur sept opposent des intégristes à des musulmans. Vous ne parlez pas des talibans et du wahhabisme. Ah oui, de ce côté, c’est vrai, j’ai oublié que vous encouragez, vos élèves à lire, plutôt leurs livres, mais bien sûr, vous n’êtes pas responsables des lectures de vos élèves. Quelle hypocrisie!
Pour votre malheur M.Charkaoui, sachez que je fais partie de cette génération née, à la fin des années 1980, en Algérie, et dont les premiers souvenirs, d’enfant, correspondent au début de la guerre civile. Je n’ai pas eu d’enfance, ni d’adolescence, au sens universel du terme, et pourquoi M.Charkaoui? La réponse est fort simple : à cause d’islamistes comme vous. On a grandi au gré des check-points, barrages militaires, routes barrées et autres stratégies militaires. Je vous rappelle que cette guerre a été provoquée, par des islamistes au même discours que celui que vous portez devant les caméras. Je ne connais, que trop bien le discours des islamistes à la langue fourchue et au venin foudroyant. Aujourd’hui, je suis certes seul à m’exprimer dans les tribunes de la presse, mais demain, on sera plus nombreux, je suis confiant. Des gens qui se sont déjà exprimés joindront leur plume à la mienne et on refusera votre discours. On refusera aussi toute forme de violence, et on refusera l’amalgame. Force est de constater qu’avec votre barbe vous ne faites que renforcer le stéréotype.
Durant les années 1990, la résistance algérienne s’est organisée autour d’intellectuels, dont beaucoup ont été assassinés par des islamistes, parce qu’ils pensaient différemment, parce qu’ils parlaient d’amour. Au nom de ce combat mené, je me dresse et vous interdit de parler en mon nom, dans un pays que j’ai choisi, pour vivre loin de votre religion politique. Je choisis le camp de la démocratie, de l’honnêteté intellectuelle, du respect, de l’amour. Je choisis de vivre et non de mourir. Je choisis d’aimer la vie avec ce qu’elle a d’imparfait et de beau.
La communauté dont nous sommes originaires a besoin de vrais leaders, pour s’exprimer dans l’espace public, pas de charlatans tels que vous. Les musulmans sont des personnes à part entière, et non comme vous le soutenez, des citoyens de seconde zone, leur religion est personnelle et vous n’avez pas le droit de parler au nom de cette religion. Vous n’avez aucun poids, face à la force de la démocratie et de la liberté.
Il est vrai que notre société d’accueil est imparfaite. Que dis-je? NOTRE SOCIÉTÉ, tout simplement, avec ses défauts et ses qualités. Je n’hésite pas à vous condamner, vous. Par votre discours à l’emporte-pièce, vous nourrissez sans cesse une classe politique qui justifie l’islamophobie. De par votre attitude défiante et narquoise, vous faites le discours du EUX exclusif et du NOUS reclus sur nous-mêmes, de par votre volonté de nous exclure et d’imposer votre islam à tout le monde, on devient de facto des fous d’Allah.
Moi je fais le discours du nous, Québécois, fier de NOTRE province avec ses qualités et sa diversité. Moi je fais le discours de l’amour et du partage, pas celui de la haine. Ce discours passe obligatoirement par la condamnation de l’EI, et je condamne vigoureusement ces monstres. À titre de personne issue de la culture musulmane, je ne m’excuse pas et ne me justifie pas, je condamne simplement leur barbarie, et je choisis mon camp.
M. Charkaoui, et je finirais sur cette note-là, je ne vous autorise plus une seule minute, à parler en mon nom, je ne vous autorise pas à parler d’islamophobie, car, à mon sens, vous êtes responsable de la situation actuelle. Vous représentez l’idéologie salafiste dans son appareil le plus simple et le plus perfide. Si la communauté vous tient tant à cœur, il est grand temps que vous appreniez à vous taire.
À bon entendeur, salut.


Omar Kesraoui
 

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