La viabilité financière du Québec et du Canada
13 octobre 2017
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Viabilité financière
Hélène Buzetti explique finalement mieux le concept de viabilité financière dans son article que ne le fait le rapport du DPB :
«La viabilité financière est un concept économique qui ne signifie pas qu’une entité gouvernementale est en équilibre budgétaire. Loin de là. Il s’agit plutôt de calculer si le niveau d’endettement d’un gouvernement (sa proportion par rapport à la taille de l’économie) restera le même au cours des 75 prochaines années considérant les niveaux actuels de revenus et de dépenses et les projections démographiques [et économiques]. Si le pourcentage d’endettement projeté reste le même, on dit qu’il y a viabilité financière. Si le pourcentage est appelé à diminuer, alors on dit que le gouvernement a une marge financière.»Avec une telle définition, il est clair qu’il faut faire attention aux conclusions qu’on peut tirer d’un tel exercice, qui vise à estimer la viabilité financière de 2017 à 2091 des politiques budgétaires actuelles des gouvernements fédéral et provinciaux. D’ailleurs, si cet exercice était précis, le DPB n’aurait pas besoin de le mettre à jour chaque année! La nouveauté de son rapport de 2017 est d’avoir diffusé des estimations pour chaque province plutôt que seulement pour l’ensemble de ce qu’il appelle les administrations infranationales (provinces et territoires). Cela nous permet d’examiner les résultats pour chaque province. Dans ce billet, je présenterai succinctement les résultats pour le gouvernement fédéral, le Québec, l’Ontario et l’Alberta. Je ne ferai toutefois qu’effleurer la méthodologie utilisée par le DPB.
Gouvernement fédéral
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Il montre aussi que le pourcentage des dépenses de programme (excluant donc les frais de la dette publique) du gouvernement fédéral (ligne dorée) sur le PIB a diminué de façon importante depuis 1990 (trait plein), passant d’un sommet de 17,9 % en 1992 à 13,4 % en 2016; le DPB prévoit (points dorés) que ce pourcentage diminuera légèrement à moyen terme jusqu’à 12,8 % en 2022, remontera à 13,0 % en 2030, puis diminuera graduellement par la suite pour atteindre 11,3 % en 2091.
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Au bout du compte, en tenant compte aussi de la légère baisse en importance des transferts aux provinces (de 4,4 % du PIB en 2016 à 4,0 % en 2091), ces changements feraient en sorte que le pourcentage de la dette nette sur le PIB, qui est déjà passé de son sommet de 73 % en 1996 (voir les barres grises du graphique du début de cette partie) à 45 % en 2016, deviendrait négatif en 2062 et terminerait la période de prévision (en 2091) à -58 %! Le DPB conclut que le gouvernement fédéral pourrait augmenter ses dépenses ou diminuer ses revenus d’une moyenne de 1,2 % du PIB chaque année de cette période sans remettre en cause sa viabilité financière, ce qui représente 24,5 milliards $ en 2016. En prenant d’autres hypothèses, le DPB en arrive à des marges de manœuvre variant de 0,5 à 2,1 % du PIB, ou de 10 à plus de 40 milliards $. Bref, non seulement nos prophètes de malheur peuvent se calmer, mais ce gouvernement a les moyens d’améliorer ses programmes (transferts aux personnes âgées et aux provinces, assurance-emploi, etc.) sans mettre en danger sa viabilité financière et même sans avoir besoin d’augmenter ses revenus!
Québec
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Ce graphique montre aussi que le pourcentage des dépenses de programme (excluant ici aussi les frais de la dette publique) du gouvernement du Québec (ligne dorée) sur le PIB a diminué quelque peu depuis 2009 (année de récession, trait plein), passant de 32,2 % à 31,1 % en 2016; le DPB prévoit (points dorés) que ce pourcentage augmentera légèrement et graduellement par la suite pour atteindre 32,7 % du PIB en 2091. Cette augmentation de 1,6 point de pourcentage est le résultat d’une hausse bien plus importante dans le secteur de la santé (2,8 points), hausse atténuée par des baisses de 1,2 point en éducation, en services sociaux et dans les autres domaines.
Ces surplus budgétaires consécutifs de quatre à cinq points de pourcentage auraient un effet cumulatif majeur sur la dette nette. Elle qui correspondait à un peu plus de 52 % du PIB en 2012 et à 47 % en 2016 serait totalement éliminée dès 2031 et atteindrait un surplus ahurissant de 370 % du PIB en 2091! Selon les calculs du DPB, ce surplus correspondrait en 2016 à 3,0 % du PIB québécois (surplus variant de 2,2 % à 3,6 % du PIB en utilisant des hypothèses démographiques et économiques plus pessimistes ou plus optimistes) et permettrait au gouvernement du Québec d’augmenter ses dépenses de 9 %, soit de 11,7 milliards $ (ou, selon les hypothèses, d’une somme allant de 8,6 milliards à 14,0 milliards $) ou de diminuer ses recettes de 8 %. Je reviendrai sur les conséquences de ce constat en conclusion.
Ontario
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Ce graphique montre aussi que le DPB prévoit que le pourcentage des dépenses de programme (points dorés) sur le PIB passera de 23,5 % du PIB en 2016 à 22,6 % en 2021, avant d’augmenter graduellement par la suite pour atteindre 24,5 % du PIB en 2091.
Ces deux évolutions feraient en sorte que le solde primaire du budget de l’Ontario passerait d’un surplus de 1,4 point de pourcentage en 2021 à un déficit à compter de 2045, déficit qui augmenterait graduellement pour atteindre 0,9 point en 2091. Sa dette nette connaîtrait son plancher de 26,5 % du PIB en 2031 puis augmenterait par la suite pour atteindre 82,5 % du PIB en 2091. Le DPB ne considère pas cette situation viable. Mais il suffirait d’une baisse des dépenses ou d’une hausse des recettes de 2 % pour régler ce problème, variations qui correspondent à 0,4 % seulement du PIB ontarien (ou 3,5 milliards $). On voit donc que l’utilisation d’une période aussi longue de prévision a tendance à accentuer les problèmes et à les rendre plus menaçants qu’ils ne le sont vraiment. D’ailleurs, des hypothèses plus optimistes auraient transformé cet écart négatif de 0,4 % du PIB en un écart positif de 0,2 %, mais des hypothèses plus pessimistes l’auraient fait atteindre 1,2 %. Bref, il y a peu de choses à craindre dans ce verdict.
Alberta
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Du côté des dépenses, ce graphique montre la grande variabilité des dépenses (ligne dorée) de 2008 à 2016, celles-ci étant passées de 16,8 % du PIB en 2014 à 23,7 % en 2016, hausse qui s’explique plus par la baisse du PIB (de 18 %) que par la hausse des dépenses (de 16 %). Tout en soulignant l’incertitude de l’évolution de ce pourcentage, le DPB prévoit tout de même (c’est son travail…) que le pourcentage des dépenses de programme (excluant les frais de la dette publique) du gouvernement de l’Alberta (points dorés) sur le PIB passerait de 23,7 % du PIB en 2016 à 21,3 % en 2021, avant d’augmenter graduellement par la suite pour atteindre 23,4 % du PIB en 2091, hausse due uniquement à l’augmentation des dépenses de santé.
Ces deux évolutions feraient en sorte que le solde primaire du budget de l’Alberta serait fortement déficitaire tout au long de cette période, avec une ampleur augmentant graduellement de 2,8 % en 2019 à 5,1 % en 2091. Sa dette nette exploserait, passant de seulement 1 % en 2016 (cette province avait un surplus représentant 15 % du PIB en 2009) à 323 % du PIB en 2091! C’est dans le fond une situation directement opposée à celle du Québec. Le DPB ne considère évidemment pas cette situation viable. Pour que cette situation soit viable, le gouvernement albertain devrait diminuer ses dépenses de 20 % ou augmenter ses recettes de 25 %, variations qui correspondent à 4,6 % du PIB albertain ou 14,1 milliards $. Les hypothèses plus optimistes et plus pessimistes font varier ce besoin de 3,2 % à 5,4 % du PIB, soit de 9,8 à 16,6 milliards $. Cela semble énorme, mais cela ferait passer le pourcentage des recettes de l’Alberta de 18,5 % du PIB à une fourchette allant de 21,7 à 23,9 % du PIB, soit grosso modo le niveau des recettes de l’Ontario (23,5%), et bien loin encore de celui des recettes du Québec (34,9 %). Cette hausse peut sembler bien raisonnable, mais, compte tenu du climat politique albertain, elle pourrait bien entraîner une révolution!
Portrait de la viabilité financière de l’ensemble des administrations infranationales
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Finalement, je voudrais répéter que ces estimations sont fortement explosives en raison de la longue période de prévision, où la situation de départ est simplement prolongée sans changement de fiscalité ou de conjoncture. D’ailleurs, l’estimation du manque à gagner des administrations infranationales dans le rapport de l’an passé était de 1,5 % du PIB canadien ou de 30,2 milliards $, soit 60 % de plus que le manque à gagner estimé cette année (18,7 milliards $). Cela montre bien qu’il faut prendre ces estimations avec des pincettes, qu’elles sont faites pour lancer des signaux, pas pour être prises à la lettre. Malheureusement, je le rappelle, le rapport de l’an passé (et ceux des années précédentes) ne fournissait pas de données par province. J’aurais bien aimé voir les estimations du DPB des cinq dernières années pour l’Alberta et le Québec!
Et alors…
Ce rapport, malgré toutes les réserves qu’il faut prendre dans l’interprétation de ses estimations, vient apporter un élément de preuve supplémentaire de l’imposture utilisée par le gouvernement libéral du Québec pour vendre ses politiques d’austérité. Il disait en effet à son arrivée au pouvoir que la situation budgétaire du Québec était catastrophique. On peut d’ailleurs lire dans le discours du premier budget de ce gouvernement que «Pour 2014-2015 et 2015-2016, si rien n’était fait, le Québec serait confronté à des déficits respectifs de 5,9 milliards de dollars et de 7,6 milliards de dollars, ce qui l’éloignerait de nouveau du retour à l’équilibre budgétaire». En entrevue, Carlos Leitao, ministre des Finances, osait même prétendre que si on ne faisait rien, la situation budgétaire du Québec se comparerait à celles de la Grèce et du Portugal d’ici 5 ans! Sans avoir pu tout comptabiliser, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) estime que ce gouvernement a effectué pour au moins 4 milliards $ de compressions budgétaires, touchant aussi bien les enfants, les jeunes que les aîné.es, et plus particulièrement les femmes du Québec.
On savait déjà que ces compressions étaient idéologiques et non pas nécessaires comme ce gouvernement le prétendait. Le surplus de 4,5 milliards $ en 2016-2017 le montrait déjà, surplus qui est parti pour être encore plus élevé cette année (2017-2018) avec un surplus de 1200 millions $ en quatre mois, soit plus du double du surplus de 571 millions $ pour les quatre mêmes mois de l’année financière précédente. Mais, avec le rapport du DPB, on réalise que, même si la marge de manœuvre de 11,7 milliards $ qu’il a calculée était surestimée (ce qui ne semble pas être le cas, car elle correspond assez bien avec la différence entre le surplus de 4,5 milliards $ en 2016-2017 et le déficit qu’aurait pu se permettre le Québec pour stabiliser son ratio de la dette sur le PIB, objectif qui est à la base du concept de viabilité financière) et était plus près de son estimation minimale (8,6 milliards $), il est clair que la situation du Québec était en 2014 beaucoup plus solide que ne le prétendait M. Leitao à l’époque et même qu’elle était déjà viable. Cela dit, il est clair que ce gouvernement est déjà parti pour utiliser une bonne proportion de cette marge de manœuvre pour annuler une partie des compressions qu’il disait pourtant nécessaires et pour accorder une baisse d’impôts à ceux et celles qui en ont le moins besoin. Ne retenez pas votre souffle, le Québec n’aura pas un surplus correspondant à 370 % de son PIB en 2091!
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