lundi 14 mai 2018

Ottawa doit cesser de favoriser Google et Facebook


Google, Facebook et d’autres géants étrangers de l’Internet soutirent 80% des revenus de publicité numérique canadiens.
Photo: Damien Meyer Agence France-Presse Google, Facebook et d’autres géants étrangers de l’Internet soutirent 80% des revenus de publicité numérique canadiens.
La Presse, un des plus grands journaux canadiens, a annoncé mardi que son modèle d’affaires, après une exploitation durable de 134 ans, n’était désormais plus viable. C’est un jour sombre pour les médias canadiens et pour la démocratie qu’ils alimentent.
Comme facteur clé de cette restructuration, les dirigeants de l’entreprise ont montré du doigt la fuite des revenus publicitaires vers Google et Facebook, une réalité aggravée par la politique d’Ottawa, qui subventionne les entreprises pour l’achat de publicité sur Google et Facebook.
L’ensemble du secteur médiatique canadien est confronté à ce problème.
Google, Facebook et d’autres géants étrangers de l’Internet soutirent 80 % des revenus de publicité numérique canadiens, et cette prédominance démesurée vampirise les salles de nouvelles indispensables pour défendre notre démocratie de la corruption et des fausses nouvelles.
Comme ultime tentative pour garder la tête hors de l’eau, La Presse se restructurera en organisme à but non lucratif afin de se qualifier pour des subventions gouvernementales et des dons de bienfaisance. […]
Il s’agit d’un autre signal d’alarme. La crise des médias est bien présente, elle frappe fort, et elle piétinera la quasi-totalité du journalisme canadien si nous n’intervenons pas dès maintenant.
La question est la suivante : que faudra-t-il pour qu’Ottawa intervienne afin de sauver nos médias ?
Si La Presse n’arrive pas à survivre en tant qu’entreprise, la plupart des organes de presse canadiens ont peu de chances d’y parvenir. Ottawa doit prendre des mesures concrètes pour résoudre cette crise dès maintenant.
Dans son budget 2018, le gouvernement fédéral a créé un fond de 50 millions de dollars pour aider les publications à prendre le « virage numérique ». Ottawa a aussi annoncé une étude d’un an pour évaluer si le journalisme devrait être financé par des dons caritatifs. Qu’est-ce qui cloche dans ces mesures ? Pratiquement tout.
D’abord, La Presse […] est déjà un média entièrement numérique. C’est un chef de file mondial à cet égard, mais cela ne suffisait pas à la rentabiliser.
Qui plus est, cette approche ouvre la porte des salles de nouvelles canadiennes qui ne sont plus imperméables au gouvernement et aux gros capitaux, la parfaite recette pour une influence indue sur les actualités.
Et, même en faisant abstraction de ces problèmes, pour survivre, les médias canadiens ont besoin de bien plus grandes sommes que celles que le gouvernement et les fondations sont susceptibles de lui apporter.
Il existe une solution basée sur le marché qui peut apporter assez d’argent aux médias canadiens, tout en évitant les écueils éthiques des subventions gouvernementales. Cette solution ne coûte rien — en fait, elle ferait économiser le gouvernement. Mais, elle requiert qu’Ottawa colmate une brèche dans la Loi de l’impôt sur le revenu.
L’année dernière, les annonceurs canadiens ont dépensé plus de 5 milliards en publicité numérique. Alors que ces revenus ont déjà soutenu des médias crédibles, tels que La Presse, qui produisent des reportages critiques au service de la démocratie, ils filent maintenant tout droit, sur une voie hors taxes, jusque dans les poches de Google, Facebook et d’autres géants américains d’Internet. Pendant que ces revenus publicitaires passent chez nos voisins du Sud, La Presse et d’autres médias canadiens sont menacés d’extinction.
Ottawa encourage même cet exode. La section 19 de la Loi de l’impôt sur le revenu récompense les annonceurs canadiens qui travaillent avec les médias canadiens, en imposant un obstacle fiscal aux compagnies qui annoncent auprès d’un auditoire canadien par l’entremise de médias étrangers.
Voilà le hic : le gouvernement n’applique pas ces lois aux médias transmis par Internet. Vous êtes libres de placer une annonce dans l’édition canadienne du New York Times, mais son coût ne sera pas déductible. Si vous placez la même annonce sur nytimes.com, vous récolterez la pleine déduction qui est censée être réservée à ceux qui achètent leur espace publicitaire dans les médias canadiens.
Le gouvernement fédéral favorise aussi les entreprises technologiques étrangères par d’autres moyens, notamment par ses propres achats publicitaires. Les géants d’Internet ne veulent pas jouer selon les règles, et Ottawa se contente de les laisser faire.
En refusant de colmater cette brèche, le gouvernement accorde une subvention annuelle de 1,3 milliard aux compagnies canadiennes pour leurs achats publicitaires auprès de Google, Facebook, et d’autres géants de l’Internet, dont plusieurs se sont considérablement déshonorés.
Colmater cette brèche rapatrierait des revenus publicitaires annuels de 440 millions pour soutenir les médias canadiens et leur travail crucial au service de la démocratie.
N’attendons pas qu’une autre grande entreprise médiatique aille rejoindre La Presse aux soins intensifs avant de colmater cette brèche.

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