lundi 19 mars 2018


France / LGBTQ
Le voile n’est pas incompatible avec le féminisme

Rokhaya Diallo — 13 mars 2018 à 7h39 — mis à jour le 13 mars 2018 à 14h19
La régression ne réside pas dans le fait de porter le voile, mais dans celui d’imposer aux femmes E




Sitting alone | @pantiumforce via Unsplash License by 


LE VOILE
 

«Le voile est un symbole. Un cheval de Troie. Un danger. Comment lutter contre sa banalisation? Lutter contre le voile n'est pas lutter contre les musulmanes. Est-ce si compliqué à comprendre?» En un tweet, la féministe Isabelle Alonso résume cette aversion très française contre le voile que portent certaines musulmanes. Un voile qui fait l’objet d’une incroyable attention dans le débat politique national depuis près de trente ans. Isabelle Alonso répondait à Anaïs Bourdet, fondatrice du collectif «Paye Ta Shnek» contre le harcèlement de rue, qui constatait: «la “lutte contre la soumission des femmes musulmanes”, consiste à limiter les droits et libertés des femmes musulmanes. Quel merveilleux combat que voilà...».

Elle appuyait un tweet qui listait ainsi les restrictions apportées progressivement aux activités de certaines femmes, en se référant à plusieurs polémiques récentes déclenchées par la visibilité de musulmanes portant un foulard religieux.

Rappelons le, le principe de laïcité n’interdit en rien le port de signes religieux y compris dans l’espace public. Au contraire la laïcité protège la liberté de conscience. Seuls l’État et ses représentants doivent se montrer neutres.
L'ineptie de la comparaison avec l'Arabie saoudite

En tant que féministe, ma priorité a toujours été de placer la volonté des femmes au cœur de la lutte. «Mon corps m’appartient» était le slogan des féministes durant les années 1970, et il me semble aujourd’hui plus pertinent que jamais. Je définis ma position comme «pro choix», je milite pour que chaque femme puisse disposer librement de son corps. En ce sens, je soutiens de la même manière les femmes qui aujourd’hui luttent –en Iran et partout dans le monde– contre le port du voile obligatoire que celles qui en France ou ailleurs souhaitent le porter.

Je suis choquée de voir à quel point les Françaises portant le hijab sont régulièrement renvoyées à la situation actuelle de femmes dans des pays tels que l’Iran ou l’Arabie saoudite. Comme si l’esprit essentialiste de certaines et certains ne pouvait pas concevoir le fait que ces femmes étaient des Françaises à part entière sans aucun lien avec leurs coreligionnaires vivant dans d’autres pays. Comme si les actes des musulmans et musulmanes de France ne pouvaient être analysés que sous le prisme de pratiques ayant cours à l’étranger.

Comment pourrait-on lire le foulard de manière univoque où qu’il soit porté dans le monde? Peut-on comparer la démarche d’une citoyenne française libre avec celle d’une habitante d’un pays dont la loi opprime explicitement les femmes? Porter le voile dans une théocratie autoritaire dont l’élite et l’écrasante majorité des personnes sont musulmanes et musulmans ne peut aucunement avoir le même sens que le fait de l’arborer dans un pays démocratique et laïque où ils représentent moins de 10% de la population et en composent les franges les plus pauvres. Dans un cas, le voile est un outil d’oppression destiné à contrôler et à contraindre l’identité féminine imposé par le pouvoir, tandis que dans l’autre il rend visibles des citoyennes dans un contexte où leur identité religieuse est minoritaire et stigmatisée. On ne peut donc décemment pas juger des pratiques musulmanes en France à l’aune de ce qui se passe à des milliers de kilomètres. Sauf à penser que toutes les musulmanes du monde sont identiques, et à dénier à celles et ceux qui sont des citoyennes et citoyens français leur ancrage dans leur pays.
Ce qui est inacceptable, c’est la contrainte, et non le vêtement

Par ailleurs, il est important de rappeler que les femmes iraniennes ne se mobilisent pas «contre le voile», comme cela a été rapporté par de nombreux médias français, mais contre son caractère obligatoire. Dans ce combat parfaitement légitime, les femmes qui ne souhaitent pas porter le hijab sont également soutenues par des femmes qui désirent le garder. Ce qui est inacceptable, c’est la contrainte, et non le vêtement.

Il est étonnant de voir le nombre d’hommes qui se déclarent féministes dès lors qu’il est question des signes religieux associés à l’islam. En 2009 par exemple, lors des débats ayant précédé l’interdiction du port du voile intégral, il a suffi d’agiter la figure de «l’étranger» pour que miraculeusement certains de nos représentants politiques se fassent les parangons de l’antisexisme. C’est cette formule magique qui, au nom des droits des femmes, a soudainement rendu urgente l’émancipation des femmes «opprimées» par le port du voile intégral. Que certains de ces nouveaux défenseurs de la cause féminine (Jacques Myard, Lionnel Luca ou Thierry Mariani entre autres) se soient dans un passé proche opposés aux avancées féministes, comme la réforme de l’IVG et de la contraception, n’a semblé étonner personne. Ni le fait que ce féminisme à géométrie variable ait été manifesté par des élus qui siégeaient alors sans états d’âme dans une Assemblée nationale composée à 82% d’hommes.
Bernard de La Villardière, cas typique et désespérant

J’ai récemment échangé des mots assez vifs avec le journaliste Bernard de La Villardière, qui s’est fait à l’occasion le très opportuniste porte-parole des femmes victimes de l’extrémisme islamique. Opposé à la présence du hijab dans l’espace médiatique, il a expliqué sa virulence à l’égard de ce vêtement par sa grande conscience des enjeux féministes.

C’est pourtant la Villardière qui, en 2013, chantait les louanges de Dominique Strauss-Kahn en souhaitant son retour en politique malgré les multiples accusations d’agressions sexuelles qui avaient accompagné sa carrière. «Je trouve qu’on a été très injuste à son égard», regrettait-il alors en qualifiant le viol présumé de Nafissatou Diallo à New York de «moment d’égarement.» Une bien curieuse manière de défendre les femmes opprimées... Lors d’un dîner organisé dans le cadre d’une émission de télévision, ce grand féministe qu’est Bernard de La Villardière avait enchaîné les déclarations hasardeuses en se vantant d’avoir «fait le tour du monde des putes», avant de s’insurger sous couvert d’humour lorsqu’une des hôtesses avait pris la parole en s’exclamant: «Depuis quand les domestiques interviennent? C’est insupportable!»

Ces quelques exemples que l’on pourrait multiplier à l’envi démontrent la volonté de certaines personnalités, qui ne prennent jamais part au débat contre le sexisme en France, d’instrumentaliser la cause des femmes pour habiller leur condescendance paternaliste. Ou comment revêtir l’armure du preux «sauveteur» des femmes victimes de «l’islam» sans jamais dire un mot du sexisme qui constitue leur bain quotidien, celui des élites françaises. Leur silence est tout autant assourdissant lorsqu’il s’agit des 700 millions de femmes victimes de violences conjugales dans le monde, des 20 millions d’avortements réalisés dans des conditions dangereuses avec 47 000 mortes chaque année (soit une femme toutes les neuf minutes!), ou des viols massifs utilisés dans des pays comme le Congo comme arme de guerre. Seul le sexisme lié à des pratiques qui leur permet de pointer l’islam du doigt semble retenir leur attention.
Le voile comme la jupe sont des marqueurs de féminité

Je crois que le voile est un marqueur de féminité qu’il ne faut pas isoler du reste des symboles qui distinguent les femmes des hommes. J’emploie le terme de «marqueur» sans valorisation positive, ni négative –il s’agit là d’un simple constat. Comme d’autres vêtements, perçus comme culturellement acceptables, le voile a pour vocation de distinguer les hommes des femmes. Personne ne voit dans les jupes des instruments de domination alors qu’elles sont l’apanage des femmes et les désignent comme telles. Selon l'analyse de la sociologue Colette Guillaumin, elles sont «destinées à maintenir les femmes en état d'accessibilité sexuelle permanente, permettent de rendre les chutes […] plus pénibles pour l'amour-propre» et entravent leur «liberté motrice». Les talons hauts fortement déconseillés par bien des spécialistes de la santé sont de véritables instruments de maltraitance du corps. Sarah Jesssica Parker, la star de Sex and the City connue pour son amour des chaussures de luxe, a d’ailleurs récemment déclaré: «Les talons hauts ont détruit mes pieds.»

À travers le monde, de nombreuses femmes choisissent volontairement de porter des prothèses mammaires pour des raisons esthétiques (je n’inclus pas les cas de chirurgie réparatrice qui relèvent d’autres motivations). Le scandale des implants PIP fabriquées en dépit de toutes normes sanitaires qui avait mené plusieurs femmes à la mort, montre à quel point cette pression esthétique peut conduire à des pratiques dangereuses.

Dans ce contexte, le voile ne constitue pas une exception. On peut légitiment débattre de son caractère sexiste, mais on ne peut en aucun cas l’isoler d’une réflexion plus globale sur les pratiques normatives corporelles et les codes vestimentaires qui distinguent les femmes et les hommes dans nos sociétés.
Je suis moi-même musulmane et j’ai choisi en toute conscience de ne pas porter de hijab

Je suis sans doute mieux placée que bien de ces féministes du dimanche pour témoigner de l’importance du choix. Dans ma famille, certaines femmes sont voilées et d’autres ne le sont pas, et c’est la coexistence de ces modèles pluriels que je défends.

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Je regrette que, lorsqu’il s’agit du voile, la parole des femmes qui le portent ne soient jamais placée au centre du débat. Je déplore le fait de voir tous ces hommes, féministes de circonstances, parler à leur place sans jamais prendre la peine de les solliciter. On n’interroge jamais les femmes françaises voilées sur leur choix (car oui, elles le portent volontairement dans leur majorité). Pourtant, tout le monde semble mieux savoir qu’elles pourquoi elles portent le voile et comment elles devraient présenter leurs corps, comme si elles étaient dénuées de volonté propre et de capacité à articuler une explication quant à leur choix. Or, nier la volonté propre des femmes, c’est participer à leur oppression.

Lutter afin qu’aucune femme ne soit contrainte de se voiler ou de se dévoiler, c’est la philosophie qui devrait animer toutes et tous les féministes. La régression ne réside pas dans le fait de porter le voile mais dans celui d’imposer aux femmes une norme vestimentaire en leur interdisant de choisir quels habits elles peuvent revêtir.

Je n’ai jamais songé à porter un voile mais je refuse de vivre dans un monde où toutes les femmes se ressemblent. Et je crois que les voix vers l’émancipation sont multiples. J’ai la conviction que l’on peut être féministe et porter un foulard traditionnel ou religieux. La célèbre avocate iranienne Shirin Ebadi, défenseuse des droits des femmes en Iran, avait effrontément défié les extrémistes de son pays en ne portant pas de voile lors de la remise de son Prix Nobel de la Paix, malgré les menaces.

Pour autant, Shirin Ebadi s’est toujours montrée critique quant aux positions anti-voile en France. Elle était opposée à son interdiction dans les écoles françaises en 2004, qui selon elle privait les jeunes femmes musulmanes des outils de leur émancipation. Et elle s’était indignée en 2016 lors de la controverse autour du burkini, du fait qu’une fois de plus «les femmes étaient montrées du doigt».

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Je mets au défi quiconque de remettre en question le féminisme de la Pakistanaise Malala Yousafzai qui se bat en faveur des droits scolaires des filles ou de la Yéménite Tawakkol Karman, Prix Nobel de la Paix, fondatrice du groupe «Femmes journalistes sans chaînes». Toutes deux portent un vêtement masquant leur cheveux, ce qui ne constitue aucunement un obstacle à leur engagement en faveur de l’égalité femmes-hommes, qu’elles promeuvent au péril de leur vie.

En réalité, ce sont toujours les femmes qui paient les conséquences des lois et mesures imposant ou interdisant le port du voile. À conviction équivalente, aucun homme ne se voit interdire l’accès à un bien ou à un service. Or on ne peut pas qualifier de féministe une mesure qui s’applique au détriment des femmes.

Je soutiens toutes les femmes dans leurs choix, où qu’elles se trouvent dans le monde. Et c’est leur autonomie et leur droit à effectuer des choix individuels que je place au centre des priorités féministes.

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Le slogan «Our bodies ourselves», «nos corps, nous mêmes», n’a de sens que s’il vaut pour toutes les femmes.  

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Rokhaya Diallo

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