samedi 24 février 2018

Un jour, Monsieur Wang m’a dit, les problèmes les plus graves sont ceux dont on ne parle pas parce qu’il n’y a pas encore de solution

24 Fév

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Un jour j’ai eu une longue discussion avec un Chinois, cela se passait dans un restaurant marseillais proche du stade vélodrome et nous étions en 2008. Le Chinois qui avait une cinquantaine d’années tenait le restaurant mais c’était un homme très cultivé et aussi engagé dans le flux millénaire de son pays, que de son actualité. Il a fini par s’asseoir à ma table alors que toute la clientèle avait disparu. Tandis que son épouse qui faisait les comptes hochait la tête pour appuyer les analyses de son lettré de mari. Les lumières étaient pratiquement toutes éteintes sauf une applique contre le mur. La tension s’inscrivait sur les visages même si mes hôtes ne se sont jamais départis de leur sourire.
Il s’appelait comme il se doit monsieur Wang
Mon intérêt pour la Chine, son histoire, l’avait charmé et il m’a demandé: est-ce que vous connaissez le problème de la Chine ?
Je lui en cité plusieurs dont le réchauffement climatique qui pouvait à la fin assécher la source des grands fleuves de l’Asie. Chaque fois que j’énonçais un problème y compris le vieillissement de la population, l’absence de démocratie, etc… Monsieur Wang secouait la tête en signe de dénégation. Il a fini par me dire il n’y a pas de problème tant que celui-ci est dit, discuté en public, le problème c’est quand le problème n’est jamais posé officiellement, cela veut dire que personne ne sait comment le résoudre.
Pour lui le problème, à ce que j’ai cru comprendre, résidait dans la perte des valeurs morales qui accompagnait les réformes dont les effets étaient spectaculaires en matière de victoire sur le sous-développement. Tout y contribuait y compris la politique de l’enfant unique qui faisait du petit chinois un capricieux, égoïste. Les mesures prises étaient nécessaires mais il deviendrait tout aussi urgent d’intervenir le plus tôt possible. Il m’a alors annoncé que déjà le parti communiste dont il laissait entendre qu’il était membre préparait des individus aptes à faire face.
Il m’a alors expliqué comment étaient formés les dirigeants. On prenait quelques jeunes postulants et on les expédiait dans un coin connu pour sa corruption, les luttes de clan, les tensions sociales ou les difficultés diverses les plus insurmontables. Et là il devait faire ses preuves, témoigner de la lucidité de son diagnostic, de son art d’utiliser les rapports de forces locaux et de sa capacité impitoyable à trancher au bon moment. Y compris, avait-il ajouté à mon grand étonnement, un véritable dirigeant doit savoir tuer s’il n’y a pas d’autres moyens. Ceux qui franchissaient, sous l’œil attentif des anciens, les étapes de cette formation, pouvaient prétendre à diriger un jour la Chine. Il m’avait cité quelques lieux typiques de cette formation pour le plus haut niveau, la municipalité de Chongqing qui a 34 millions d’habitants et une superficie égale à celle de l’Autriche et qui était pour lui le lieu de tous les déchaînements de la bête sauvage du capitalisme. Je n’ai pas retenu les autres lieux qu’il m’a décrits mais l’idée d’un stage au cœur des contradictions du développement lui paraissait essentielle pour préparer l’avenir. On formait un dirigeant comme un athlète en voyant ses potentialités mais aussi en les exerçant, en les développant. C’était de ce fait un pur produit du parti et pas celui de rivalités pour le pouvoir, même s’il était probable qu’il existait un moment de compétition.
J’ai souvent ces derniers temps pensé à monsieur Wang que je n’ai jamais revu. J’ai pensé à lui bien sûr en lisant tous les commentaires sur Xi Jinping le nouveau président chinois dont chacun s’interrogeait sur le pouvoir personnel. Mais aussi j’y ai pensé en lisant ce texte de l’Ecole centrale du marxisme sur la manière dont le Manifeste du parti communiste de Marx pouvait aider la Chine à son étape actuelle de son évolution. Cette phrase reflétait assez bien sa pensée : « L’idéal est supérieur à la réalité, mais l’idéal doit être en relation avec la réalité ». Quelle belle définition du communisme, cela renvoie à cette définition du communisme dont j’ai souvent entendu citer le début mais qui mérite d’être reprise en entier et dont voici le premier paragraphe.
Dans « L’Idéologie allemande » : « Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. (…) Le prolétariat ne peut donc exister qu’à l’échelle de l’histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l’action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu’en tant qu’existence « historique universelle ». (…) Les individus ont été de plus en plus asservis à une puissance qui leur est étrangère, — oppression qu’ils prenaient pour une tracasserie de ce qu’on appelle l’Esprit du monde, — une puissance qui est devenue de plus en plus massive et se révèle en dernière instance être le marché mondial. Mais il est tout aussi fondé empiriquement que cette puissance, si mystérieuse pour les théoriciens allemands, sera abolie par le renversement de l’état social actuel, par la révolution communiste (nous en parlerons plus tard) et par l’abolition de la propriété privée qui ne fait qu’un avec elle ; alors la libération de chaque individu en particulier se réalisera exactement dans la mesure où l’histoire se transformera complètement en histoire mondiale. (…) Ce n’est pas la critique, mais la révolution qui est la force motrice de l’histoire, de la religion, de la philosophie et de toute autre théorie. Cette conception montre que la fin de l’histoire n’est pas de se résoudre en « conscience de soi » comme « esprit de l’esprit », mais qu’à chaque stade se trouvent donnés un résultat matériel, une somme de forces productives, un rapport avec la nature et entre les individus, créés historiquement et transmis à chaque génération par celle qui la précède, une masse de forces de production, de capitaux et de circonstances, qui, d’une part, sont bien modifiés par la nouvelle génération, mais qui, d’autre part, lui dictent ses propres conditions d’existence et lui impriment un développement déterminé, un caractère spécifique ; par conséquent les circonstances font tout autant les hommes que les hommes font les circonstances. Cette somme de forces de production, de capitaux, de formes de relations sociales, que chaque individu et chaque génération trouvent comme des données existantes, est la base concrète de ce que les philosophes se sont représenté comme « substance » et « essence de l’homme », de ce qu’ils ont porté aux nues ou qu’ils ont combattu, base concrète dont les effets et l’influence sur le développement des hommes ne sont nullement affectés parce que ces philosophes se révoltent contre elle en qualité de « conscience de soi » et d’ »uniques ». Ce sont également ces conditions de vie, que trouvent prêtes les diverses générations, qui déterminent si la secousse révolutionnaire, qui se reproduit périodiquement dans l’histoire sera assez forte pour renverser les bases de tout ce qui existe ; les éléments matériels d’un bouleversement total sont, d’une part, les forces productives existantes et, d’autre part, la formation d’une masse révolutionnaire qui fasse la révolution, non seulement contre des conditions particulières de la société passée, mais contre la « production de la vie » antérieure elle-même, contre l’ »ensemble de l’activité » qui en est le fondement ; si ces conditions n’existent pas, il est tout à fait indifférent, pour le développement pratique, que l’idée de ce bouleversement ait déjà été exprimée mille fois… comme le prouve l’histoire du communisme. »
En France j’ai souvent eu l’impression que cette référence au communisme comme mouvement évitait d’aborder les problèmes concrets de la politique du PCF, ce qui selon l’analyse pertinente de monsieur Wang était de mauvaise augure pour envisager des solutions. Mais le moins que l’on puisse dire est que le parti communiste chinois n’a jamais craint de partir à la nage dans les eaux de la mondialisation avec un parti communiste qui ne manque pas d’audace devant la réalité.
Le texte de l’école central du marxisme tente de donner corps à cette analyse à partir de l’expérience chinoise comme une réponse aux inquiétudes de monsieur Wang. Le problème est désormais posé et seul le communisme peut le résoudre parce qu’il abolit ce dont il a réussi à intégrer les aspects révolutionnaires.
Mais j’ai pensé également à l’influence que la découverte de ce que subissais la Chine, la guerre de l’opium, entre autres, avait contribué à faire évoluer la pensée de Marx sur les différents modes de production et sur leur relation à la transition vers le socialisme. Ce que la réflexion sur l’Inde n’avait pas engendré chez Marx et Engels, le spectacle du dépeçage de la Chine par l’impérialisme l’avait provoqué comme d’ailleurs la rencontre avec la Russie avait déclenché l’hypothèse d’autres possibles à un état encore embryonnaire. Le manifeste du Parti communiste est un texte basé sur l’Europe, son évolution capitaliste, mais dans lequel la mondialisation est déjà envisagée à travers ce prisme et qui ouvre un nouveau rapport théorie pratique dont l’actualité est évidente y compris pour monsieur Wang très marqué par l’influence de Confucius.
Danielle Bleitrach

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