lundi 26 février 2018

Musique. Manoukian, chantre d’un paradis perdu

Fara C.




 23 Février, 2018
L'Humanité

André Manoukian	: «	La musique est l’âme d’un peuple. J’ai redécouvert mes racines grâce à elle, comme si j’avais trouvé le coffre de mes grands-parents.	» Roman Jehanno
André Manoukian : « La musique est l’âme d’un peuple. J’ai redécouvert mes racines grâce à elle, comme si j’avais trouvé le coffre de mes grands-parents. » Roman Jehanno
Avec son CD Apatride, le pianiste et compositeur cultive la résilience entamée par ses grands-parents arméniens exilés. Et appelle à réactiver la microrésistance de Deleuze. Entretien.
Où qu’il soit, André Manoukian se singularise par ce côté décalé et cet humour qui planque une fêlure. Sa façon à lui de trouver sa place dans la vie, comme apprirent à le faire ses aïeux exilés. L’ex-juré de Nouvelle Star, passionné de philo, a préservé une fraîcheur et une bienveillance rares. En 2016, il a conduit un concert de soutien au Secours populaire. Sur France Inter, il partage ses découvertes, comme la chanteuse Nina Blue, qu’il a repérée à Nuit debout. Distingué d’un « choc » par le mensuel Jazz Magazine, son superbe CD, Apatride, révèle une paix intérieure recouvrée.
Dans votre parcours atypique, comment s’est articulée la quête de vos racines arméniennes qui habite Apatride  ?
André Manoukian Mes grands-parents ont été contraints à l’exil au tournant des années 1920, suite au génocide arménien. Une blessure qui se transmet au fil des générations, qu’on en soit conscient ou non. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, mes grands-parents, réfugiés dans un camp de la Croix-Rouge, ont été recrutés sous l’égide des autorités françaises et sont venus travailler dans la filature d’Aubenas. Tout cela a lentement mûri en moi. Quand j’ai conçu la musique du documentaire Arménie, l’autre visage d’une diaspora (2007), de Marie-Claire Margossian, j’ai senti un déblocage. De cette délivrance intérieure, est né, un an plus tard, mon disque Inkala, où le jazz embrasse des sonorités arméniennes.
Que vous a légué votre famille, de cette Arménie à laquelle elle a été arrachée ?
André Manoukian Une capacité de résilience. Une mélancolie qui parfois vous étreint, mais qui vous guérit, à l’instar de la saudade ou du blues. Elle exprime la déchirure d’un paradis perdu. La musique est l’âme d’un peuple. Avant de pouvoir réellement me pencher sur la musique arménienne, j’étais, dans ma jeunesse, internationaliste, j’avais besoin d’un monde débarrassé des frontières et des guerres qui en résultent. J’ai redécouvert mes racines par la musique, comme si j’avais trouvé le coffre de mes grands-parents.
Comment la musique est-elle venue à vous ?
André Manoukian Par mon père, tailleur pour dames et pianiste autodidacte. Ma mère travaillait avec lui. Gamin, quand je rentrais de l’école, je me précipitais vers le piano, sur lequel papa jouait les Inventions de Bach. La musique classique a bercé mon enfance. La première fois que j’ai entendu du ragtime, j’ai cru que c’était du Bach ! J’ai commencé le piano classique à 5 ans. À 12 ans, j’ai découvert le pianiste de jazz Fats Waller, qui m’a galvanisé. Mon père, qui s’intéressait à la philosophie, disait « mes copains Socrate et Platon ». Le gosse que j’étais le prenait au mot et pensait que Socrate était vraiment son pote. Mes parents m’ont communiqué un regard ouvert sur le monde.
Sur France Inter, vous tenez une chronique le mercredi à 7 h 25, dans le cadre du 7-9 de Nicolas Demorand. Que représente pour vous cette fenêtre ?
André Manoukian Une grande joie. À la différence de médias qui organisent plus des clashs que des débats, France Inter assure son rôle de service public. Et me laisse partager mes coups de cœur musicaux. Un espace de totale liberté, un des derniers, en radio.
Quel regard portez-vous sur la société actuelle ?
André Manoukian J’ai le sentiment qu’en France beaucoup de gens sont mûrs pour les comités de quartier tels qu’on les avait initiés en mai 1968. Ils ont envie de discuter directement entre eux, sans passer par les institutions, qui se sont coupées du peuple. Je suis allé avec ma fille à Nuit debout, place de la République. Rien à voir avec des bandes de casseurs, comme certains médias l’ont allégué. J’ai été subjugué par l’effervescence créative. C’est le moment de renouer avec la « microrésistance » de Deleuze : de petites actions qui, en se combinant, engendrent un mouvement de résistance.
André Manoukian, en mars : le 15, avec China Moses, Wissous ; le 16, avec son quartet, Les Ulis ; le 18, avec Jean-François Zygel, Samoëns ; le 23, avec Malia, Manosque. Le 7 avril, avec Élodie Frégé, Villiers- sur-Marne.

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