samedi 15 juin 2019


BERNARDO BERTOLUCCI

L’Orson Welles de Parme s’est éteint

De vieille famille parmesane, Bernardo Bertolucci est né dans un village (Baccanelli) situé à cinq km de Parme (aujourd’hui absorbé par la ville), le 16 mars 1941. Il est né sous une bonne étoile car c’est aussi le jour de naissance de l’actrice Isabelle Huppert, l’artiste Jerry Lewis, le scénariste Tonino Guerra, le cinéaste Robert Rossen, le siffleur Alessandro Alessandroni  et le fondateur du cinéma canadien, Léo-Ernest Ouimet ! Il s’est éteint à Rome le 26 novembre 2018 d’un cancer du poumon à l’âge de 77 ans.

                                                                                                                                              Par Mario Patry

L’œuvre de Bertolucci apparaît à prime abord comme étant l’une des plus hétérogènes quoiqu’elle recoupe le thème du renoncement et imprégnée par une recherche constante de renouvellement formel. Toute son œuvre est marquée sous le sceau  idéologique de l’existentialisme athée, du marxisme  auquel il adhère très jeune et du freudisme alors qu’il entre en analyse en 1969, avec la quête initiatique et de la mauvaise conscience d’un intellectuel issu d’un milieu bourgeois. Génie précoce, toute sa carrière se signale par une chance inouïe d’être à la bonne place au bon moment avec la bonne personne, et qui a réussi à couronner les promesses que sa jeune activité poétique et cinématographique avaient laissées entrevoir.

Son père, Attilio Bertolucci (18 novembre 1911 à San Lazzaro – 14 juin 2000 à Rome)  était poète, professeur d’Histoire de l’Art,  et il a initié son fils au cinéma grâce à la critique cinématographique qu’il tenait dans la prestigieuse Gazette de Parme. (1) En 1951, Attilio déménage dans la capitale (Rome) ou il entraîne  sa famille l’année suivante, dans un immeuble qui a pour voisin et ami, nul autre que Pier Paolo Pasolini, dont il a aidé à éditer le premier roman Ragazzi di vita  (1955) chez Garzanti. Ainsi, lorsque Pasolini tourne son premier long métrage, il engage Bertolucci en tant qu’assistant réalisateur sur Accatone (1961). Il a vingt ans.

Dès l’âge de six ans, Bernardo se rend au cinéma Orféo de Parme pour voir des films d’action et des westerns, et commence dès l’âge de treize ans à tourner en 8 mm et à seize ans, il réalise deux courts métrages avec une caméra 16 mm empruntée et avec son argent de poche : Morte di un maiale (La mort d’un cochon, un documentaire, 1956) et La Teleferica (Le téléférique, une fiction, 1955). Il entreprend des études de littérature moderne à l’Université de Rome de 1958 à 1961 mais qu’il quitte sans diplôme à la suite de la publication d’un recueil de poèmes ; In cerca del misterio (À la recherche du mystère) qui obtient le  Prix Viareggio de la première œuvre (Prima opera) aux éditions Longanesi, à Milan, 1962, (83 pages) et contre toute attente et défiant tous les pronostics, il réalise son premier long métrage de fiction dramatique à partir d’une idée de Pasolini, La Commare secca (La Camarde : la mort, 1962) présenté au  Festival de Venise. « Double tentative de création : double succès d’estime ». (2)

Bertolucci lui-même surpris par cette chance providentielle, dira : « Cela réussit et enfin de compte, le scénario de La Commare secca se révéla un bon exemple de « maniérisme », c’est-à-dire « à la manière de ». (3) À la recherche d’un langage nouveau, Bertolucci applique une méthode qu’il ne quittera plus – jusqu’au Dernier Empereur (1987) -- et qui consiste dans la rédaction d’un scénario très rigoureux pour mieux s’abandonner par la suite à l’improvisation avec les acteurs et la machine de prise de vue. «J’ai toujours voulu des scénarios très solides pour pouvoir les assiéger de toutes parts, comme des forteresses cachées ». (4) « Ce n’est qu’à partir d’une construction extrêmement élaborée que je peux m’abandonner à l’improvisation ». (5) Il précise encore : « J’écris des scénarios « de fer », comme on dit conventionnellement, après quoi je ne les ouvre presque jamais durant le tournage préférant  les reconstituer de mémoire ». (6)

Ce premier film prolonge et affirme le cinéma  d’abord et avant tout comme une forme de poésie. La seconde leçon que le spectateur doive en retenir, c’est la constance d’un cinéma d’adaptation libre d’œuvres littéraires qui reflètent des lectures très éclectiques durant toute sa carrière, à quelques exceptions près. C’est avec Prima della rivoluzione (1964) – qui est une adaptation libre de La Chartreuse de Parme (1839) de Stendhal --  que Bertolucci signe son premier film « personnel » qu’il confesse lui-même comme « un film ambigu sur l’ambiguïté », présenté en primeur  à Cannes et qui reçoit un accueil mitigé en Italie, alors qu’une fois sorti à Paris le 17 janvier 1968, le film préfigure avec I pugni in tasca (Les poings dans les poches, 1965) de Marco Bellochio, comme une film événement précurseur de mai 68, d’où le sentiment du cinéaste « d’être un étranger dans son propre pays ». Ce film annonce  aussi une rupture significative avec l’influence de son père biologique (Attilio) et de son père symbolique (Pier Paolo Pasolini).


Réduit au chômage involontaire, Bertolucci, durant ses années de frustration créative, va beaucoup au cinéma. C’est au hasard de la première projection du dernier Leone, Le bon la brute et le truand, le 23 décembre 1966 que Dario Argento qui accompagne Sergio dans la cabine de projection, le reconnaît et fait les présentations d’usage. Bertolucci exultait à l’idée de participer au processus de scénarisation du prochain film de la première figure de proue du  cinéma populaire italien des années soixante ; en résulte, un traitement de 80 pages presque sans aucun dialogue, intitulé Ricordati di Abilene -- titre de travail de Il était une fois dans l’Ouest (1968) --  parce que truffé de nombreux souvenirs cinéphiliques et dans  lequel il s’est livré à un véritable exercice d’érudition jubilatoire. En résulte la plus cinglante humiliation infligée à l’arrogante suprématie hollywoodienne avec pour dénouement ultime, la mort du genre le plus américain, mais qui transcende le western et le cinéma lui-même parce qu’à partir de cette date, les mythes fondateurs occidentaux ne seront plus tournés vers le passé gréco-romain, mais tournés vers l’avenir du progrès technologique, et abolissant au passage le clivage entre le film d’auteur et le cinéma populaire.

Profitant de cette embellie inespérée dans sa jeune carrière, Bertolucci quitte le tandem Leone/Argento pour aller tourner un documentaire de court métrage de 28 minutes en douze jours à Cinecittà pour le Living theatre de Julien Beck intitulé Agonie (1967), un des épisodes de Amore et Rabbia  (1967-1969). Après quatre années de silence forcé, Bertolucci persiste et signe avec Partner (1968), une adaptation libre  du Sosie  (1848) de Dostoïevskij, un film qui le fit beaucoup souffrir et qu’il définit lui-même comme « un film schizophrène sur la schizophrénie ». Après l’échec critique et public de Partner, Bertolucci se résigne à tourner un  premier film pour la télévision (RAI) mais qu’il conçoit entièrement pour le grand écran, La stratégie de l’araignée (1970) d’après une adaptation inspirée de la séduction de Jorge Luis Borges et de la violence  d’Antonin Artaud. La même année, il réalise son premier film « populaire» et son premier chef d’œuvre, Le conformiste, d’après le roman d’Alberto Moravia (1951), étape cruciale dans sa filmographie, alors qu’il apprivoise d’une manière assumée, le processus du montage grâce à Franco Arcali. Tout le film baigne dans une lumière bleutée du crépuscule inspirée de Magritte.

Bertolucci fera un premier mea culpa et portera un jugement très sévère sur la première partie de son œuvre, tournée vers le cinéma vérité et le film d’auteur, fortement inspiré par Jean-Luc Godard et la Cinémathèque française. «Toute la mythologie du cinéma d’auteur est liée à la peur de communiquer avec les collaborateurs et surtout avec le public (…) ». (7)  Il dira encore : « Le fait d’avoir peur d’un rapport adulte avec le public nous poussait à trouver refuge dans un cinéma pervers  et infantile ». (8)  Nous arrivons enfin au  Dernier tango à Paris (1972) qui demeure encore aujourd’hui  son plus grand triomphe commercial, tant sur le marché italien qu’international,  qui raconte le processus de dévirilisation du sur-mâle américain incarné par Marlon Brando (qui reniera plus tard ce film) et qui à l’époque fit scandale. Car, c’est aussi l’année de « l’extraordinaire coup d’état du clitoris ». (9) Profitant de la vague du film porno, Bertolucci abandonnant l’adaptation,  nous livre un fantasme personnel tiré d’un rêve (faire l’amour avec une inconnue dans un appartement inoccupé) qui aujourd’hui apparaît davantage comme un film esthétique plutôt qu’érotique.  Les livres d’Henry Miller, Georges Bataille et André  Breton sont les précédents littéraires du Tango.

Il s’agit, selon son auteur, d’un documentaire à la Jean Rouch, un « ciné transe », mais tourné avec de gros moyens. Avec ses 15 623 773 spectateurs et ses 6 957 332 000 de lires, le film a coiffé La Dolce vita (1960)  de Federico Fellini qui a obtenu 13 617 148 entrées d’admission au guichet. Mais malgré ce succès énorme, le film est lui-même détrôné la même année sur le marché italien par  Le  Parrain  (1972) de Francis Ford Coppola, qui franchit la barre des dix milliards de lires…
   
Un dernier tango à Paris  (1972)  marque la ligne de partage des eaux dans la carrière de Bertolucci. Pour la petite histoire et à la décharge du cinéaste, il faut souligner que le film a été confisqué le 4 juin 1973 et ce jusqu’en 1987, pour obscénité. Il faut bien avouer que la scène de sodomie (simulée) avec du beurre et qui fut improvisée le matin même à l’insu de l’actrice française Maria Schneider est passée à l’histoire comme un morceau d’anthologie du cinéma érotique.

Le film qui baigne dans une atmosphère sulfureuse orangée et qui bénéficie  d’une trame sonore remarquable de Gato Barbieri, langoureuse et lascive, a été soutenu par la critique intellectuelle, Pauline Kael dans le New Yorker et Alberto Moravia dans l’Espresso.  Bertolucci lui-même exulte car l’on déchire enfin son nom dans la presse à grand tirage et il devient « célèbre », en perdant entre autre ses droits civiques, le 29 janvier 1976. Sur les rapports amoureux, Aldo Tassone demande à Bertolucci de se justifier : « Croyez-vous à la possibilité d’un rapport équilibré entre les sexes ? – Oui, je crois que, dans le rapport  adulte, on  atteint la sexualité complète quand ce qu’on appelle en psychanalyse les « perversions » sont abandonnées. Mais, au fond, qui est intéressé par cette sexualité réalisée ? Elle existe en laboratoire, mais qui sait si elle est vraie dans la réalité ». (10)

Profitant de ce succès inattendu, il peut s’offrir le luxe pour la première fois de sa carrière d’une super production internationale avec un casting all star (Gérard Depardieu, Robert Deniro, Burt Lancaster, Dominique Sanda)  afin de raconter sa vision du marxisme à partir du début du siècle jusqu’au 25 avril 1945, avec la fin du fascisme (Novecento, ou « 1900 », 1976) grâce au soutien du producteur Alberto Grimaldi qui avait fait fortune avec le début de l’ère du western à l’italienne, lui octroyant  un budget de neuf millions de dollars américains, sur les six millions d’abord prévus au devis. Novecento a tout de même enregistré plus de 10 389 326  spectateurs sur le marché italien (son deuxième plus grand succès à vie), mais a malgré tout subi un échec commercial sur la scène internationale, surtout aux États-Unis ou le film a été charcuté. Les échecs cumulatifs de Novecento, celui du Casanova de Fellini et surtout celui encore plus retentissant de Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini entraînèrent Grimaldi à la faillite. Pour la petite histoire, Gianni Amelio a tourné un making of de Novecento, en 16 mm de 62 minutes, intitulé Bertolucci secundo il cinema,  sorti à la RAI le 28 février 1976, qui fourmille d’anecdotes savoureux et ou Bertolucci apparaît très charismatique et sûr de ses moyens.

Un échec critique pour un cinéaste populaire  n’est de peu de conséquences, mais un échec public est parfois et souvent « fatal ». Après une vaste fresque historique qui est devenue un « cult movie » aux États-Unis,  Bertolucci doit se replier sur deux films intimistes et moins ambitieux. Avec la Luna (1979), il plonge vers la relation avec la mère et le thème de l’inceste qu’il avait  précédemment abordé dans Prima della Rivoluzione de façon plus discrète. Sa propre mère, Ninetta Gionavardi  était née à Sidney en Australie d’une mère d’origine irlandaise, d’où le goût prononcé chez Bertolucci pour les sujets et les casting cosmopolites. Le film est né d’un souvenir de sa prime enfance alors qu’il se promenait en bicyclette dans le porte bagage attaché au guidon et qu’il confondait le « clair de lune » avec le jeune visage de sa mère.  Bertolucci  désigne ce film comme un « mielodramme » qui a obtenu un rayonnement plus limité, mais qui élargit sa palette de réalisateur.

Frustré de ne pouvoir adapter le roman noir de Dashiell Hammett, le père du genre policier hard-boiled (« dur à cuir »), La moisson rouge  (1929), parce que trop couteux, Bertolucci décide de tourner un film sur le terrorisme qui sévit dans l’Italie contemporaine qu’il entrevoit comme une suite et le troisième volet de Novecento (1900), La tragédie d’un  homme ridicule (1981) qui vaut à Ugo Tognasi  un prix d’interprétation masculine à Cannes. Par une suite d’événements fortuits – Giuliano Montaldo qui vient de tourner Marco Polo (1982) pour la télévision et qui ramène de Chine l’autobiographie du dernier empereur Aisin Gioro Pu-Yi monté sur le trône à l’âge de trois ans, From Emperor to Citizen  (11) – Bertolucci se laisse convaincre de tourner un film dans Cogoon « La Cité pourpre Interdite » de Pékin  avec un budget de 23 800 000 dollars pendant  vingt trois semaines et deux jours, avec dix-neuf  mille figurants et une équipe technique de trois cents personnes.

Le 12 avril 1988, pour la première fois de l’Histoire d’Hollywood, un cinéaste européen rafle neuf Oscars dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur, en plus du César du meilleur film étranger. Pour Bertolucci, c’est le sommet de sa gloire personnelle et professionnelle à quarante sept ans ! Le film encaisse plus de 244 millions de dollars à l’époque dont 43,98 millions pour le seul marché américain, soit un peu plus que le Tango – qui avait fait 36,1  millions de dollars -- mais quinze ans plus tard, soit l’équivalent de 467 millions de dollars d’aujourd’hui. C’était l’année qui précédait la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Empire soviétique.


Le dernier empereur (1987) représente le moins autobiographique des films de Bertolucci qui poursuit sa carrière à sa guise, en se repliant sur des sujets en quête identitaires plus intimistes, comme au début de sa filmographie. Il poursuit toutefois une « trilogie de l’ailleurs » avec un roman de Paul Bowles, Un thé au Sahara (1990) avec un trio  de touristes américains qui traversent le Nord de l’Afrique, sans buts précis et abandonnés à eux-mêmes. Paul Bowles lui-même apparaît dans le premier et le dernier plan du film comme pour mieux nous rappeler que le scénario est extrêmement fidèle au roman d’origine (1948). Ici, ce n’est pas le thème de l’impossibilité de l’amour comme dans le Tango mais plutôt celui de l’impossibilité d’être heureux en amour au cours de ce pèlerinage ou se succède « l’agonie, le désarroi et la rédemption ». Le film réalise seulement des entrées de 1 163 000 sur le marché italien contre  1 283 000 entrées pour le film suivant, Le petit Boudha (1993). Signe du déclin du cinéma populaire italien qui ne fait que repousser son agonie. Mais Bertolucci nous livre ici en quelque  sorte, son testament cinématographique avec cette quête spirituelle avec la croyance largement répandue en Occident de la thèse de la réincarnation de l’âme qui puise dans l’Antiquité du Népal avec le héros légendaire Siddharta et qui trouve son écho dans une famille de la côte Ouest de l’Amérique contemporaine qui trouve dans cette forme de spiritualité, son statut de luxe suprême.


Par la suite, Bertolucci peut tourner en toute quiétude encore quatre films, en retournant à ses premiers amours, celui d’un cinéma intimiste et introspectif mais avec un auditoire qui se rarifie comme pour  mieux faire oublier ses frasques de jeunesse. Ce qu’il gagne en crédibilité, il le perd en fascination. Dans l’ordre, Beauté volée (1996), Shandurai (1998), Innocents (2003) et Moi et toi (2012) sorti à titre posthume au Canada. Bertolucci a été ensevelit d’honneurs de son vivant. Il a d’abord présidé le 43 ième festival de Cannes en 1990 et présidé le jury de la Mostra de Venise à deux reprises, en 1983 et en 2013. À titre de décorations  et récompenses, il a été désigné Grand officier de l’ordre du mérite de la République Italienne à Rome le 2 juin 1988 (après avoir vu ses droits civiques suspendus à la suite du Tango). Une médaille d’or de la Culture et de l’Art, à Rome le 21 février 2001. Le 26 août 2007, il reçoit le lion d’or pour l’ensemble de  la carrière, de Venise à l’occasion du 75 ième anniversaire de la  Mostra et le 11 mai 2011, il reçoit des mains de Gilles Jacob la Palme d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, annoncée dès le 11 avril sur le site Web du Festival. Il a aussi reçu l’insigne honneur d’avoir son nom gravé sur une étoile sur le Hollywood Walk of Fame le 19 février 2009. Il a obtenu, en outre, un Lauréat Honoris Causa en Histoire et critique de l’Art de l’université de Parme, le 16 décembre 2014, lui qui méprisait l’école. (12)  Le 21 avril 2018 encore, il reçoit le Prix Platinum de Fellini pour l’excellence artistique au Festival International de Film de Bari.

Après un survol d’une carrière cinématographique bien accomplie, il faut souligner que Bertolucci était d’abord et avant tout un cinéphile qui a formé sa propre culture en autodidacte par la fréquentation de la Cinémathèque française à Paris d’Henri Langlois. « Je crois que les rapports qu’un enfant entretient avec le cinéma sont exemplaires, c’est sur eux que nous devrions modeler nos rapports d’adulte avec lui. Quand cette identification, un peu infantile, est absente, cela signifie que les rapports avec le cinéma ne sont pas les bons. Accepter l’aspect régressif du cinéma provoque de nombreuses résistances. Le cinéma est toujours régressif. Quand un film ne me donne pas le plaisir de la régression, je me sens mortifié, on me refuse quelque chose. On me refuse la possibilité de me laisser aller, de m’aventurer  au-delà du principe de plaisir. Mais de nos jours, même le plaisir du cinéma, la jouissance cinématographique sont censurés. La beauté du cinéma réside au-delà du principe de plaisir, non en deça ». (13)  

Bernardo  Bertolucci est passé à l’Histoire comme étant le cinéaste italien le plus doué de sa génération et le plus illustre ambassadeur issu des années soixante, à une époque où le cinéma italien était le premier en Occident, tant par sa quantité que par sa diversité. Il s’agit du plus autobiographique cinéaste italien après  Fellini et le plus international, comme Leone en était le plus américain. Il laisse dans le deuil des millions de cinéphiles de par le monde, inconsolables. Mais « il faut faire semblant de pleurer les poètes disait Jean Cocteau, car les poètes font semblant d’être mort ».

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1.       Il s’agit du plus ancien titre  de presse italien toujours en activité, fondé le 19 avril 1735 et devenu quotidien le 1 janvier 1850.
2.        Michel Estève, in Études cinématographiques, Bernardo Bertolucci, numéros 122- 126, Paris, avant-propos, p. 3.
3.        En français dans le texte. Bertolucci par Bertolucci. Entretiens avec Enzo Ungari et Donald Ranvaud, traduit de l’italien par Philippe  André Olivier, Éditions Calmann Lévy, Paris, 1987, Ubulibri, 1982, p. 29. Enzo Ungari deviendra un collaborateur attitré du cinéaste.
4. Ibidem, p. 261
5.  Ibidem, p. 90
6.  Aldo Tassone, Le cinéma italien parle, Edilig, Coll. Cinématographiques, Paris, 1982, chapitre consacré à Bernardo Bertolucci, p.47.
7. Ungari, op. cit. p. 52.
8. Jean A. Gili, Le cinéma italien, tome I, U.G.E. 14 mars 1978, Paris, p. 55.
9.  Katherin Perutz, Le mariage en accusation, Calmann Lévy, Paris, 1974, p.53. Traduit de l’américain par Marie France Paloméra, Marriage is hell, 1972.
10. Aldo Tassone, op. cit. p. 54.
11. Le texte a été rédigé en fait par Lih-Ven-Da d’après les cahiers  écrits (1955) par Pu-Yi pendant qu’il était en détention et a été revu et corrigé par Lo-She ( première édition en 1960, 1964) qui s’est suicidé pendant la Révolution culturelle. Ungari, op. cit. p. 237.
12. « De fait, je crois que les écoles de cinéma sont inutiles » J.A. Gili, op. cit. p.76.  Il surenchérit en affirmant : « Le langage du cinéma est celui de la réalité, disait Pasolini. J’ai appris que les écoles sont inutiles. Ma seule école a été de voir des films ». Tassone, op. cit. p. 47.
13. Ungari, op, cit.  pp. 13-14.


 La Nouvelle Vie Réelle (©tous droits réservés) 6 juin 2019

3 524 mots. Dernières  modifications à ce texte, le samedi 6 avril 2-19 à 13 heure 20.

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