vendredi 21 juillet 2017

Le capital au 21ème siècle
Par Jean Claude Delaunay[1]
Résumé de l’article
L’importance du livre de Piketty est due à son inspiration de réformisme social-démocrate : Tout autour de la planète il est reconnu que le système capitaliste ne fonctionne pas bien et que la catastrophe guette. Mais la volonté de le changer manque encore.
C’est exactement la position centrale prise par Piketty dans son livre. D’une part il critique les inégalités sociales du système capitaliste. Il souligne le fait que dues à la « globalisation du système capitaliste, les inégalités qu’engendre le Capital augmentent. Il donne à preuve de sa thèse une très grande quantité de statistiques mondiales.D’autre part, il reste favorable au système capitaliste mondialisé dont il pense qu’il est le futur des sociétés. Il ne dit mot de la structure capitaliste construite sur des inégalités fondamentales entre les travailleurs et les capitalistes.
En conséquence, ses propositions pour contrebalancer les inégalités sont des chimères.
Le Capital au 21 siècle a été publié en Septembre 2013 aux éditions du Seuil (Paris) puis en Avril 2014, 7 mois plus tard, aux Presses de l’Université de Harvard (Cambridge M.A). Compte tenu de la taille du livre (950 pages, table des matières non comprise) une aussi volumineuse publication scientifique dans le domaine de l’économie est une opération très idéologique et en même temps commerciale. Avec cette publication est-ce un prix Nobel qui est visé ? Bien écrit, ce livre n’est pas de lecture facile. En 2014, Chen Ping en a rendu compte dans un article intéressant de laWorld Review of Political Economy. Cependant il peut être fructueux de suivre plusieurs approches pour lire un livre.
Qui est Piketty ?
Le capital au 21ème siècle n’est pas sa première publication. Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, il est Directeur de Recherche à l’EHESS et Professeur en Sciences Economiques.
Il a suivi la route franco-atlantique, revenant en France après une formation académique aux USA, ce qui est devenu un cursus classique pour les élites de la grande bourgeoisie en France.
Il est à la fois un membre actif de ce groupe idéologiquement divers des « radicaux états-uniens » et en même temps proche du Parti Socialiste Français.
Il en est peut-être membre mais ceci n’a pas d’importance dans cet article. Dans la biographie de Piketty, que donne Wikipedia, l’Encyclopédie de libre accès, il aurait reconnu avoir, en 2003, rejoint le Conseil scientifique de l’association fondée par M. Rocard et D. Strauss-Kahn, « Une gauche en Europe ». Il collabore avec le quotidienLibération et parfois avec Le Monde. Il a été l’un des conseiller de S. Royal en 2007, et a signé l’appel à voter F. Hollande, paru dans Le Monde en Avril 2012, « Appel des 32 économistes ». Cependant, il déclare qu’il ne saurait confondre, en tant qu’économiste, son travail scientifique et ses motivations politiques. « Que les choses soient bien claires : mon propos ici n’est pas d’instruire le procès des travailleurs contre les possédants mais plutôt d’aider chacun à préciser sa pensée et à se faire une idée. »(Piketty 2013, 74)[2].
Piketty n’est pas marxiste. Je ne peux l’en blâmer, suivant en cela l’assertion de K. Marx lui-même, et moi (JCD) non plus d’ailleurs. Mais la génération de Piketty, témoigne, en comparaison avec la mienne, d’une relation profondément différente avec l’œuvre de Marx.
Il fut un temps où dans les universités françaises, les personnes étaient explicitement pour ou contre Marx. Si nous étions POUR, les noms d’Engels et de Lénine étaient considérés, sur le champ, comme les premiers auteurs qu’il nous fallait étudier. Aujourd’hui Marx n’est plus qu’un auteur comme les autres. D’une certaine façon, cette banalisation est positive: Elle signale que Marx est passé du côté des auteurs « classiques ».
A l’occasion Piketty lui fait compliment, déclarant que Marx propose une analyse intéressante (Piketty 2013, 93). Nous pouvons aussi considérer que son opus, Le Capital au 21ème siècle, présente une évidente connotation avec Le Capital, l’œuvre de Marx. Piketty consacre à Marx 4 pages à la fin du 6ème chapitre. De-ci de-là, il éparpille des références à Marx. Evidemment Piketty s’efforce de montrer, à chaque fois, que sa façon de penser est bien supérieure à celle de Marx. Cependant, fait obstacle à cette revendication de supériorité l’absence d’une étude critique des schèmes, concepts et résultats de Marx. Piketty ne connait à peu près rien à cet auteur. Comment peut-il le critiquer scientifiquement? La brièveté de son traitement de Marx n’est pas surprenante. Les idées dominantes sont toujours celles de la classe dominante, laquelle, aujourd’hui dans les pays développés, est la grande bourgeoisie.
La conclusion de ce court premier point est la suivante : Piketty a écrit un livre dans lequel il s’efforce d’élaborer une nouvelle idéologie socialiste. Le sens de socialiste est celui défini par les partis réformistes et sociaux-démocrates. Cette nouvelle idéologie devrait se fonder sur l’observation des inégalités. Il n’est pas opposé au capitalisme, qui d’après lui est le seul système qui fonctionne, tant économiquement que socialement; mais il est contre les inégalités qui s’y développent. Dans le contexte de la présente crise économique de longue durée, nous pouvons comprendre le succès de son livre. La plupart des personnes ne sont pas satisfaites du système capitaliste mais elles ne sont pas persuadées que le socialisme scientifique mis en perspective par Marx, Lénine, soit une alternative adaptée.
Le schème central et les découvertes de Piketty
Pour Piketty, le problème central que les économistes doivent résoudre est celui des inégalités : C’est un postulat, ce qui dispense de tout développement justificatif.
Selon lui, les pères de la science économique, tels qu’Adam Smith et David Ricardo, avaient raison au 19ème siècle de traiter ce problème, mais, dit-il, leurs méthodes et leurs conceptions étaient erronées. De même, d’après Piketty, Kuznets a eu tort de penser que les inégalités seraient réduites par le développement économique. Piketty pense que le problème des inégalités, dans son ensemble, doit être revisité et il se propose de trouver la meilleure façon de le faire. Pour cela il va explorer deux champs d’étude : la théorie et les statistiques.
Théorie
D’évidence, pour lui, la racine des inégalités économiques se trouve dans la répartition du revenu national et en conséquence du revenu global : Plus certain(e)s reçoivent de revenu macro-économique, moins les autres en reçoivent. Mais selon Piketty, les économistes doivent prendre en considération d’autres variables que le rapport des forces pour expliquer correctement comment se passe cette répartition. La variable clé de son étude et de son explication est le rapport K/Y. Si nous connaissons l’évolution de ce rapport et si nous avons quelques idées simples de la manière dont le taux d’intérêt macro-économique évolue, nous connaissons comment Y va se répartir.
K représente le Capital, Y représente le produit intérieur brut, P le profit national. On peut écrire :
P/Y = (P/K) / (Y/K)
Avec P/K égale ρ (rho), le taux de profit macroéconomique, et K/Y= β, il s’ensuit que la part du capital dans le revenu total est : P/Y = ρ. β
A partir de là, nous déduisons automatiquement la part qui revient aux autres agents économiques.
Pour Piketty, les économistes doivent centrer leur recherche sur β dont il dit que c’est la clé du fonctionnement économique, et par conséquent le point original de son propre travail.
L’explication qu’il donne de β, vient du modèle de croissance économique de Harrod-Domar selon lequel le taux de croissance est g= s / β (g, le taux de croissance, est égal au rapport entre le taux d’épargne et la productivité du capital).
De ce résultat théorique simplifié, Piketty déduit la relation β=s/g. C’est là le fondement théorique de son livre. S’appuyant sur ce qu’il nomme « les lois fondamentales du capitalisme », sa recherche peut être comprise facilement. Il analyse d’abord Y et propose une estimation du futur de Y et de g à un niveau national et global. Puis il analyse s et son évolution future aux niveaux national et global. Au final, selon ses diverses estimations, il peut prédire le futur de β et celui de P/Y en prenant en compte des estimations complémentaires relatives à l’évolution de ρ.
Les statistiques.
Ces 50 dernières années, l’utilisation de plus en plus de données statistiques a augmenté le pouvoir des théories économiques. Mais le bénéfice tiré de cette amélioration a été détruit par la confiance scientiste et non scientifique dans l’économétrie sophistiquée. La plupart des professionnels de l’économie ont pensé que les statistiques utilisées avec l’aide de modèles économiques étaient susceptibles d’amener les explications économiques à une hauteur scientifique jamais atteinte jusqu’alors. En réalité nous (JCD) pouvons dire que ces économistes ont été, la plupart du temps, aveugles. La crise de 2008 leur a explosé à la figure et encore aujourd’hui, ils ne sont pas capables de dire quoi que ce soit de convainquant en terme d’explications ou de propositions pour y faire face.
Je comprends l’utilisation des statistiques par Piketty comme une réaction à la conception scientiste des statistiques. Il s’efforce de construire des séries de longue durée, et en faisant confiance à « son pouce » pour les faire défiler ou s’arrêter, il essaie de comprendre l’évolution des variables choisies par lui. Cette règle du défilement-arrêt laissé au hasard n’est certainement pas pire que l’aveugle utilisation de modèles économétriques, surtout si les séries portent sur une très longue période, depuis 1700 quand c’est possible, et pour le plus grand nombre possible de pays .Utilisant les résultats de comptabilité nationale, nous pouvons supposer qu’il est en mesure de donner un socle de réelle solidité empirique à ses résultats.
Sur ces deux points -théorie et statistiques- je conclus que le livre de Piketty est la combinaison d’un cadre théorique simple avec un fort appareillage de séries de comptes nationaux.
Ce que Piketty a trouvé quant à l’inégalité globale.
Il y a 2 sortes de résultats dans le livre de Piketty : Les résultats qu’il essaya d’obtenir et ceux que nous pouvons trouver par les séries statistiques publiées mais qui mènent à des conclusions qu’il ne veut pas ou qu’il ne peut pas tirer.
Les inégalités économiques entre groupes de personnes appartiennent à la 1èrecatégorie de résultats. Bien sûr, comme il était à la recherche d’inégalités, Piketty aurait dû étudier les inégalités entre nations et entre continents. Mais comme déjà signalé, il n’est pas concerné par ce qu’en a dit Marx, et Lénine encore moins, notamment, les vues de celui-ci sur le développement inégal du capitalisme au niveau des nations. Le seul point que remarque Piketty à ce sujet, c’est que l’Afrique doit rembourser annuellement, à ses créditeurs étrangers, 5% et jusqu’à 10% pour certains pays, des revenus du continent. L’Afrique semble être la propriété globalisée des pays capitalistes. C’est là un des aspects de l’impérialisme contemporain.
Le noyau dur de son livre, traite d’une autre question en débat. Le capitalisme engendre en permanence des inégalités entre les groupes de personnes et cela sans limitation spontanée.
Il n’y a pas de mécanisme correcteur du genre de ceux envisagés par Kuznets. La seule façon de corriger et compenser ces inégalités, selon Piketty, c’est de promouvoir des taxes sur le capital, et ce à l’échelle globale. Au 20ème siècle il y a eu la révolution de l’impôt sur le revenu. Le 21ème siècle devrait être celui de la révolution d’un impôt sur le capital, à l’échelle mondiale ou plus modestement à l’échelle de l’Europe.
Concrètement, Piketty présente des résultats statistiques intéressants (Houben 2014). Par exemple il montre que les inégalités prennent naissance dans le capital et non dans les salaires, même si des gestionnaires de groupes multinationaux touchent de très hauts salaires. En réalités ces salariés font partie des classes dirigeantes. Il montre que la société Nord-Américaine est, depuis les années 1970, la société la plus inégalitaire du monde. Auparavant, la plus forte inégalité se trouvait dans les pays européens les plus développés. Il montre aussi que depuis les années 1970, le capital privé se reconstitue rapidement et que toutes choses égales par ailleurs, le pouvoir des capitalistes au 21ème siècle devrait dépasser celui qu’ils exerçaient au 19ème siècle. En conséquence, il suggère la mise en œuvre d’une augmentation de la taxe sur le capital.
Points d’intérêt
Le livre de Piketty est un très gros livre. Il n’est pas certain que tout un chacun puisse le digérer dans son entièreté. Mais s’il le fait, il pourra y découvrir...
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