samedi 23 novembre 2019

Lucy n’était pas très brillante

Les grands singes actuels seraient plus intelligents que nos lointains ancêtres australopithèques.
Reconstitution de l'apparence de Lucy réalisée par John Gurche et exposée au musée d'histoire naturelle de Cleveland.
Reconstitution de l'apparence de Lucy réalisée par John Gurche et exposée au musée d'histoire naturelle de Cleveland.
Photo : Musée d'histoire naturelle de Cleveland
Alain Labelle
Les australopithèques, un genre préhumain auquel appartient le fossile de la célèbre Lucy mis au jour en Éthiopie en 1974, ne possédaient pas des capacités intellectuelles très développées.
Nos gorilles, chimpanzés et orangs-outans actuels seraient même plus brillants que nos ancêtres éloignés Australopithecus qui peuplaient l’Afrique de l’Est il y a entre 2 et 4 millions d'années.
Cette théorie mise de l’avant par le Pr Roger Seymour et ses collègues australiens de l’Université d’Adélaïde remet en cause l’hypothèse selon laquelle les australopithèques étaient plus intelligents que les grands singes en raison de leur plus gros cerveau.
Nos résultats sont inattendus parce que les anthropologues supposaient généralement que l'intelligence était directement liée à la taille du cerveau.
Roger Seymour
Reconstitution de la tête d'un Australopithecus africanus.
Reconstitution de la tête d'un Australopithecus africanus.
Photo : Smithsonian Institution

Pas qu’une question de grosseur

Dans ses travaux, l’équipe australienne a mesuré le métabolisme cérébral (MC) de 96 grands singes actuels, comme le gorille et l’orang-outan, et ont estimé celui associé à 11 crânes fossiles d’Australopithecus.
Le MC correspond en gros au débit sanguin dans le cerveau et serait, selon les chercheurs, un meilleur instrument d’évaluation des capacités cognitives d’une espèce que la simple taille de son cerveau.
L’intuition première serait que la taille du cerveau devrait pouvoir prédire les capacités intellectuelles d’une espèce parce qu’un gros cerveau contient plus de neurones qu’un plus petit, explique le Pr Seymour. Mais quand on s’attarde un peu à la mécanique cérébrale, on constate que la cognition repose non seulement sur le nombre de neurones, mais aussi sur le nombre de connexions entre eux, appelées synapses.
Ces connexions régissent la circulation de l'information dans le cerveau. Une plus grande activité synaptique se traduit par un meilleur traitement de l'information.
Roger Seymour

Repères

  • Le cerveau des mammifères contient entre 100 millions et 100 milliards de neurones en fonction de l’espèce;
  • Le neurone est une cellule spécialisée conçue pour transmettre l’information aux autres cellules nerveuses, musculaires et glandulaires;
  • Pas moins de 70 % de l’énergie dans le cerveau est consacré à l'activité synaptique des neurones;
  • Cette quantité d'énergie provient du sang.
Le crâne fossilisé de 3,8 millions d'années repousse encore les limites de l'évolution.
Un crâne fossilisé d'australopithèque de 3,8 millions d'années découvert en février 2016 en Éthiopie.
Photo : Reuters / Handout .

Des trous et des synapses

Chez les primates, la taille des trous présents dans le crâne, et par lesquels les artères atteignaient le cerveau, peut être utilisée pour évaluer le débit sanguin cérébral.
L’équipe du Pr Seymour a analysé en détail ces trous chez l’Australopithecus pour calculer le débit dans les artères carotides internes.
Ces veines sont importantes puisqu’elles fournissent la majeure partie du sang au cerveau, donc elles lui apportent l’énergie nécessaire au travail des synapses qui sont en quelque sorte la zone de contact qui connecte les neurones entre eux.
Les chercheurs avaient préalablement testé et calibré leur technique de calcul chez l'humain et d'autres mammifères.
Leur constat est clair : le débit sanguin dans le cerveau des grands singes modernes est plus élevé que celui du cerveau de l’Australopithecus, qui était pourtant aussi gros, et même plus gros.

Des singes très intelligents

  • La gorille Koko a appris à communiquer avec plus de 1000 signes;
  • Le chimpanzé Washoe a appris environ 350 signes;
  • Le bonobo Kanzi a développé une bonne compréhension de la syntaxe anglaise, et était aussi capable de fabriquer des outils en pierre.
Par exemple, les résultats montrent que le flux sanguin qui entrait dans les hémisphères cérébraux de Koko était environ le double de celui de Lucy.
Parce que le débit sanguin serait une meilleure indication de la capacité de traitement de l'information que la taille du cerveau seul, Koko semble avoir été plus intelligente que Lucy.
Roger Seymour
Koko avec un crayon dans la bouche.
Koko utilisait d'autres moyens que le langage des signes pour communiquer avec les gens qui s'en occupaient, notamment en désignant son choix de nourriture avec un stylo, ou en utilisant le stylo pour dessiner quelque chose.
Photo : Ron Cohn/The Gorilla Foundation
On sait que le cerveau humain ressemble beaucoup à celui des grands singes, mais à une échelle supérieure en termes de taille et de nombre de neurones, explique Roger Seymour.
Un flux sanguin plus grand jumelé à un plus grand nombre de neurones expliquerait donc la supériorité intellectuelle humaine par rapport aux singes.
En conclusion, le faible débit sanguin estimé dans le cerveau de Lucy fait d’elle un être moins intelligent que Koko, morte l’année dernière à l’âge de 46 ans.
Le détail de ces travaux est publié dans les Proceedings of the Royal Society B (Nouvelle fenêtre) (en anglais).

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