Pour France Culture, on cache au grand public que les statues grecques étaient polychromes afin de promouvoir l'idée d'un Occident opposé au métissage.
Pour France Culture, on cache au grand public que les statues grecques étaient polychromes afin de promouvoir l'idée d'un Occident opposé au métissage. - Capture d'écran - France Culture
Kamoulox

Statues grecques blanches : quand France Culture sombre dans le complotisme indigéniste

La radio publique a publié ce mardi 19 novembre une vidéo expliquant que la couleur immaculée des sculptures antiques est "le résultat de 2.000 ans d'une histoire réactionnaire". Présentée sur un ton qui frise le conspirationnisme, la pastille relève davantage du militantisme décolonial que de l'information d'intérêt général.
En lançant la dernière publication de France Culture, ce mardi matin, on se frotte les yeux. Aurait-on fait erreur ? Aurions-nous par mégarde débarqué sur AJ+, le média de soft power du Qatar, voire sur la chaîne YouTube de la militante racialiste Rokhaya Diallo ? Non, nous sommes bien sur la station de radio la plus "haut de gamme" du service public, qui propose ici à ses auditeurs un tract assénant doctement qu'une droite ligne relie le marbre blanc des statues grecques… au régime nazi.
Pour promouvoir son contenu, France Culture a même décidé d'utiliser les codes du conspirationnisme en rédigeant cette accroche sur Twitter : "On vous ment. Depuis 2000 ans : non, les statues grecques n'étaient pas blanches, mais de toutes les couleurs. L'Histoire nous l'a caché pour promouvoir le blanc comme idéal d'un Occident fantasmé, contre les couleurs symboles d'altérité et de métissage". Cette introduction outrancière a ensuite été retirée par la radio, ce qui a également permis de faire passer à la trappe les dizaines de commentaires hostiles des internautes. La vidéo a été remise en ligne avec un "chapô" bien plus sobre : "Non, les statues grecques n'étaient pas blanches, mais de toutes les couleurs."










La présentation originale de la vidéo de France Culture sur Twitter / Capture d'écran

Racisme partout

Le contenu, lui, n'a pas changé. En quelque 4 minutes, l'auditeur se voit proposer un gloubi-boulga d'idées confuses, mais dont la ligne directrice est sans ambiguïté : si les statues grecques sont blanches, c'est parce que l'Occident est irrémédiablement raciste, intolérant et rétrograde. Pour appuyer cette thèse un tantinet monolithique, la radio a sorti de son chapeau l'universitaire idoine : l'historien de l'art Philippe Jockey, auteur du Mythe de la Grèce blanche. Un spécialiste qui n'a rien de neutre : depuis la parution de son ouvrage, Jockey défend avec ferveur l'idée que la blancheur des statues grecques serait l'expression d'un racisme occidental, mais ses thèses sont critiquées. En 2013, France Culture avait consacré une émission au Mythe de la Grèce blanche, dans laquelle Philippe Jockey était défendu avec vigueur par Eric Fassin, chantre de l'indigénisme universitaire. De son côté, l'essayiste et architecte Philippe Tretiack pointait néanmoins le "côté anhistorique" et "outrancier" du livre, coupable d'essayer "en permanence de démontrer un impérialisme du blanc".
Six ans plus tard, le service public n'a cette fois-ci pas jugé nécessaire d'instiller du pluralisme dans sa vidéo. "Vous et moi, dans un musée, nous sommes frappés par la blancheur des statues, introduit l'archéologue Pierre Jockey. En réalité, ces statues étaient tout sauf blanches. Elles étaient soit peintes, soit dorées, soit peintes et dorées". Du début à la fin, la vidéo tient pour acquis le fait que la polychromie des sculptures antiques est soigneusement dissimulée au public. Une hypothèse qui a peu à voir avec la réalité : quiconque a déjà effectué une visite dans un musée, ou fréquenté un professeur féru de culture antique, aura déjà appris que les statues grecques étaient peintes, tout comme par exemple la façade des cathédrales, avant que le temps n'efface de la roche les pigments de couleur. Du reste, les statues blanches sont apparues assez tôt dans l'histoire, puisque ce sont les Romains qui ont probablement reproduit les œuvres de leurs prédécesseurs grecs en les taillant dans du marbre immaculé. Avant que les artistes de la Renaissance ne les imitent à leur tour, sans savoir que les statues originales étaient peintes. Qu'à cela ne tienne, la voix off martèle : "Aucune trace de cette certitude historique, ni dans nos musées, ni dans notre imaginaire de ce berceau de l'Occident". Vient alors la raison d'être de la pastille, ni plus ni moins que la thèse du racisme en bande organisée : "C'est le résultat de 2.000 ans d'une histoire réactionnaire, qui place le blanc au cœur de ses valeurs et rejette l'impur, le bigarré, le métissage des couleurs".

Cocktail de sophismes

Les termes sont inhabituellement forts pour un commentaire journalistique, d'autant plus sur le service public. Ils marquent le début d'un enchaînement de sophismes, où des éléments sans rapport les uns avec les autres sont collés ensemble pour nourrir la thèse de départ. "Employons des grands mots, en effet c'est un rejet de l'Autre, que l'on voit apparaître dès les premiers textes de Pline l'Ancien jusqu'aux pires excès de la Seconde guerre mondiale", clame Philippe Jockey. En louant l'immaculé du marbre blanc, Pline l'Ancien préparait donc le nazisme, avec 1.900 ans d'avance ! France Culture pointe ensuite le christianisme, pour avoir associé la blancheur "au sacré et à l'innocence", avant que la Renaissance ne déterre les statues romaines copiées "pour diffuser l'idéal antique, contre le bariolage médiéval et le chatoiement ottoman". En résumé, l'Occident chrétien a produit par xénophobie des statues blanches durant deux millénaires, excepté durant… le Moyen-Âge, période, c'est bien connu, à laquelle l'Eglise n'avait que peu d'influence.
Difficile de trouver une cohérence dans ce fatras. Si ce n'est la ligne directrice, très claire, qu'on retrouve en fin de vidéo avec un trait d'union en forme de point Godwin : "Dans les années 1930, l'idéologie de la blancheur se radicalise encore quand l'écrivain xénophobe Charles Maurras fait l'éloge de 'la blanche Athènes', posant ainsi dans l'exaltation antique reprise par les régimes fasciste et nazi". Et voilà comment, en se servant de l'exaltation bien réelle d'une prétendue pureté antique fantasmée par les totalitarismes du XXe siècle, France Culture en arrive à accuser toute l'histoire de l'Occident de racisme, plaquant au passage de manière anachronique les problématiques de métissage sur des périodes qui n'y étaient pas confrontées. Heureusement, le fascisme de la statue en marbre prendra fin en Mai 68, quand "l'idéologie blanche" (sic) reculera enfin "grâce aux techniques d'investigation et au grand retournement culturel".
Au passage, la vidéo passe à côté d'une énième contradiction : comment expliquer que la polychromie des statues grecques ait en réalité été redécouverte et mise en valeur… au XIXe siècle, époque où le racialisme, le nationalisme et l'idéalisation de l'Antiquité avaient le vent en poupe ? C'est en effet l'historien de l'art Quatremère de Quincy qui évoquera longuement la couleur des sculptures helléniques dans son Jupiter Olympien en 1815. En 1841, l'écrivain britannique William Thackeray fustige même les néoclassiques pour avoir fait du blanc le modèle esthétique de référence. Par ailleurs, la vidéo de France Culture passe à côté du fait que le caractère bariolé des statues grecques fait toujours débat : si l'on sait aujourd'hui qu'elles étaient peintes, les reconstitutions kitsch en diable de l'archéologue allemand Vinzenz Brinkmann ont suscité de sérieuses réserves dans la communauté scientifique. Les fresques datant de l'époque antique, peintes en trompe-l’œil, montrent également des reproductions de statues très sobres, où seuls les cheveux et les yeux comportent des touches de couleur. Bref, la blancheur du marbre antique n'a pas grand-chose d'un complot raciste, et les auditeurs de France Culture auraient pu bénéficier d'un décryptage plus subtil de la polychromie des statues grecques. A la place, on leur a servi un fantasme indigéniste monomaniaque.
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