mercredi 19 septembre 2018


De George Sand à Karl Marx

Les idées socialistes françaises et le canayen Papineau

Daniel Paquet                            dpaquet1871@gmail.com

MONTRÉAL - « Lorsque le régime féodal fut renversé et que la "libre" société capitaliste vit le jour, il apparut tout de suite que cette liberté signifiait un nouveau système d'oppression et d'exploitation des travailleurs, Aussitôt diverses doctrines socialistes commencèrent à surgir, reflet de cette oppression et protestation contre elle. Mais le socialisme primitif était un socialisme utopique. Il critiquait la société capitaliste, la condamnait, la maudissait ; il rêvait de l'abolir, il imaginait un régime meilleur ; il cherchait à persuader les riches de l'immoralité de l'exploitation.

Mais le socialisme utopique ne pouvait indiquer une véritable issue. Il ne savait ni expliquer la nature de l'esclavage salarié en régime capitaliste, ni découvrir les lois de son développement, ni trouver la force sociale capable de devenir le créateur de la société nouvelle.

Cependant les révolutions orageuses qui accompagnèrent partout en Europe et principalement en France la chute de la féodalité, du servage, montraient avec toujours plus d'évidence que la lutte des classes est la base et la force motrice du développement.

Pas une seule liberté politique n'a été conquise sur la classe des féodaux sans une résistance acharnée. Pas un seul pays capitaliste ne s'est constitué sur une base plus ou moins libre, démocratique, sans qu'une lutte à mort n'ait mis aux prises les différentes classes de la société capitaliste. Marx a ceci de génial qu'il fut le premier à dégager et à appliquer de façon conséquente l'enseignement que comporte l'histoire universelle. Cet enseignement, c'est la doctrine de la lutte de classes.

Les hommes ont toujours été et seront toujours en politique les dupes naïves des autres et d'eux-mêmes, tant qu'ils n'auront pas appris, derrière les phrases, les déclarations et les promesses morales, religieuses, politiques et sociales, à discerner les intérêts de telles ou telles classes. Les partisans des réformes et améliorations seront dupés par les défenseurs du vieil ordre de choses, aussi longtemps qu'ils n'auront pas compris que toute vieille institution, si barbare et pourrie qu'elle paraisse, est soutenue par les forces de telles ou telles classes dominantes. Et pour briser la résistance de ces classes, il n'y a qu'un moyen : trouver dans la société même qui nous entoure, puis éduquer et organiser pour la lutte, les forces qui peuvent - et doivent de par leur situation sociale - devenir la force capable de balayer le vieux et de créer le nouveau.

Seul le matérialisme philosophique de Marx a montré au prolétariat la voie à suivre pour sortir de l'esclavage spirituel où végétaient jusque-là toutes les classes opprimées. Seule la théorie économique de Marx a expliqué la situation véritable du prolétariat dans l'ensemble du régime capitaliste.

Les organisations prolétariennes indépendantes se multiplient dans le monde entier, de l'Amérique au Japon, de la Suède à l'Afrique du Sud. Le prolétariat s'instruit et s'éduque en menant sa lutte de classe ; il s'affranchit des préjugés de la société bourgeoise, il acquiert une cohésion de plus en plus grande, il apprend à apprécier ses succès à leur juste valeur, il retrempe ses forces et grandit irrésistiblement. » (Lénine, Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme, Éditions du Progrès, Moscou, 1971, pages 61-62).

Contemporaine de Karl Marx, George Sand écrivait dans un de ses romans : « depuis seulement que j’existe il s’est fait plus de mouvement dans les idées et dans les coutumes de mon village, qu’il ne s’en était vu durant des siècles avant la Révolution (i.e. 1789-1793).  Déjà la moitié des cérémonies celtiques, païennes ou moyen âge, que j’ai vues encore en pleine vigueur dans mon enfance, se sont effacées.  Encore un ou deux ans peut-être, et les chemins de fer passeront leur niveau sur nos vallées profondes, emportant, avec la rapidité de la foudre, nos antiques traditions et nos merveilleuses légendes. » (Sand, George, La Mare au Diable, Gallimard -Folio- Paris, 1999, page 154).

« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c’est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu’ils évoquent craintivement les esprits du passé, qu’ils leur empruntent leurs noms, leurs mots d’ordre, leurs costumes, pour apparaître sur la nouvelle scène de l’histoire sous ce déguisement respectable et avec ce langage emprunté. » (Marx, Karl, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Folio, Paris, page 176).

« … l’objet général de la révolution moderne, lequel (- chose normale dans le prologue du drame -) était singulièrement en contradiction avec tout ce qui pouvait d’emblée être mis en œuvre, dans la situation et les conditions données, avec les matériaux existants, et avec le degré de développement atteint par la masse. » (Marx, Le 18 Brumaire, pages183-184).

       « Comme l’on sait, le 15 mai n’eut d’autre résultat que d’éloigner de la scène publique, pour toute la durée de la période que nous considérons, Blanqui et ses partisans, les communistes révolutionnaires, c’est-à-dire les véritables chefs du parti prolétarien. » (Marx, Le 18 Brumaire, page 185).
« D’un autre côté, 750 représentants du peuple, élus au suffrage universel et rééligibles, constituant une Assemblée nationale irresponsable, indissoluble, indivisible, une Assemblée nationale jouissant d’une toute-puissance législative ». (Marx, Le 18 Brumaire de L. Bonaparte, Gallimard, Paris, 2002, pages 193-194).

Dans la foulée, « l'État s'offre à nous comme la première puissance idéologique s'exerçant sur l'homme. La société se crée un organisme en vue de la défense de ses intérêts communs contre les attaques intérieures et extérieures. Cet organisme est le pouvoir d'État. A peine né, il se rend indépendant de la société, et cela d'autant plus qu'il devient davantage l'organisme d'une certaine classe, qu'il fait prévaloir directement la domination de cette classe. La lutte de la classe opprimée contre la classe dominante devient nécessairement une lutte politique, une lutte menée d'abord contre la domination politique de cette classe ; la conscience de la corrélation de cette lutte politique avec sa base économique s'estompe et peut même disparaître complètement. Mais même lorsque ce n'est pas tout à fait le cas chez ceux qui participent à cette lutte, le fait se produit presque toujours dans l'esprit des historiens. De toutes les anciennes sources concernant les luttes au sein de la République romaine, Appien est le seul à nous dire clairement et nettement de quoi il s'agissait en réalité, à savoir de la propriété foncière. »  (Engels, Friedrich, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Éditions sociales, Paris, 1966, pages 76-77).

« La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire.

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l'homme féodal à ses "supérieurs naturels", elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d'autre lien, entre l'homme et l'homme, que le froid intérêt, les dures exigences du "paiement au comptant". Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. » (Marx-Engels, Manifeste du Parti communiste, Flammarion, Paris, 2008, page 231).

Il est clair que Sand partage le point de vue de Marx en soulignant que « les mauvais (sic!) riches aujourd’hui demandent des fortifications et des canons pour écarter l’idée d’une jacquerie, que l’art leur montre travaillant dans l’ombre, en détail, en attendant le moment de fondre sur l’état social. (…)  Le gouvernement d’aujourd’hui calme l’inquiétude des riches en leur faisant payer beaucoup de gendarmes et de geôliers, de baïonnettes et de prisons. » (Sand, George, La Mare au Diable, page 35).

« Mais ce qui parlait le plus clairement, c’était l’expérience que la classe paysanne avait faite de l’expérience du droit de vote, et les déceptions qui, coup sur coup, s’abattaient sur le paysan dans le tourbillon révolutionnaire.  Les révolutions sont les locomotives de l’histoire. »  (Marx, Karl, Les Luttes de classes en France, Folio, Paris, 1994, page 115).

« Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes, autrement dit la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle.  La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose, du même coup, des moyens de la production intellectuelle, si bien que, l’un dans l’autre, les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante. » (Marx-Engels, L’idéologie allemande, Éditions sociales, Paris, 1968, page 74).

Que se passe-t-il dans la colonie britannique du Bas-Canada après l’insurrection de 1837 et la déportation de ses révolutionnaires vers d’autres colonies de l’Empire anglais?  En septembre 1845, le leader canadien-français, Louis-Joseph Papineau rentre à Montréal après huit ans d’exil aux États-Unis et en France.  En 1848, il prononce un discours où il déclare : « Ce n’est pas dans le Bas-Canada, qui, lui, fut le premier entre toutes les colonies anglaises, a le mérite d’avoir passé un acte de naturalisation en faveur de tous les hommes, sans distinction, de leur culte, ni du pays de leur naissance (…) et qui donne le droit à tous les membres de la famille humaine, de venir travailler le sol, exercer leurs diverses industries, jouir des mêmes droits civils, religieux et politiques, en libre compétition avec les constituants Français des représentants Français qui ont consacré ce principe humanitaire d’universelle fraternité. »  Cependant, il y a forte opposition à Papineau et aux libéraux.

« Entre 1840 et 1852, les libéraux font face à une nouvelle forme d’alliance de l’Église et du conservatisme, d’alliance du pouvoir religieux et du pouvoir politique.  L’Église catholique récolte en 1839 les fruits de son loyalisme depuis 1763 et à l’occasion des rébellions de 1837 et de 1838, elle obtient une reconnaissance légale.  Ses positions sur la souveraineté populaire, sur la stratégie libérale de rappel de l’Union, sur les dangers de l’annexion pour la religion, sur le pouvoir temporel du pape servent la vision et les visées du parti de La Fontaine qui, en retour, permet à l’ultramontanisme de mettre en place un système d’instruction publique confessionnalisé et sous la responsabilité et le contrôle de l’Église.  Dorénavant, les valeurs transmises par l’école sont celles de la religion et du conservatisme. » (Lamonde, Yvan, Histoire sociale des idées au Québec 1760-1896, Éditions Fides, 2000, pages 300, 318-319).

                                                                                                                                                                        
1848, répression de la révolution populaire contre les vestiges de la monarchie française et de la bourgeoisie qui affermit son pouvoir; moins d’une trentaine d’années (surtout à Paris), les ouvriers prennent le pouvoir de la capitale, Paris.  Nous sommes en 1871.  Arrive « en ville » un jeune poète talentueux qui bouscule tous les tabous véhiculés par la classe dominante; c’est Arthur Rimbaud.  Il a composé entre autres Sensation et le Dormeur du Val où il fustige la guerre, ne serait-ce que celle qui fut une boucherie pour la jeunesse de France, contre la Prusse.

En Amérique du Nord, on assiste à la formation du Canada (1867).

Par contre, Rimbaud est enseigné dans les collèges québécois depuis lors.  Le chanteur Robert Charlebois met en musique Sensation.  C’est le Premier Ministre du Canada, M. Justin Trudeau, qui ranimera Le Dormeur du Val, à l’occasion d’une rencontre internationale en Asie, où il lira ce poème pour la Journée de l’Armistice.

« Après la défaite des révolutions de 1848, toutes les associations et tous les journaux politiques des classes ouvrières furent écrasés sur le continent par la main brutale de la force ; les plus avancés parmi les fils du travail s'enfuirent désespérés outre Atlantique, aux Etats-Unis, et les rêves éphémères d'affranchissement s'évanouirent devant une époque de fièvre industrielle, de marasme moral et de réaction politique. Dû en partie à la diplomatie anglaise qui agissait, alors comme maintenant dans un esprit de fraternelle solidarité avec le cabinet de Saint-Pétersbourg (i.e. le régime des tsars en Russie), l'échec de la classe ouvrière continentale répandit bientôt ses effets contagieux de ce côté de la Manche. La défaite de leurs frères du continent, en faisant perdre tout courage aux ouvriers anglais, toute foi dans leur propre cause, rendait en même temps aux seigneurs terriens et aux puissances d'argent leur confiance quelque peu ébranlée. Ils retirèrent insolemment les concessions déjà annoncées. La découverte de nouveaux terrains aurifères amena une immense émigration et creusa un vide irréparable dans les rangs du prolétariat de la Grande-Bretagne. D'autres, parmi ses membres les plus actifs jusque-là, furent séduits par l'appât temporaire d'un travail plus abondant et de salaires plus élevés et devinrent ainsi des « briseurs de grève politiques ». En vain essaya-t-on d'entretenir ou de réformer le mouvement chartiste, tous les efforts échouèrent complètement. Dans la presse, les organes de la classe ouvrière moururent l'un après l'autre de l'apathie des masses et, en fait, jamais l'ouvrier anglais n'avait paru accepter si entièrement sa nullité politique. Si autrefois il n'y avait pas eu solidarité d'action entre la classe ouvrière de la Grande-Bretagne et celle du continent, maintenant il y a, en tout cas, entre elles, solidarité de défaite.
 Après une lutte de trente années, soutenue avec la plus admirable persévérance, la classe ouvrière anglaise, profitant d'une brouille momentanée entre les maîtres de la terre et les maîtres de l'argent, réussit à enlever le bill de dix heures. Les immenses bienfaits physiques, moraux et intellectuels qui en résultèrent pour les ouvriers des manufactures ont été enregistrés dans les rapports bisannuels des inspecteurs des fabriques et, de tous côtés, on se plaît maintenant à les reconnaître. La plupart des gouvernements continentaux furent obligés d'accepter la loi anglaise dans les manufactures, sous une forme plus ou moins modifiée, et le Parlement anglais est lui-même chaque année forcé d'étendre et d'élargir le cercle de son action. Mais à côté de son utilité pratique, il y a dans la loi certains autres caractères bien faits pour en rehausser le merveilleux succès. Par la bouche de ses savants les plus connus, tels que le docteur Ure, le professeur Senior et autres philosophes de cette trempe, la classe moyenne avait prédit et allait répétant que toute intervention de la loi pour limiter les heures de travail devait sonner le glas de l'industrie anglaise qui, semblable au vampire, ne pouvait vivre que de sang, et du sang des enfants, par-dessus le marché. Jadis, le meurtre d'un enfant était un rite mystérieux de la religion de Moloch, mais on ne le pratiquait qu'en des occasions très solennelles, une fois par an peut-être, et encore Moloch n'avait-il pas de penchant exclusif pour les enfants du pauvre. Ce qui dans cette question de la limitation légale des heures de travail, donnait au conflit un véritable caractère d'acharnement et de fureur, c'est que, sans parler de l'avarice en émoi, il s'agissait là de la grande querelle entre le jeu aveugle de l'offre et de la demande, qui est toute l'économie politique de la classe bourgeoise, et la production sociale contrôlée et régie par la prévoyance sociale, qui constitue l'économie politique de la classe ouvrière. Le bill des dix heures ne fut donc pas seulement un important succès pratique ; ce fut aussi le triomphe d'un principe; pour la première fois, au grand jour, l'économie politique de la bourgeoisie avait été battue par l'économie politique de la classe ouvrière. » (Marx, Karl, Adresse inaugurale de l’Association internationale des travailleurs, Les Éditions du Progrès, Moscou, 1978, pages 9-10).


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