mercredi 11 avril 2018


Une bonne tête sur les épaules

Daniel Paquet

C’est tout de même fascinant que de voir comment des cerveaux peuvent disjoncter.  Une journée, certains sont heureux; quelques jours ou quelques heures plus tard, ils deviennent colériques, sans motifs déterminés ou provocations très blessantes… morales ou physiques.

Alors survient la riposte :  un grave mutisme ou la gesticulation violente.  Attention, la violence est aussi un moyen de protection ou de défense.

Ce n’est pas –toujours et ainsi- une désorganisation de la personnalité. De plus, ce n’est pas vraiment et absolument un échappatoire.

La maladie suppose souvent que se dresse un miroir déformant et une vision fantasmagorique.  Le regard sur soi ou l’autre (avec l’environnement ambiant – la Nature-, est instable et incohérent).

La souffrance envahit.  Étant donné que le trouble a comme source – un tenant et un aboutissant -, le cerveau; il est difficile d’en arriver à une pleine guérison.  On peut seulement parler de réhabilitation ou de rétablissement.  Pour en parvenir là, les recherches ont conduit à l’utilisation de substances médicamenteuses (la fameuse molécule), et le discours assisté.  Les deux approches peuvent être concomitantes; et c’est le cas au Québec où l’espoir d’un « aller-mieux » passe par ce chemin obligé.

Dans le cas des médicaments, c’est un parcours de tentatives hésitantes :  on y va, on recule, on essaie de nouveau, etc.  L’approche psycho-thérapeutique est – et ça peut surprendre - très efficace.  Par exemple, il peut y avoir un flot de paroles du malade s’il fait confiance au thérapeute; ce dernier délicatement fixe les balises.  A l’issue d’une séance, le patient se souviendra toujours plus de l’origine de ses malaises.  Et ça peut entraîner un grand soulagement, la satisfaction de la tâche accomplie et toujours plus dans le temps qui se déroulera.

Rebâtir une personnalité, c’est comme le cube Rubik.  Il n’y a pas de rythme précis, colligé dans un calendrier.  Ça peut aller plus ou moins rapidement. Pensons à cette blague : « combien ça prend de psychiatre pour changer une ampoule?   Juste un, en autant que l’ampoule veuille bien changer! »

Reconstruire l’individu suppose qu’on doive l’aider à trouver (ou retrouver) un but dans la vie et à se fonder de(s) ou un projet(s).  Mais, c’est impérieux que le sujet apprenne à se tourner vers l’autre, vers les autres, vers la société.

Il n’est pas un cobaye sans direction bien orientée. Il doit apprendre à vivre avec des objectifs.  Il n’a pas à craindre d’emprunter des traits de caractère chez des membres de sa famille, d’amis, de la société (théâtre, cinéma, etc.) en général et même des soignants… en particulier.  Ce n’est pas un aveu de faiblesse, car on grandit avec les autres.  On se nourrit des autres.
Personnellement, je crois que le discours idéologique de gauche alimente la « réflexion » du patient.  L’idéal serait que les partis politiques qui se réclament de la gauche, comme le Parti communiste, contribuent activement à briser les tabous qui gravitent autour de la maladie mentale.

Déjà, Frantz Fanon, médecin psychiatre, militant actif du Front de Libération Nationale, lors de la guerre d’indépendance en Algérie, dans les années 1950-1960, avait senti la nécessité de cette démarche.

Probablement, le médecin communiste canadien Norman Bethune, qui s’est illustré lors de la guerre civile en Espagne aux côtés des progressistes contre les forces fascistes du général Franco; et plus tard avec Mao Zédong pour la libération de la Chine contre les nationalistes réactionnaires de Tchang kaï-Chek.

Évidemment, le contexte est différent en Amérique du Nord.  D’abord, le principal courant social et politique, c’est l’individualisme; alors que la philosophie triomphante c’est le pragmatisme.

Qu’est-ce à dire?  C’est que l’entourage n’arrive pas toujours à détecter chez l’individu - ou intervenir si possible -, sa déviance ou son dérapage.  L’unique solution :  s’emparer entre autres de la semaine nationale pour la santé mentale afin d’initier des débats, inviter soignants et soignés à bousculer l’omerta, la gêne et les fichus tabous.  On doit parler ouvertement de la schizophrénie (de la bi-polarité, etc.) comme on parle du cancer du sein ou du diabète.

Finalement, aimer le malade, c’est déjà le restituer dans ses droits à un mieux-être et à la santé.

C’est enfin contribuer à ce qu’il soit pris en charge avant qu’il ne commette – même si c’est loin d’être la majorité – un geste irréparable.

Remercions donc tous ceux qui ont pris à bras le corps la maladie; osons pour qu’elle devienne un jour, rien de plus qu’un souvenir douloureux.


Daniel Paquet a été admis à l’Institut Philippe-Pinel de Montréal en juillet 1981.  Il a connu de longues périodes de rémission, malgré un va-et-vient constant.  Aujourd’hui, il a des amis et fréquente des centres pour anciens patients, à Montréal.  Il a de même une formation universitaire en communications (journalisme).



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