vendredi 29 septembre 2017


                     
Chronique

Les écolières voilées

Comment accepter qu’une écolière de 7 ans, au Québec, porte le voile ? Est-ce le signe d’un intégrisme religieux qui nous rattrape dans les écoles ? Ne faudrait-il pas que l’école québécoise soit exempte de manifestations identitaires religieuses ?
Ces questions abordées mercredi par Nadia El-Mabrouk, militante pour la laïcité, dans un texte publié dans la section Débats, sont plus complexes qu’elles n’en ont l’air.
Mettons d’abord les choses en contexte. De qui et de quoi parle-t-on exactement ? On ne dispose pas de données chiffrées sur les fillettes voilées au Québec, me dit la psychiatre Cécile Rousseau, directrice scientifique du centre de recherche SHERPA du CSSS de la Montagne et professeure à l’Université McGill.
Même si on sait qu’il s’agit d’un microphénomène à l’école primaire – la majorité des Québécoises de confession musulmane ne portent pas le voile –, il est vrai que l’on note une recrudescence. « Les jeunes filles et les femmes portent le voile plus qu’avant à Montréal en général et dans certains quartiers en particulier. Il est vrai qu’on le voit à l’école et que cela suscite des tensions. »
Cette recrudescence est-elle nécessairement liée à une montée de l’intégrisme ? Ce n’est pas aussi simple, dit la Dre Rousseau, qui nous met en garde contre la simplification d’enjeux complexes dans un contexte de grande polarisation.
« Est-ce qu’il y a certaines familles qui imposent le port du voile à leur jeune fille et pour qui il s’agit effectivement d’une forme d’oppression ? Oui. Est-ce qu’il y en a plus qu’avant ? Dans les recherches que nous avons faites à Parc-Extension, je n’ai aucune preuve allant dans ce sens. »
Les recherches mettent toutefois en évidence deux phénomènes en forte augmentation qui expliquent en grande partie cette recrudescence, selon la Dre Rousseau. D’abord, une affirmation identitaire réactive.
« Ça veut dire que si vous sentez que votre identité collective est menacée, la réaffirmer encore plus devient une façon de se protéger et de se battre. »
— Cécile Rousseau, directrice scientifique du centre de recherche SHERPA du CSSS de la Montagne et professeure à l’Université McGill
Un exemple ? Après les attentats de Paris, beaucoup de Français ont mis des drapeaux de la France à leur fenêtre. « C’est une affirmation identitaire. Une façon de dire : “Même pas peur.” »
De même, après les attentats du 11 septembre 2001 et la montée de la discrimination contre les arabo-musulmans, on a vu une recrudescence de voiles. « Dans le cadre de nos recherches, les jeunes filles nous disaient : “J’ai mis le voile et ça ne me fait rien, ce que l’on peut penser de moi, si on pense que je suis terroriste ou quoi que ce soit… C’est une façon de dire que je suis fière d’être ce que je suis.” »
Bref, à partir du moment où un symbole identitaire est interdit, marginal ou fragilisé, que ce soit à cause d’attentats ou de discrimination, on aura tendance à le revendiquer de façon plus importante. « De la même façon, si on a l’impression que l’identité québécoise est menacée par l’ensemble nord-américain qui prend de plus en plus d’importance, on va revendiquer des symboles identitaires qui vont être beaucoup plus présents comme une façon de se protéger. »
L’autre phénomène qui explique en partie la résurgence du voile, c’est la volonté d’en faire un geste de protestation politique. Un phénomène que l’on observe plus particulièrement chez les adolescentes.
Il y a de multiples significations au port du voile. Même si on ne peut nier que des pressions intracommunautaires existent, les cas où on peut parler, au Québec, d’un geste de soumission dans un contexte d’oppression et de domination patriarcale sont extrêmement minoritaires, observe la psychiatre. À l’envers du stéréotype de la Québécoise musulmane soumise, il y a très souvent des filles qui portent le voile contre l’avis de leurs parents.
Même dans l’enfance ? L’anthropologue de l’Université de Montréal et chercheuse du SHERPA Josiane Le Gall, qui s’est intéressée à la transmission de la religion chez les jeunes musulmans du Québec, a recueilli des témoignages en ce sens. « Souvent, les jeunes filles qui ont porté le voile dans l’enfance nous disent que leurs parents n’étaient pas d’accord. Certaines auraient même voulu le porter et les parents s’y sont opposés. »
***
Que faire dans les cas où des fillettes forcées de porter le voile sont en détresse ? La Dre Cécile Rousseau, qui a déjà soutenu avec succès des écoles dans de telles situations, prône le dialogue respectueux avec les familles. Des situations où, par exemple, une très petite fille, qui ne portait pas le voile au début de l’année scolaire, est arrivée à l’école avec un voile après l’épisode de la charte des valeurs.
« De façon évidente, la fillette n’était pas à l’aise. Elle enlevait son voile en arrivant à l’école et le remettait après pour faire plaisir à maman. L’enseignante qui était inquiète avait réussi à relancer le dialogue et une alliance forte avec la mère. Et les choses avaient bien évolué après. »
Ce dialogue qui permet de maintenir un lien entre l’école et les parents dans l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la priorité. « En misant sur cette alliance, on s’en tire beaucoup mieux que dans la plupart des pays d’Europe qui ont interdit le voile à l’école. »
On ferait donc fausse route en suivant la voie de l’interdiction ? « Si on veut, en ce moment, mettre de l’huile sur le feu au niveau social, c’est exactement ce qu’il faut faire… »
Il me semble qu’il y a assez d’huile sur les feux qui couvent déjà.
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