BERLIN – Autrefois fondamentaliste salafiste, Ahmad Mansour est devenu l’un détracteurs de l’islam radical le plus véhément d’Europe.
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Né et élevé dans le village arabe israélien de Tira (au nord de Kfar Saba), Mansour a étudié la psychologie à l’université de Tel Aviv avant de s’installer à Berlin. Dans la capitale allemande, il s’est donné comme mission de lutter contre la radicalisation de la jeunesse musulmane d’Allemagne.
        
« L’une des raisons pour laquelle la rédemption proposée par les islamistes est si attrayante aux personnes ayant un bagage musulman, c’est parce qu’elle repose sur des idées religieuses et des motivations culturelles avec lesquelles elles sont familières », a expliqué Mansour au Times of Israël dans une récente interview à Berlin.
« Alors, le défi de la société allemande n’est pas seulement de répondre aux problèmes de ces jeunes avant que les salafistes et les islamistes ne s’en emparent, mais de les éduquer avec des valeurs occidentales qui les immunisera contre l’incitation islamiste », a-t-il dit.
Invité récurrent des émissions de télévision allemande et chroniqueur dans la presse, Mansour soutient que les Européens ne devraient pas être trop tolérants des valeurs arriérées des sous-cultures musulmanes dans le continent, parce que cela serait au détriment des idéaux démocratiques occidentaux.
Mansour met en garde contre les sociétés ghettos, qui préparent le terrain pour que les organisations djihadistes recrutent des terroristes qui commettront des attentats à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe.
Le président américain Barack Obama avec le président français François Hollande devant un mémorial à l'extérieur du Bataclan, à Paris, le 30 novembre 2015. (Crédit : Jim Watson/AFP)
Le président américain Barack Obama avec le président français François Hollande devant un mémorial à l’extérieur du Bataclan, à Paris, le 30 novembre 2015. (Crédit : Jim Watson/AFP)
En effet, nombre d’attentats récents en Europe ont été perpétrés par des locaux, des citoyens britanniques, belges, français, allemands, notamment lors de l’attentat de Paris, en novembre 2015, de l’attentat de Bruxelles en mars 2016, de l’attaque contre un policier allemand à Hanovre en avril 2016, et cette semaine, à Manchester.
Salman Abedi, né en Grande-Bretagne a été identifié comme le kamikaze qui a tué 22 personnes, dont plusieurs enfants, à la sortie du concert de la star de la pop américaine Ariana Grande, au Manchester Arena, au nord ouest de l’Angleterre.
De plus, un nombre conséquent d’Européens se rendent au Moyen Orient pour se battre aux côtés de l’État islamique, d’Al-Qaïda et d’autres milices islamistes en Afghanistan, en Syrie ou au Pakistan. C’est pour cela que Mansour souligne que le djihadisme n’est pas uniquement un problème de politique étrangère, mais bien un problème de politique intérieure, au regard du terrorisme européen qui prospère sur le sol de l’Europe.
En tant que directeur de programme, conseiller et éducateur, Mansour éduque les jeunes qui vivent dans des communautés musulmanes isolées et tente de les immuniser contre les incitateurs qui viennent les recruter pour le djihad.
Ahmad Mansour en pleine conférence au Campus Muengersdorf University. (Crédit : Marc Neugroeschel/Times of Israel)
Ahmad Mansour en pleine conférence au Campus Muengersdorf University. (Crédit : Marc Neugroeschel/Times of Israel)
Il travaille avec des organisations telles que la Fondation européenne pour la Démocratie HAYAT, qui propose de conseiller ceux qui seraient sous l’influence de violents radicaux, et l’initiative éducative HEROES pour les migrants.
Il conseille également les familles et les pairs des jeunes musulmans radicalisés, afin de les aider à influencer leurs proches dans la bonne direction.
Son livre, Génération Allah, un best-seller en Allemagne, a été acclamé comme une prise de conscience pour la société allemande et une critique courageuse de l’islam radical et de l’approche de l’Allemagne.
Mansour a reçu de nombreuses récompenses, mais il est aussi la cible d’hostilités de la part des musulmans radicaux et des militants de la gauche politique qui l’accusent d’islamophobie. Il a besoin d’une importante protection policière et de gardes du corps lors de ses apparitions en public, mais reste flegmatique et continue à diffuser son message. Il s’est étendu là-dessus dans une interview accordée au Times of Israël.
‘Generation Allah,’ par Ahmad Mansour (paru en allemand). (Crédit : autorisation)
‘Generation Allah,’ par Ahmad Mansour (paru en allemand). (Crédit : autorisation)
Dans votre livre Génération Allah, vous décrivez comment vous êtes tombé aux mains du salafisme, et comment vous vous êtes débarrassé de cette idéologie radicale. Vous avez grandi dans le village israélo-arabe de Tira. Les raisons qui poussent à la radicalisation chez les musulmans en Israël sont-elles les mêmes que celles qui touchent les musulmans en Allemagne ?
Fondamentalement, non. Le schéma est toujours le même. Les jeunes grandissent dans un milieu qui regroupe instabilité familiale et éducation autoritaire. Quand l’on ajoute l’exposition à certaines formes de l’islam depuis le plus jeune âge, qui cause des peurs et des insécurités, c’est le cocktail parfait pour que les personnes soient sensibles aux promesses de rédemption des prêcheurs salafistes et islamistes si elles traversent une quelconque crise émotionnelle, morale, psychologique ou sociale.
Je pense qu’à l’instar de ce qui se passe en Allemagne, la société israélienne ignore la radicalisation des musulmans israéliens et ne fait rien contre ce phénomène. Israël se focalise sur le conflit avec le Hamas à Gaza et avec les Palestiniens, et en oublie les problèmes de la société civile musulmane en Israël. De plus, la société israélienne doit comprendre que l’islamisme ne peut être battu que sur le terrain.
Vous écrivez que votre cérémonie de fin de lycée a marqué un tournant dans votre vie. C’est là que vous avec commencé à tourner le dos à l’islam radical. Cela veut-il dire que le système éducatif israélien peut lutter contre la radicalisation ?
Ce qui a été décisif pour moi, ce n’était pas tant le bagrut (baccalauréat israélien), mais plutôt l’univers que j’ai créé à cette période et un peu après. J’ai déménagé à Tel Aviv, j’ai rencontré de nouvelles personnes, de nouvelles idées. J’ai étudié la psychologie à l’université de Tel Aviv et j’ai élargi mes horizons. Tout cela m’a encouragé à remettre en question mes convictions, et à finir par en changer.
Vous écrivez que c’est notamment l’interaction avec des juifs qui vous a permis de dépasser des stéréotypes antisémites.
Absolument.
Dans ce cas, la promotion de lycées mixtes judéo-arabes serait-elle une bonne idée pour lutter contre la radicalisation chez les arabes israéliens ?
Eh bien… cela fait dix ans que je ne vis plus en Israël, et je maitrise mieux la société allemande… mais il est possible que ce soit une approche prometteuse.
Combien d’Européens combattent aujourd’hui dans des milices islamistes au Moyen Orient ?
« Il y a une sous-culture de salafistes et de musulmans qui ne sont pas encore radicalisés, mais qui sont très sensibles à l’incitation islamiste »
Ahmad Mansour
Les services de renseignement ont estimé à 1 960 le nombre de combattants islamistes, mais suggèrent que le chiffre réel s’approche davantage du double ou du triple. Au regard des demandes que je reçois de parents et de proches désespérés qui m’appellent lorsqu’ils soupçonnent que leurs amis ou leurs enfants ont disparu dans une zone de guerre au Moyen Orient, je ne serais pas surpris si ce nombre va encore au-delà.
Cependant, ceux qui quittent l’Europe ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Le problème principal est qu’il y a une sous-culture de salafistes et de musulmans qui ne sont pas encore radicalisés, mais qui sont très sensibles à l’incitation islamiste, et qui pourraient potentiellement être recrutés pour participer aux activités djihadiste. Je pense qu’il s’agit de dizaines de milliers de personnes en Allemagne uniquement. C’est ce que j’appelle la génération Allah. Et ce sont eux qui devraient être au centre de l’attention politique et des initiatives éducatives.
Qu’est-ce qui permis à cette idéologie islamiste de devenir tellement influente en Europe ?
Je ne pense pas que nous parlons d’un problème spécifiquement européen ici. L’islamisme et le djihad sont des phénomènes internationaux, qui ont fini par toucher l’Europe aussi. Mais même si l’Europe n’a rien fait de particulier pour générer ce problème, elle l’exacerbe par son inactivité.
Ahmad Mansour fait la promotion d'une meilleure intégration pour les immigrants de première et seconde génération au sein de la société européenne. (Crédit : Franziska Richter)
Ahmad Mansour fait la promotion d’une meilleure intégration pour les immigrants de première et seconde génération au sein de la société européenne. (Crédit : Franziska Richter)
Que voulez-vous dire ?
L’islamisme ne peut pas être expliqué comme une réaction au racisme ou à la discrimination dont fait l’objet la minorité musulmane, qui existe bien en Allemagne et ailleurs. Le manque d’effort pour intégrer les migrants et les enfants des familles de migrants qui vivent en Allemagne depuis deux ou trois générations signifie que nous laissons passer l’opportunité de diffuser des valeurs occidentales aux personnes nées dans ce pays.
Nous laissons leur socialisation se faire dans les sous-cultures musulmanes, où ils sont généralement élevés dans un esprit contraire aux idéaux démocratiques allemands. Cela n’en fait pas nécessairement des radicaux. Mais cela les rend plus sensibles à la propagande islamiste à la moindre crise personnelle.
Vous écrivez que les salafistes sont les meilleurs travailleurs sociaux.
Les personnes qui adhèrent à l’islamisme ne cherchent pas explicitement une idéologie religieuse dès le départ. Ils cherchent plutôt une rédemption de tous leurs problèmes psychologiques et sociaux. Les salafistes et les islamistes initient un contact, les écoutent, les convient dans leurs mosquées et les intègrent dans leurs communautés, où ils découvrent la solidarité et le sentiment d’appartenance qu’ils recherchaient désespérément.
Ils leurs font aussi sentir qu’ils font partie d’une élite qui comprend une révélation divine que les autres ignorent. Ainsi, ils leur donnent un sentiment de supériorité qui compense la marginalisation dont font souvent l’objet les musulmans dans les sociétés occidentales.
Ahmad Mansour. (Crédit : Heike Steinweg)
Ahmad Mansour. (Crédit : Heike Steinweg)
La société allemande doit intégrer ces jeunes gens et leur fournir un sentiment d’identité basé sur des valeurs occidentales plutôt qu’une identité basée sur une contre-culture anti-occidentale et patriarcale, avec des valeurs archaïques qui, il est bien regrettable, est souvent tolérée par les Allemands au nom du multiculturalisme.
Nous venons de voir dans le référendum sur la constitution en Turquie, pour lequel les Turcs expatriés en Allemagne ont pu voter, que 450 000 Turcs vivant en Allemagne ont voté pour la dictature. Est-ce un signe d’échec de l’intégration ?
Très certainement. Ces votants ont exprimé leur mépris pour les valeurs démocratiques de la constitution allemande. De plus, ils ont également été attirés par la rhétorique islamiste d’Erdogan, qui dépeint l’Occident comme l’ennemi du monde musulman. Cela prouve bien leur sensibilité pour les positions islamistes.
Que peut-on faire pour améliorer l’intégration des musulmans dans la société allemande ?
Premièrement, il faut commencer par la communauté musulmane elle-même. Les musulmans doivent accepter les valeurs de la société dans laquelle ils ont choisi de vivre. Et c’est à cela que je m’attelle. Cependant, ce type d’initiatives est souvent contrecarré par le gouvernement allemand et par les forces dominantes de la société allemande qui marginalisent les musulmans libéraux et qui coopèrent avec les islamistes.
De quelle manière ?
Je vais vous donner deux exemples : lors de la cérémonie commémorative pour les victimes de l’attentat du marché de Noël de Berlin en décembre dernier, l’imam islamiste Ferid Heider a prêché, aux côtés de la chancelière allemande Angela Merkel, de l’ancien président Joachim Gauck et d’autres politiciens et hommes d’Église haut placés.
Raed Saleh, le président du groupe social démocrate du SPD au Parlement allemand, prie devant l'église du Souvenir de Berlin, au lendemain d'une attaque au camion bélier contre le marché de Noël de la ville qui a fait au moins 12 morts, le 20 décembre 2016. (Crédit : Tobias Shwarz/AFP)
Raed Saleh, le président du groupe social démocrate du SPD au Parlement allemand, prie devant l’église du Souvenir de Berlin, au lendemain d’une attaque au camion bélier contre le marché de Noël de la ville qui a fait au moins 12 morts, le 20 décembre 2016. (Crédit : Tobias Shwarz/AFP)
Heider dissémine des théories du complot anti-occidentales et antisémites. Sur sa page Facebook, il recommande un ouvrage du théologien égyptien-qatari Yusuf al-Qaradawi, qui est l’un des chefs de file de l’islamisme dans le monde entier, et qui cautionne les attentats-suicides des Palestiniens. Non seulement c’est une gifle au visage des victimes de l’attentat, mais cela légitime un islamiste qui prêche des valeurs anti-occidentales. Imaginez-vous ce qui se passe dans la tête d’un jeune musulman en Allemagne qui voit à la télévision ce prêcheur islamiste honoré par la chancelière et le président allemands.
« Imaginez-vous ce qui se passe dans la tête d’un jeune musulman en Allemagne qui voit à la télévision ce prêcheur islamiste honoré par la chancelière et le président allemands »
Ahmad Mansour
En 2015, l’actuel ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier Sigmar Gabriel, qui était alors ministre de l’Économie pour le gouvernement allemand, s’est rendu avec Aiman Mayzyek, président du Conseil central des musulmans d’Allemagne dans les pays du Golfe.
L’association de Mayzyek, comme toutes les organisations islamistes établies en Allemagne, est l’étendard de l’islamisme. Tristement, le gouvernement préfère parler avec eux plutôt qu’avec les représentants de la communauté musulmane libérale d’Allemagne.
Mais comment se fait-il que les salafistes et les islamistes en Allemagne soient si bien organisés, et que ce ne soit pas le cas des musulmans libéraux ?
Premièrement, les musulmans libéraux ne sont pas désireux de se rassembler parce qu’ils considèrent que la religion est un sujet privé, et ils n’ont pas de programme politique, à l’inverse des islamistes. Deuxièmement, nous, musulmans libéraux, manquons de fonds étant donné que nous ne touchons pas d’argent de l’Arabie saoudite ou de la Turquie, qui parrainent les organisations musulmanes établies en Allemagne pour qu’elles influencent la politique allemande et qu’elles défendent le programme islamiste.
Quel rôle joue le conflit au Moyen Orient dans la radicalisation des jeunes musulmans ?
Aucun. Les gens ne se rallient pas à l’idéologie islamiste parce qu’ils souffrent pour les Palestiniens à Gaza.
La diabolisation d’Israël et des Juifs est une expression de l’antisémitisme étroitement liée aux idées islamistes. Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec le conflit israélo-palestinien actuel.
Salafistes palestiniens à Rafah, en septembre 2012 (Crédit : Abed Rahim Khatib/Flash 90)
Salafistes palestiniens à Rafah, en septembre 2012 (Crédit : Abed Rahim Khatib/Flash 90)
Vous dénoncez également l’inactivité de la société allemande à l’égard de l’antisémitisme
L’antisémitisme musulman est un vrai problème de société en Allemagne. Dans de nombreuses cours de récré, le terme ‘juif’ est une insulte. Il y a à peine quelques semaines, un lycéen de Berlin a été tabassé par ses camarades de classe après avoir révélé être juif. Mais bien que la droite politique s’efforce de lutter contre l’antisémitisme, de nombreux Allemands sont plus disposés à accepter l’antisémitisme musulman ou nom d’une tolérance multiculturelle.
C’est inacceptable qu’un directeur d’école allemand qui apprend qu’un incident antisémite a été commis par des étudiants musulmans dans son école dise quelque chose du genre « ne soyez pas ennuyés, c’est classique chez les jeunes. »
Ce n’est pas une gifle simplement au visage des victimes, mais ça l’est également pour les musulmans libéraux qui sont placés sur le même plan que les islamistes radicaux.