lundi 27 février 2017

Une sortie de l’Euro

La question de la sortie de l’Euro est aujourd’hui entrée dans le débat public, ce qui est une bonne chose. Mais, elle y entre à travers des articles qui font partie de ce que les britanniques avaient appelé le « projet Peur » (ou Project Fear) lors du débat sur le BREXIT, c’est à dire des articles visant à effrayer l’électeur en lui décrivant des scénarios apocalyptiques. Ce « projet Peur » a trouvé une première réalisation avec l’étude réalisée par l’Institut Montaigne[1], un « Think Tank » où l’on retrouve le Président d’AXA, qui soutient largement la candidature de François Fillon. Cette étude relève très largement de la désinformation et a été examinée dans ce carnet dernièrement. On va examiner les avantages potentiels d’une sortie de l’Euro.

Sortie unilatérale et éclatement de la zone euro

La sortie de l’Euro est équivalente d’une dissolution de la zone Euro. En effet, et compte tenu des problèmes que connaît aujourd’hui l’économie italienne, ou l’économie espagnole, il est illusoire de croire que ces économies resteraient dans l’Euro une fois la France sortie de cette zone. L’ampleur de ces problèmes est aujourd’hui attestée par les mouvements de capitaux au sein de la zone Euro et qui montrent une accumulation de ces capitaux en Allemagne, via les comptes « Target2 » de la Banque Centrale Européenne.
Graphique 1
Balances TARGET2
On remarque immédiatement que l’on est aujourd’hui revenu à des mouvements d’une ampleur égale à celle de la fin 2011, quand la zone Euro était directement mise en causes. Cela donne une image de la crise actuelle que connaît la zone Euro, et montre qu’en cas de sortie de l’un des grands pays (Espagne, Italie ou France) les autres pays devraient rapidement suivre.
La dissolution de l’Euro, qu’elle résulte de mouvements unilatéraux ou qu’elle résulte d’une décision collective, aurait pour principal résultat de ramener toutes les économies à un système de changes flottants. Il faut d’abord examiner ce qu’impliquerait un tel système avant d’en regarder les conséquences.

Le retour aux changes flottants

Une étude du FMI[2] montre qu’en regardant les soldes courants des balances commerciales, on aboutit à l’image suivante :
Tableau 1
PaysSous estimation (-) ou surestimation du taux de change réel
Allemagne-15%
France6,0%
Italie5,0%
Espagne7,5%
Belgique6,0%
Pays-Bas-6%

Cela signifie donc, que si l’on prend le taux de change de l’Euro face au Dollar (1 Euro valant 1,06 USD) comme base de départ, les taux de change après la sortie devraient se fixer à ce niveau :

Tableau 2
PaysTaux de change face au Dollar après sortie
Allemagne1,219 USD
France0,996 USD
Italie1,007 USD
Espagne0,983 USD
Belgique0,996 USD
Pays-Bas1,124 USD

Mais ces taux ne tiennent pas compte de l’effet d’overshooting que l’on peut prévoir
Tableau 3
PaysTaux ThéoriqueTaux compte tenu de l’overshootingDépréciation par rapport au DMDépréciation par rapport au Dollar
Allemagne1,219 USD1,350 USD0+27,36%
France0,996 USD0,970-28,15%– 8,50%
Italie1,007 USD0,950-29,60%-10,38%
Espagne0,983 USD0,900-33,33%-15,10%
Belgique0,996 USD0,970-28,15%– 8,50%
Pays-Bas1,124 USD1,150-14,80%+8,49%

On voit immédiatement que le changement est relativement faible (sauf pour l’Allemagne) par rapport au Dollar, mais qu’il est substantiel si l’on prend le « néo-Deutsch Mark » comme base. De fait, l’ajustement des taux de changes se fait essentiellement à l’intérieur de l’ex-zone Euro.

Les conséquences de cet ajustement

Cet ajustement aurait pour première conséquence de faire disparaître l’excédent commercial de l’Allemagne, qui est aujourd’hui de 6,2% du PIB.
Différentes études, dont une réalisée par le FMI[3], montre que ces niveaux de dépréciations entraînent des effets très positifs sur les économies, avec un surcroît de croissance équivalent à 1% par -10% de dépréciation. Ainsi, et cela sans mobiliser d’autres ressources, la croissance de l’économie française monterait à 4% par an (1,2% + 2,8%).
Une croissance à un tel niveau aurait des conséquences très favorables sur l’emploi. On peut penser que l’on aurait un retour à l’emploi d’environ 200 000 personnes dans l’année, et qui se continuerait, voir s’amplifierait, les années suivantes. Si l’on estime que l’effet immédiat de la dépréciation initiale se fait sentir pendant environ 3 ans, le gain total sur ces trois ans se monte alors à 1 million / 1,5 millions. On rappelle que cette estimation est réalisée « toute chose étant égale par ailleurs ». En fait, d’autres facteurs viendraient jouer un rôle important.
  • L’amélioration de la profitabilité des entreprises et leur meilleure compétitivité entraîneraient une hausse de l’investissement.
  • Le rétablissement mécanique des comptes publics par l’effet du retour à l’emploi de nombreux travailleurs permettrait de faire baisser les prestations sociales payées par les entreprises.
  • La hausse du PIB se traduirait par une hausse des recettes fiscales, qui diminuerait d’autant le déficit budgétaire actuel.
Les effets indirects (dits aussi « de second tour ») de la sortie de l’Euro pourraient entraîner un retour à l’emploi compris entre 500 000 et 1 million de travailleurs dans un délai de cinq ans. C’est donc au total un gain sur le marché du travail de 1,5 millions à 2,5 millions de travailleurs que l’on assisterait, gain qu’il faut alors mettre en face de la masse actuel des demandeurs d’emplois (4,5 millions).

Au total, on se retrouverait avec une croissance nettement plus forte que la croissance actuelle (4% contre 1,2%), une forte réduction du chômage (de 1/3 à 55% du nombre actuel des chômeurs), et un équilibre automatique des comptes publics et du budget de l’Etat.
Quant aux dettes, qu’elles soient publiques ou privées, une étude de C. Durand et S. Villemot, publiée sur le site de l’OFCE le 12 janvier 2017, montre que la France bénéficierait d’une sortie de l’Euro[4]. Elle confirme l’application de la Lex Monetae, principe de droit international, pour les dettes publiques (dont 97%, émises en droit français, seraient automatiquement re-libellées en Franc), mais aussi pour les dettes des ménages et des entreprises.
[1] http://www.institutmontaigne.org/presidentielle-2017/propositions/marinele-pen-europe-et-international-engager-un-referendum-sur-la-sortie-de-lunion-europeenne et http://www.institutmontaigne.org/presidentielle-2017/propositions/marine-le-pen-europe-et-international-sortir-de-leuro-et-restaurer-une-monnaie-nationale-le-franc .
[2] IMF, 2016 EXTERNAL SECTOR REPORT, International Monetary Fund, juillet 2016, Washington DC, téléchargeable à : http://www.imf.org/external/pp/ppindex.aspx
[3] IMF, World Economic Outlook, Octobre 2015, Washington DC, chap. 3. Adresse : http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2015/02/
[4]https://translate.google.com/translate?hl=fr&prev=_t&sl=en&tl=fr&u=http://ofce.fr/pdf/dtravail/WP2016-31.pdf


Jacques Sapir
Ses travaux de chercheur se sont orientés dans trois dimensions, l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels. Il a poursuivi ses recherches à partir de 2000 sur les interactions entre les régimes de change, la structuration des systèmes financiers et les instabilités macroéconomiques. Depuis 2007 il s'est impliqué dans l’analyse de la crise financière actuelle, et en particulier dans la crise de la zone Euro.

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