mercredi 16 octobre 2019























Petites notes sur Marx et la psychologie



September 20, 2019


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Hervé Hubert








Les écrits de Marx sur la psychologie pourraient être qualifiés de rares et méconnus. Pour autant dans toute son oeuvre, il retourne ou renverse la base d’analyse des rapports sociaux, des rapports entre humains et à ce titre, il permet d’ouvrir une autre base pour une analyse psychologique, ou depuis l’apport de Freud, pour la psychanalyse.

​Le point fondamental est que Marx renverse le rapport entre ce qu’il appelle « la vie » et « la conscience » et cela intéresse donc à plus d’un titre les psys. Ainsi, il renverse le postulat qui faisait croire aux hommes que la conscience déterminait la vie. Cet énoncé pourrait rencontrer le point de vue psychanalytique : la conscience ne détermine pas la vie.
Cependant si nous évoquons les idées et non la conscience dans le rapport à la détermination, un flou s’instaure, notamment dans l’assimilation relativement commune entre pensée et langage.
De même les idées, l’esprit pourraient parfois être considérés comme dominants dans l’échange humain, y compris l’échange psy.
Cela se confronte au propos de Marx : en fonction des idées qu’ils ont dans la tête, les êtres sociaux organiseraient leurs échanges, leurs relations économiques, leurs rapports au pouvoir, leur monde matériel. Ainsi fonctionne le préjugé dominant encore aujourd’hui : les idées organiseraient le monde.
Marx montre dès le début de son oeuvre que c’est le monde matériel et social qui produit les idées que les hommes ont dans la tête. Le renversement produit par Marx est simple mais considérable : les idées ne fabriquent pas les conditions matérielles, ce sont les conditions matérielles qui fabriquent les idées.
Ce simple énoncé renverse les théories psychologiques ou psychanalytiques actuelles, comme il a renversé les théories de l’économie politique classique ou bien la philosophie. Il s’agit bien ici aussi de faire destruction théorique d’une théorie ancienne.
Le mot renversement est fort malgré son ambiguïté éventuelle. Il a été utilisé par Marx dans sa Postface du Capital pour qualifier l’opération topologique qu’il avait infligé à la dialectique de Hegel : celle-ci marchant sur la tête, il suffirait de la remettre sur les pieds pour lui trouver une physionomie tout à fait raisonnable, écrit-il. Louis Althusser et François Châtelet indiquent le risque d’en déduire que Marx aurait substitué à un usage idéaliste du concept, pris comme reflet du mouvement de la pensée, un usage matérialiste, pris comme reflet du mouvement réel.
Ce débat althusserien s’il concerne certains développements philosophiques marxistes, ne prend pas en compte le véritable renversement produit par Marx dans sa formulation contenue dans l’Idéologie allemande : « Jeunes et vieux Hégéliens sont d’accord pour croire, dans le monde existant, au règne de la religion, des concepts et de l’universel ».
Il n’y a pas en son fond de primat du concept chez Marx dans son usage de la dialectique mais un primat de la pratique sociale. C’est la pratique qui détermine le concept et sa fonction, remarque qui rejoint le propos de Bachelard : un concept est fait pour mourrir.
Leçon pour une certaine psychanalyse qui s’enferme dans l’idéalisme où le concept prédéfini est déjà là, avant toute pratique de rencontre avec l’humain ou bien encore occultant les pratiques de rencontre. Un exemple simple et édifiant illustrera mon propos. Lors d’« une présentation de malades » (sic), telle spécialiste de l’homosexualité aura l’outrecuidance d’énoncer après la sortie de l’impétrant que cet homme qui venait de dévoiler son histoire se trompait : il n’était certainement pas homosexuel car ce qu’il avait dit ne correspondait pas à la théorie de Lacan sur l’homosexualité. Ainsi l’idée devait organiser le monde, l’idée de Lacan sur l’homosexualité et ses concepts devaient organiser le monde du « malade » (sic)….

​Dans les Manuscrits de 1844, Karl Marx a une vue des plus stimulantes sur la psychologie : « On voit que l’histoire de l’industrie et l’existence objective de l’industrie sont le livre ouvert des forces essentielles de l’homme, la psychologie humaine matérielle que, jusqu’à présent, on ne concevait pas dans son lien avec l’essence de l’homme, mais toujours uniquement du point de vue de quelque relation extérieure utilitaire. C’est que, se mouvant à l’intérieur de l’aliénation, on réduisait la réalité des forces essentielles de l’homme et son activité générique à l’existence universelle de l’homme, la religion ou l’histoire dans son essence abstraite universelle : la politique, l’art, la littérature, etc. On peut considérer l’industrie matérielle courante comme une partie du mouvement général, de même que l’on peut considérer ce mouvement lui-même comme un aspect particulier de l’industrie, puisque toute activité humaine a été jusqu’ici travail, donc industrie, activité aliénée à elle-même. Nous avons devant nous, sous la forme d’objets concrets, étrangers, utiles, sous la forme de l’aliénation, les forces essentielles de l’homme objectivées. Une psychologie pour laquelle ce livre, c’est-à-dire précisément la partie la plus matériellement présente, la plus accessible de l’histoire, reste fermé ne peut devenir une science réelle vraiment riche de contenu. Que doit-on penser somme toute d’une science qui, en se donnant de grands airs, fait abstraction de cette grande partie du travail humain et qui n’a pas le sentiment de ses lacunes tant que toute cette richesse déployée de l’activité humaine ne lui dit rien, sinon peut-être ce que l’on peut dire d’un seul mot : ‘’besoin’’, ‘’besoin vulgaire’’ »
Belle définition pour partir d’une base autre que celle de la psychologie contemporaine.

Dans ce passage, Karl-Heinrich âgé de 26 ans se révèle être précurseur de la psychologie de demain, celle qui n’existe pas encore en ce début de XXIème siècle, tant elle s’est fourvoyée jusqu’à maintenant dans ce que Georges Canguilhem décrivait de sa fonction de police de l’esprit dans son fameux article « Qu’est-ce que la psychologie ? » en 1958. Citons Canguilhem « Quand on sort de la Sorbonne par la rue Saint-Jacques, on peut monter ou descendre ; si l’on va en montant, on se rapproche du Panthéon qui est le Conservatoire de quelques grands hommes, mais si on va en descendant on se dirige sûrement vers la Préfecture de Police ». A cette époque, le Département de Psychologie se situait à cet endroit de la rue Saint-Jacques et donne donc le choix en en sortant d’aller en montant vers un transfert dirigé vers la fonction du Père Mort et du Père Idéal, le Panthéon, ou en descendant vers la fonction de police de la pensée, la Préfecture de Police. Il poursuit d’ailleurs en évoquant les tests psychologiques infligés aux humains, les « testés » : « La défense des testés c’est la répugnance à se voir traité comme un insecte, par un homme à qui il ne reconnait aucune autorité pour lui dire qui il est et ce qu’il doit faire »

Marx est donc précurseur de ce qui n’est pas encore advenu. Précurseur ? C’est au moment où débutent les effets du transfert social de ce qui sera nommé Révolution Industrielle que Marx indique donc clairement : « l’histoire de l’industrie et l’existence objective de l’industrie sont le livre ouvert des forces essentielles de l’homme, la psychologie de l’homme concrètement présente que, jusqu’à présent, on ne concevait pas dans son lien avec l’essence de l’homme ». Il oppose son analyse à la réduction classique : « on réduisait la réalité des forces essentielles de l’homme et son activité générique à l’existence universelle de l’homme, la religion ou l’histoire dans son essence abstraite universelle : la politique, l’art, la littérature, etc ». Cela est à nouveau d’une importance extrême quant à la situation de la psychologie, la psychanalyse aussi bien, aujourd’hui. L’essence abstraite et universelle sont la soupe quotidienne des sujets psychologiques ou des sujets de l’inconscient. Cette abstraction a des effets négatifs pour ceux qui subissent cette mise en cage catégorielle d’autant qu’elle est toujours conjuguée à la transcendance.

La puissance de la pensée Marx quant à son incidente sur la psychologie est impressionnante. Il souligne l’impasse que représenterait une psychologie qui serait basée sur l’homme défini comme concept abstrait universel. Il renforce ce point en le nouant à la transcendance : sa critique de la religion est essentielle et est soulignée ici dans son rapport à une histoire prise dans son essence abstraite universelle et ses effets quant à la façon de prendre la politique, l’art, la littérature.

Que penser donc de cette science qui se donne des grands airs ? « En faisant de l’esprit un petit univers à part, séparable et observable comme avec des appareils, on fait de l’esprit une chose, c’est-à-dire qu’on l’enterre comme esprit » répondra Canguilhem à propos de « la science psychologique ». La sentence de Marx qui évoquant ceux qui font abstraction du livre ouvert des forces essentielles de l’homme et, infatués, nient donc leur lacune en nommant ce livre du concret du mot « besoin, besoin vulgaire », ce qui est pour eux signe dévalorisant. Cela anticipe un certain mépris pour ceux qui ne sont pas nés munis de la théorie du signifiant et du désir et ne peuvent passer par ce défilé obligé pour toute psychanalyse digne de cette mondanité.



Pour aller plus loin : https://www.marximum.net


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