mardi 30 janvier 2018

 

Une lettre d’hommage de l’historienne Annie-Lacroix Riz suite au décès, le 14 janvier dernier, du philosophe marxiste Jean Salem
 
paru sur le blog de la Librairie Tropiques (Paris 14 ème) qui organise demain 30 janvier à 19 h 30, en ses locaux, une soirée intitulée « Salut Jean », avec, e.a., Aymeric Monville (des Editions Delga) qui a beaucoup fait pour diffuser son oeuvre, de Dominique Pagani, et l’amicale participation de Alain Badiou au débat… Cet hommage de Annie Lacroix-Riz me touche à des tas de niveaux parce qu’Annie, comme Jean, est ce qu’elle est, quelqu’un qui aura tenu avec courage et compétence le front académique. Qu’il y ait eu dans ces temps de déshonneur des intellectuels de cette qualité pour accepter ce combat dit l’honneur des clercs, leur filiation avec les Politzer, mais sans même le soutien d’un parti communiste. Je découvre en lisant ce texte qu’Annie est comme moi issue d’une famille de juifs polonais, comme Jean Salem était le fils d’Alleg. Jamais il n’y eut le reniement de l’Union soviétique, de la victoire contre le nazisme. Merci jean, merci Annie. (note de Danielle Bleitrach)
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Chers amis,
Je voudrais vous dire à quel point je considère la philosophie et la pensée marxistes en France comme durement frappées par le décès prématuré de Jean Salem, ce philosophe qui, avec panache, a continué, par très gros temps, à revendiquer ses options initiales de changement du monde.
Je connaissais Jean depuis plusieurs années, et ai apprécié son séminaire, qui a vaillamment œuvré à maintenir dans une tribune académique, et quelle tribune que celle de la vieille Sorbonne, la pensée marxiste. C’était œuvrer à contre-courant de l’idéologie dominante, non seulement hégémonique, mais en passe de devenir exclusive, puisque se dessine désormais, après le dénigrement, l’interdiction d’accès à tout moyen de communication et de formation (enseignement inclus) de toute pensée critique, désormais systématiquement taxée de complotisme. Les historiens critiques ne sont pas mieux lotis que les philosophes dans le droit à l’expression; ils en sont même encore plus strictement exclus, aucune participation au moindre « débat » ne leur étant jamais accordée, à l’université ou en dehors. C’est dire à quel point je sais gré à Jean, si sensible au fait que la philosophie et l’histoire s’enrichissent mutuellement, de m’avoir à plusieurs reprises invitée à son séminaire et d’y avoir convié bien d’autres intellectuels que le public ne voit ou n’entend jamais.
Je suis désolée de ne pas être présente physiquement à cet hommage, qui certes ne pouvait être différé, mais j’ai eu à choisir entre cet hommage, auquel participeront nombre de mes amis et camarades, et la présence à une manifestation de soutien aux communistes polonais menacés d’interdiction et de prison. Protester contre l’ignominie des héritiers de Pilsudski et de Beck me paraît particulièrement légitime pour une petite-fille de juifs chassés de Pologne vers 1920 par les pogroms et autres exactions orchestrés par les réactionnaires antibolcheviques et antisémites polonais, et à laquelle ses recherches ont confirmé les horreurs qu’on lui avait racontées à ce sujet pendant toute son enfance. Ni Jean, ni son père Henri Alleg, symbole de la résistance à l’oppression qui a tant combattu la domination coloniale et la traque des militants antinazis persécutés après 1989 dans toute l’Europe orientale devenue germano-américaine, ne songeraient, je pense, à me le reprocher.
L’un et l’autre sont demeurés fidèles, par leur pensée et leur action, d’une part, aux militants révolutionnaires de 1914 désespérés par l’abdication du mouvement ouvrier de l’époque, et qui ne pouvaient alors imaginer 1917, forgé par les bolcheviques, et, d’autre part, au socialisme réel, car ils savaient que la perte d’une bataille, si décisive soit-elle momentanément, ne signifie pas la défaite. Merci Jean, pour tout ce que tu as apporté à la philosophie progressiste, aux Lumières aujourd’hui si menacées par la coalition des impérialismes dominants, américain et allemand, et des impérialismes dominés, dont le français, singulièrement capitulard, comme tu l’as souvent écrit. Nul ne peut douter que la crise, si profonde et durable du capitalisme, et la reconstruction inéluctable du mouvement révolutionnaire qui lui est liée, ne te donnent les brillants successeurs dont notre pays et notre peuple ont besoin.
Annie-Lacroix Riz, historienne

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