jeudi 29 août 2019

Trente ans après le rapport Bourdieu, l’immobilisme

Introuvable démocratisation de la philosophie

La philosophie pourrait être une discipline-clé pour armer l’esprit critique des élèves. Mais son enseignement souffre d’un conservatisme persistant, largement dû au prestige paralysant qui l’entoure.
La philosophie se présente volontiers comme l’emblème par excellence de la démocratie. Elle se veut sans frontières, universellement émancipatrice, championne tout-terrain de l’esprit critique. Jamais abrogées, les « Instructions » du ministre de l’instruction publique et des beaux-arts Anatole de Monzie datant de 1925 proclament que « c’est dans la classe de Philosophie que les élèves font l’apprentissage de la liberté par l’exercice de la réflexion, et l’on pourrait même dire que c’est là l’objet propre et essentiel de cet enseignement ». Quand il s’agit de l’enseigner, pourtant, force est de reconnaître qu’on est loin du compte.
L’initiation à la philosophie concerne plus d’élèves que jamais : la moitié d’une classe d’âge en France — la moitié seulement, car les élèves de lycées professionnels, qui représentent 28 % des bacheliers, en sont exclus. de même que ceux qui sont sortis de l’institution scolaire avant l’année où on l’enseigne. La moitié d’une classe d’âge, malgré tout, ce n’est pas rien, et des cohortes de lycéens ont ainsi l’occasion de découvrir pendant leur année de terminale des manières de voir souvent inédites pour eux, qui suscitent l’appréhension ou la curiosité, et qui seront, pour la plupart, leur première et dernière rencontre avec la philosophie.
Qu’en retirent-ils ? Rédigé il y a plus de dix ans, le dernier rapport de l’inspection générale de philosophie frappe par sa lucidité, dans un registre où les figures imposées consistent plutôt à se satisfaire de l’existant. Ainsi, tout en soulignant la qualité des enseignants, leur engagement et leurs efforts pour s’adapter à des conditions parfois très difficiles, il constate qu’« une masse assez importante d’élèves, surtout dans certaines séries, manifeste une indifférence totale et sans nuances à l’aspect libérateur de la philosophie, et considère, à tous égards, qu’elle perd son temps en classe de philosophie ». Les filières technologiques sont les premières citées. On continue d’y demander d’écrire des dissertations — épreuve reine depuis plus d’un (...)
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Serge Cospérec & Frédéric Le Plaine
Respectivement professeur de philosophie à l’école supérieure du professorat et de l’éducation de Créteil, auteur de La Guerre des programmes (1975-2020). L’enseignement de la philosophie, une réforme impossible ?, à paraître cet automne aux éditions Lambert-Lucas ; et professeur de philosophie, président de l’Association pour la création d’instituts de recherche sur l’enseignement de la philosophie (Acireph).
(1Les « Instructions » de 1925 sont reproduites dans l’ouvrage majeur de Bruno Poucet Enseigner la philosophie. Histoire d’une discipline scolaire, 1860-1990, CNRS Éditions, Paris, 1999.
(2Cf. Pierre Bourdieu et Patrick Champagne, « Les exclus de l’intérieur », Actes de la recherche en sciences sociales, no 91-92, Paris, mars 1992.
(3Jean-Louis Poirier, « État de l’enseignement de la philosophie en 2007-2008 » (PDF), inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), ministère de l’éducation nationale, Paris, septembre 2008.
(5Supplément au numéro de septembre-octobre 1989 de la revue L’Enseignement philosophique, organe de l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (Appep).
(6Louis Pinto, « L’école des philosophes. La dissertation de philosophie au baccalauréat », Actes de la recherche en sciences sociales, no 47-48, juin 1983.
(7Cf. Sébastien Charbonnier, Que peut la philosophie ? Être le plus nombreux possible à penser le plus possible, Seuil, Paris, 2013.
(9Cf. Jean-Pierre Terrail, Pour une école de l’exigence intellectuelle, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », Paris, 2016 ; Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS), L’École commune. Propositions pour une refondation du système éducatif, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2012.
(1Les « Instructions » de 1925 sont reproduites dans l’ouvrage majeur de Bruno Poucet Enseigner la philosophie. Histoire d’une discipline scolaire, 1860-1990, CNRS Éditions, Paris, 1999.
(2Cf. Pierre Bourdieu et Patrick Champagne, « Les exclus de l’intérieur », Actes de la recherche en sciences sociales, no 91-92, Paris, mars 1992.
(3Jean-Louis Poirier, « État de l’enseignement de la philosophie en 2007-2008 » (PDF), inspection générale de l’éducation nationale (IGEN), ministère de l’éducation nationale, Paris, septembre 2008.
(5Supplément au numéro de septembre-octobre 1989 de la revue L’Enseignement philosophique, organe de l’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (Appep).
(6Louis Pinto, « L’école des philosophes. La dissertation de philosophie au baccalauréat », Actes de la recherche en sciences sociales, no 47-48, juin 1983.
(7Cf. Sébastien Charbonnier, Que peut la philosophie ? Être le plus nombreux possible à penser le plus possible, Seuil, Paris, 2013.
(9Cf. Jean-Pierre Terrail, Pour une école de l’exigence intellectuelle, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », Paris, 2016 ; Groupe de recherche sur la démocratisation scolaire (GRDS), L’École commune. Propositions pour une refondation du système éducatif, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2012.

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