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ÉCHO DE PRESSE
Dalton Trumbo et les « dix d’Hollywood », interdits d’écran
parce que communistes
le 27/04/2020 par Michele Pedinielli - modifié le
27/04/2020
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Le scénariste Dalton Trumbo lors des accusations de la House committee
on Un-American activities, 1947 - source : WikiCommons
En 1947, dix producteurs, scénaristes et réalisateurs de gauche sont
accusés d’« activités anti-américaines ». Malgré l’absurdité manifeste du
procès, ils sont condamnés à des peines de prison et inscrits sur une
« Liste noire » les empêchant d’exercer. Parmi eux Dalton Trumbo,
scénariste star d’Hollywood.
Trois ans avant le début de la « chasse aux rouges » lancée par le
sénateur Joseph McCarthy, la House committee on Un-American activities (Commission
parlementaire des activités anti-américaines) décide d’exercer une surveillance
sur l’industrie cinématographique afin d’identifier des individus jugés «
déviants » politiquement.
Cette commission a été créée en 1938 pour enquêter sur les activités
d’Américains soupçonnés d’intelligence avec l’Allemagne nazie, notamment au
sein du Ku Klux Klan. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et dans un
contexte de début de Guerre froide, l’ennemi
intérieur est devenu le sympathisant communiste ; le président de la HCUA,
Parnell Thomas, oriente donc ses enquêtes vers ce qui lui semble être un
« nid de rouges » : Hollywood.
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La pression est exercée sur l’ensemble des métiers du cinéma. Acteurs,
réalisateurs, techniciens sont ainsi sommés de dénoncer leurs collègues membres
d’un syndicat ou mieux, du Parti communiste américain. Certains – parmi
lesquels Gary Cooper, Walt Disney ou Robert Taylor – collaborent activement,
comme le signalera le quotidien communiste Ce Soir.
« Jamais je n'oublierai le
visage de Taylor, séducteur bien peigné, cette face molle de Don Juan standard,
grimaçant ses dénonciations devant un parterre de photographes et de cameramen
d’actualités.
C’est un des spectacles les plus
répugnants qu’il me fut donné de voir. Taylor auxiliaire du F.B.I., avait droit
au remerciement de ses patrons. »
D’autres grands noms d’Hollywood, en revanche, se mobilisent contre.
« Pourtant, un mouvement de
protestation se dessinait, comprenant entre autres Eddie Cantor, Ava Gardner,
William Whyler, Cornel Wilde, Paul Henreid et John Garfield.
Les protestataires signèrent un
manifeste qui disait textuellement :
“Les soussignés sont outragés et
dégoûtés par l’attaque systématique portée à l'industrie cinématographique par
le Comité des Activités Antiaméricaines”.
D’autres protestataires vinrent
bientôt se joindre au premier groupe : Humphrey Bogart, Lauren Bacall, Danny
Keyes, Rita Hayworth, Katharine Hepburn, Spencer Tracy, Paulete Goddard, Myrna
Loy et Frederic March. »
En France, la presse s’inquiète de ce qui ressemble bel et bien à une
chasse aux sorcières. Dans Carrefour, le critique de cinéma
François Chalais, éberlué, constate que « le
président des activités antiaméricaines, Parnell Thomas, annonce des
révélations prouvant que Hollywood est le bastion avancé de Brest-Litowsk. Les
choses en sont là. Non, ce n’est pas drôle. »
De gauche à droite, les neuf autres accusés : Robert Adrian Scott,
Edward Dmytryk, Samuel Ornitz, Lester Cole, Herbert Biberman, Albert Maltz,
Alvah Bessie, John Howard Lawson et Ring Lardner Jr., 1947 - source : Library
of UCLA-WikiCommons
Le journal communiste Démocratie nouvelle parle, non sans mépris,
d’ « Américaneries ».
« La Commission des activités
antiaméricaines, que dirige avec compétence le citoyen Thomas Parnell (dont
nous avons reproduit dans notre numéro spécial les traits rayonnants
d’intelligence), a sévi, il y a quelque temps, à Hollywood, dans les milieux du
film, où le “danger rouge” s’était, paraît-il, infiltré sous les formes les
plus insidieuses.
Qu’on en juge :
Des inculpés ont produit des films
intitulés : Le Chant de la Russie et Mission à
Moscou. Ces seuls titres suffisent pour justifier l’accusation d’atteinte
aux fondements du régime politique américain.
La mère de l’actrice Ginger Rogers a
dévoilé que le compositeur Hans Eisler avait créé exprès pour Hollywood “une
musique monotone et triste dans le genre russe”. Haute trahison ! Hans Eisler a
été immédiatement stigmatisé comme étant le “Karl Marx de la musique” et
traduit en justice aux fins d’expulsion des Etats-Unis… »
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La commission se concentre sur dix hommes influents – réalisateurs,
producteurs ou scénaristes – qu’elle convoque afin d’être auditionnés.
Parmi eux, Dalton Trumbo, l’un des scénaristes les plus prolifiques et les plus
en vue d’Hollywood.
Auteur du célèbre roman Johnny s’en va-t-en guerre, il est
membre de la Screen Writers Guild (syndicat de scénaristes
très ancré à gauche) et du parti communiste.
Les échanges sont tendus. La commission se borne à poser des questions
sommaires : « Êtes-vous ou avez-vous été membre du parti
communiste ? » Et n’exige manifestement qu’une seule forme de
réponse : oui ou non. Trumbo, comme les neuf autres « accusés », refuse de répondre aux questions au
nom du Premier Amendement de la Constitution américaine.
« M. STRIPLING. – Je vais vous
poser, M. Trumbo, diverses questions. À toutes, il est possible de répondre par
“oui” ou par “non”. Si vous désirez vous expliquer par la suite, lorsque vous
aurez répondu, je suis sûr que la commission y consentira…
M. TRUMBO. – Je comprends très bien,
M. Stripling. Votre tâche, c’est de me poser des questions et la mienne, c’est
d’y répondre. Je répondrai “oui” ou “non” si cela me plaît. Je répondrai dans
mes propres termes. Les questions auxquelles on peut répondre par “oui” ou par
“non” sont très nombreuses, certes. Mais pour répondre ainsi, il faudrait être
vraiment un esclave… »
Donald Trumbo demande en conséquence à lire une déclaration qu’il
a préparée. On le lui refuse.
« Quand l’écrivain Dalton Trumbo
fut cité devant la Commission, on l’empêcha de lire une déclaration où il
disait notamment :
“Les membres de cette Commission et
les autres réactionnaires ont créé dans ce pays une atmosphère de peur et de
représailles. Vous avez fait de Washington une ville où aucun leader
syndicaliste ne peut plus faire confiance à son téléphone, où de vieux amis
n’osent plus se reconnaître en public, où les hommes et les femmes attendent de
se trouver dans une voiture en mouvement ou en plein air pour parler sans
crainte d’être écoutés”. »
Les audiences sont surréalistes et
l’humour d’Helen Clare-Nelson, la femme d’Alvah Bessie (accusé comme Trumbo),
ne fait qu’en souligner l’absurdité manifeste.
« Assise sur le bord de ma chaise, je
guettais le moment où l’un deux se laisserait aller et dirait enfin
“communisme” au lieu de “commonisme”.
Je frissonnais d'horreur en apprenant
que les idées des films, dont nous avions stupidement cru qu'ils étaient une
contribution à notre effort de guerre (et à l’art) étaient nées au quartier
général du parti communiste des États-Unis, dans la douzième rue, à New-York.
Je fus véritablement éblouie par un
individu, que je pris d’abord pour Mortimer Snerd (après tout, tout le monde
témoignait), mais dont j’appris ensuite qu’il appartenait au bureau fédéral
d'investigation. Cet homme remarquable, avait découvert un code grâce auquel il
avait pu déterminer que Dalt T. signifiait Dalton Trumbo, que Ring L. cachait
Ring Lardner et que Alvah Bessie n’était autre qu'Alvah Bessie. »
Malgré l‘iniquité des enquêtes, Dalton Trumbo, Alvah Bessie, Herbert
Biberman, Lester Cole, Edward Dmytryk, Ring Lardner Jr., John Howard Lawson,
Albert Maltz, Samuel Ornitz et Adrian Scott sont condamnés à des peines de
prison ferme (allant de six mois à un an) avec amende. Encore aujourd’hui,
aucun historien n’a réussi à démontrer le moindre message pro-communiste (manifeste
ou dissimulé) dans les films auxquels ces personnalités ont participé
– souvent par ailleurs financés par des studios conservateurs.
La condamnation suscite un tollé chez les artistes. 550 personnalités,
parmi lesquelles Charlie Chaplin, Burt Lancaster ou le romancier Dashiell
Hammett envoient un avertissement au
Congrès.
« Nous n'admettons pas que des
hommes soient persécutés pour leurs opinions ou leurs croyances.
De toute façon, nous ne pensons pas
que des idées semblables à celles qui animent les accusés puissent être bannies
des esprits par la violence. »
Le grand romancier Howard Fast trempe sa plume dans le vitriol contre
« ce misérable comité de fascistes qui, hier encore, était dirigé par
le voleur J. Parnell Thomas ».
« Ils ont été condamnés parce
qu’ils faisaient des films démocratiques et vrais – exactement comme George
Marshall, un autre des Treize, a été condamné à une peine de prison peur avoir
combattu pour les droits du Peuple Noir.
Je dis que je suis fier d'être en
compagnie de ces hommes et de ces femmes, et que je ne fus jamais en meilleure
compagnie. Vous me connaissez en tant qu'écrivain et vous savez que je
n'ai jamais hésité à écrire ce que je pensais. Huit millions de mes livres ont
fait leur chemin dans le cœur et dans les foyers du peuple américain et vous
savez pour qui je passe et en quoi je crois, eh bien, je vous demande de me
croire encore quand je dis qu'avec ces hommes et ces femmes, c’est le meilleur
de l'Amérique qui va en prison.
Eux en prison, êtes-vous libres ?
Vous devez vous poser la question. »
La condamnation à des peines de prison s’assortira d’une condamnation
sociale : inscrits sur la Liste noire (qui compte une trentaine de noms,
dont ceux de Charlie Chaplin, Jules Dassin ou Sterling Hayden), les « Dix
d’Hollywood » se verront mis à l’écart du cinéma américain. Seul Edward
Dmytryk, qui se rétractera en révélant des noms de membres du Parti
communiste américain, sera autorisé à revenir à Hollywood.
Les autres seront obligés d’utiliser des noms d’emprunts pour continuer
à exercer. Pour Dalton Trumbo ce sera Millard Kaufman, Guy Endore ou encore
Robert Rich, nom sous lequel il obtiendra en 1956 l’Oscar du meilleur scénario
pour Les Clameurs se sont tues.
Il sortira progressivement de la funeste Liste noire à la fin du
McCarthysme et des années 1950. En 1960, le réalisateur Otto Preminger annonce
que Trumbo sera le scénariste d’Exodus ; Stanley Kubrick fera
de même pour son Spartacus, adapté du roman d’Howard Fast.
En 1971, Dalton Trumbo réalisera son unique film en adaptant son
propre roman Johnny s’en va-t-en guerre. Le film obtiendra le
Grand prix du jury au festival de Cannes.
–
Pour en savoir plus :
Victor Navasky, Les Délateurs, le cinéma américain et la chasse
aux sorcières, Ramsay Poche Cinéma, 1982
Bernard F. Dick, Radical Innocence: A Critical Study of the
Hollywood Ten, University Press of Kentucky, 1989
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Cet article fait partie de l’époque : Débuts de la IIIe Rép.
(1871-1898)
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