Vu de Russie : Benoît Hamon n’est pas de gauche
06 Mars 2017
« Le parti socialiste demeure une réserve de bureaucrates, où les élites carriéristes se succèdent les unes aux autres aux postes dirigeants. »
publié le lundi 6 mars 2017
À l’occasion de la victoire de Benoît Hamon à la primaire socialiste française, les commentateurs ont parlé d’une « victoire de la gauche ». Certains journalistes, particulièrement optimistes, ont été jusqu’à écrire que le PS renaissait de ses cendres et pouvait même espérer remporter la présidentielle au printemps.
Malheureusement, ces observations et prédictions sont bien ambitieuses. Benoît Hamon ne peut être considéré « de gauche » que comparé au reste des fonctionnaires fades dont il est issu. Le parti socialiste demeure une réserve de bureaucrates, où les élites carriéristes se succèdent les unes aux autres aux postes dirigeants.
Le meilleur moyen d’y gravir les échelons est non seulement de n’avoir ni opinions, ni principes ou convictions, mais encore de ne posséder aucune expérience en matière de prise de décision indépendante, de lutte politique réelle ou d’un quelconque travail impliquant une responsabilité personnelle.
La différence entre les représentants de la gauche et de la droite ne réside que dans le vocabulaire employé par les uns et des autres, ainsi que dans leur capacité à plaire à un cercle étroit d’intellectuels parisiens qui s’estiment en droit de juger de la valeur des fonctionnaires et des politiciens. Bien entendu, les considérations de ce groupe non seulement ne correspondent pas à l’opinion de la majorité des Français, mais n’ont en outre plus, depuis longtemps, aucun intérêt pour la société.
Si Hamon a remporté la primaire, c’est simplement parce que la majorité des électeurs qui s’identifient encore aux idées socialistes voient en lui un candidat moins agaçant que Manuel Valls. Car le style ambitieux et autoritaire de l’ancien Premier ministre, ajouté à ses échecs manifestes, en ont irrité plus d’un. Toutefois, l’issue de cette élection intermédiaire n’a rien d’un choix idéologique. Parmi tous les prétendants creux qu’ils ont vus défiler à la télévision, les électeurs ont simplement voté pour celui qui les irritait le moins. Rien de plus.
La direction du PS ne propose aucun programme pour sortir la France et l’UE d’une crise actuelle, dont, d’ailleurs, elle ne semble même pas mesurer la gravité.
Pire, elle ne manifeste pas la moindre intention de reconnaître sa part de responsabilité dans la situation socio-économique et politique qui s’est installée en France.
Bien sûr, on ne fait pas campagne sans une idée quelconque. Mais le vote n’est déterminé ni par des objectifs de développement ni par des besoins sociétaux, ni même par les sensibilités du peuple. Et tout le monde se fiche, aujourd’hui, de concepts aussi désuets que les intérêts de la classe ouvrière, les principes d’un État social ou les idéaux républicains. Ce qu’il faut, c’est une idée correspondant à la dernière mode en vogue au sein de l’establishment intellectuel socio-libéral et considérée, au sein de ce cercle, comme radicale. Et Benoît Hamon l’a, cette idée : il s’agit de son « revenu universel d’existence ».
Le principe en est simple : tous les citoyens, qu’ils travaillent ou non, doivent avoir le droit de recevoir une aide mensuelle de la part du gouvernement. Le montant de cette allocation est relativement faible, comparé au coût de la vie en Europe, mais suffisant pour ne pas mourir de faim. La Suisse a déjà rejeté une initiative similaire lors d’un référendum, tandis que la Finlande l’expérimente en ce moment, malgré le scepticisme d’une grande partie de ses citoyens. En France, les détracteurs du projet soulignent que le candidat du PS n’a toujours pas expliqué où il comptait trouver l’argent pour le financer. Mais là n’est pas le plus grave.
Concrètement, les États occidentaux versent déjà à leurs citoyens une multitude d’aides financières, dont la charge budgétaire n’est pas tellement moindre que ce fameux « revenu de base ».
Une telle mesure, au contraire, simplifierait et optimiserait considérablement les procédures bureaucratiques, et éviterait aux gens de devoir rassembler des montagnes de documents justificatifs. Là-dessus, tout va bien.
Le problème est différent. Malgré son apparence « sociale », ce revenu universel d’existence va en réalité à l’encontre des principes fondamentaux de l’État social. Autrefois, le gouvernement se chargeait de garantir l’emploi, en liant le revenu au travail. Les allocations chômage n’étaient envisagées que comme un dernier recours, pour les moments où l’État ne pouvait s’acquitter de ses obligations envers ses citoyens. Ce système rendait le gouvernement responsable et matériellement intéressé à créer de l’emploi.
Aujourd’hui, l’État se décharge de cette responsabilité envers le peuple – et même, il essaie de l’acheter.
Bien sûr, il y a différentes variantes du projet de revenu universel – avec différentes approches par-rapport à l’emploi. La première approche propose de n’allouer un tel revenu qu’aux demandeurs d’emploi, ce qui transformerait cette aide, au fond, en une nouvelle allocation chômage, à la différence près que les bénéficiaires ne seraient plus obligés de chercher du travail. L’autre approche propose de verser ce revenu à tout le monde. Mais alors, le gouvernement se mettrait ainsi, en pratique, à subventionner les employeurs, en leur permettant de réduire les salaires en proportion de l’aide (si l’on ajoute à cela la nouvelle loi travail adoptée par les socialistes, qui élargit considérablement les droits des patrons et réduit à néant ceux des travailleurs, ce projet a l’air d’une vaste plaisanterie !).
Ce dont il est question, en fait, c’est d’un renoncement au principe même de la gratuité des services publics pour la population. Alors que par le passé, les États s’engageaient, du moins théoriquement, à lutter contre la pauvreté au niveau structurel, leur politique sociale consiste aujourd’hui en un système simplifié d’aumônes, lancées à des gens privés de toute perspective et garantie économiques. Au lieu d’élargir au plus grand nombre l’accès aux institutions et aux réseaux publics – culture, santé, éducation, transports, etc. –, on propose de faire « un libre choix individuel » à des citoyens considérés comme des consommateurs, en concurrence les uns avec les autres. Des consommateurs au porte-monnaie bien maigre, entre nous, et, qui plus est, pas intéressés au résultat de leur travail.
Et au final, ce remplacement de la politique sociale par des allocations risque de stimuler l’inflation.
Rien d’étonnant, donc, à ce que ce projet de revenu universel non seulement ne suscite pas l’enthousiasme du public, mais soit même rejeté, notamment par ceux qui n’ont pas encore tout à fait renoncé aux valeurs et traditions de la social-démocratie.
L’arrivée de Hamon à la tête du PS est loin d’être un virement à gauche – c’est au contraire une étape tout à fait logique sur la voie de la transformation de cette organisation de parti de gauche en parti libéral.
Malheureusement, ces observations et prédictions sont bien ambitieuses. Benoît Hamon ne peut être considéré « de gauche » que comparé au reste des fonctionnaires fades dont il est issu. Le parti socialiste demeure une réserve de bureaucrates, où les élites carriéristes se succèdent les unes aux autres aux postes dirigeants.
Le meilleur moyen d’y gravir les échelons est non seulement de n’avoir ni opinions, ni principes ou convictions, mais encore de ne posséder aucune expérience en matière de prise de décision indépendante, de lutte politique réelle ou d’un quelconque travail impliquant une responsabilité personnelle.
La différence entre les représentants de la gauche et de la droite ne réside que dans le vocabulaire employé par les uns et des autres, ainsi que dans leur capacité à plaire à un cercle étroit d’intellectuels parisiens qui s’estiment en droit de juger de la valeur des fonctionnaires et des politiciens. Bien entendu, les considérations de ce groupe non seulement ne correspondent pas à l’opinion de la majorité des Français, mais n’ont en outre plus, depuis longtemps, aucun intérêt pour la société.
Si Hamon a remporté la primaire, c’est simplement parce que la majorité des électeurs qui s’identifient encore aux idées socialistes voient en lui un candidat moins agaçant que Manuel Valls. Car le style ambitieux et autoritaire de l’ancien Premier ministre, ajouté à ses échecs manifestes, en ont irrité plus d’un. Toutefois, l’issue de cette élection intermédiaire n’a rien d’un choix idéologique. Parmi tous les prétendants creux qu’ils ont vus défiler à la télévision, les électeurs ont simplement voté pour celui qui les irritait le moins. Rien de plus.
La direction du PS ne propose aucun programme pour sortir la France et l’UE d’une crise actuelle, dont, d’ailleurs, elle ne semble même pas mesurer la gravité.
Pire, elle ne manifeste pas la moindre intention de reconnaître sa part de responsabilité dans la situation socio-économique et politique qui s’est installée en France.
Bien sûr, on ne fait pas campagne sans une idée quelconque. Mais le vote n’est déterminé ni par des objectifs de développement ni par des besoins sociétaux, ni même par les sensibilités du peuple. Et tout le monde se fiche, aujourd’hui, de concepts aussi désuets que les intérêts de la classe ouvrière, les principes d’un État social ou les idéaux républicains. Ce qu’il faut, c’est une idée correspondant à la dernière mode en vogue au sein de l’establishment intellectuel socio-libéral et considérée, au sein de ce cercle, comme radicale. Et Benoît Hamon l’a, cette idée : il s’agit de son « revenu universel d’existence ».
Le principe en est simple : tous les citoyens, qu’ils travaillent ou non, doivent avoir le droit de recevoir une aide mensuelle de la part du gouvernement. Le montant de cette allocation est relativement faible, comparé au coût de la vie en Europe, mais suffisant pour ne pas mourir de faim. La Suisse a déjà rejeté une initiative similaire lors d’un référendum, tandis que la Finlande l’expérimente en ce moment, malgré le scepticisme d’une grande partie de ses citoyens. En France, les détracteurs du projet soulignent que le candidat du PS n’a toujours pas expliqué où il comptait trouver l’argent pour le financer. Mais là n’est pas le plus grave.
Concrètement, les États occidentaux versent déjà à leurs citoyens une multitude d’aides financières, dont la charge budgétaire n’est pas tellement moindre que ce fameux « revenu de base ».
Une telle mesure, au contraire, simplifierait et optimiserait considérablement les procédures bureaucratiques, et éviterait aux gens de devoir rassembler des montagnes de documents justificatifs. Là-dessus, tout va bien.
Le problème est différent. Malgré son apparence « sociale », ce revenu universel d’existence va en réalité à l’encontre des principes fondamentaux de l’État social. Autrefois, le gouvernement se chargeait de garantir l’emploi, en liant le revenu au travail. Les allocations chômage n’étaient envisagées que comme un dernier recours, pour les moments où l’État ne pouvait s’acquitter de ses obligations envers ses citoyens. Ce système rendait le gouvernement responsable et matériellement intéressé à créer de l’emploi.
Aujourd’hui, l’État se décharge de cette responsabilité envers le peuple – et même, il essaie de l’acheter.
Bien sûr, il y a différentes variantes du projet de revenu universel – avec différentes approches par-rapport à l’emploi. La première approche propose de n’allouer un tel revenu qu’aux demandeurs d’emploi, ce qui transformerait cette aide, au fond, en une nouvelle allocation chômage, à la différence près que les bénéficiaires ne seraient plus obligés de chercher du travail. L’autre approche propose de verser ce revenu à tout le monde. Mais alors, le gouvernement se mettrait ainsi, en pratique, à subventionner les employeurs, en leur permettant de réduire les salaires en proportion de l’aide (si l’on ajoute à cela la nouvelle loi travail adoptée par les socialistes, qui élargit considérablement les droits des patrons et réduit à néant ceux des travailleurs, ce projet a l’air d’une vaste plaisanterie !).
Ce dont il est question, en fait, c’est d’un renoncement au principe même de la gratuité des services publics pour la population. Alors que par le passé, les États s’engageaient, du moins théoriquement, à lutter contre la pauvreté au niveau structurel, leur politique sociale consiste aujourd’hui en un système simplifié d’aumônes, lancées à des gens privés de toute perspective et garantie économiques. Au lieu d’élargir au plus grand nombre l’accès aux institutions et aux réseaux publics – culture, santé, éducation, transports, etc. –, on propose de faire « un libre choix individuel » à des citoyens considérés comme des consommateurs, en concurrence les uns avec les autres. Des consommateurs au porte-monnaie bien maigre, entre nous, et, qui plus est, pas intéressés au résultat de leur travail.
Et au final, ce remplacement de la politique sociale par des allocations risque de stimuler l’inflation.
Rien d’étonnant, donc, à ce que ce projet de revenu universel non seulement ne suscite pas l’enthousiasme du public, mais soit même rejeté, notamment par ceux qui n’ont pas encore tout à fait renoncé aux valeurs et traditions de la social-démocratie.
L’arrivée de Hamon à la tête du PS est loin d’être un virement à gauche – c’est au contraire une étape tout à fait logique sur la voie de la transformation de cette organisation de parti de gauche en parti libéral.
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