mardi 21 mars 2017

L'Académie des sciences russe continue à se battre
 

V. Fortov, président de l'Académie des sciences de Russie
 
La réforme de 2013 de l'Académie des sciences de Russie continue à porter ses fruits. Maintenant, même élire son président devient de facto impossible. Ou comment l'Académie des sciences risque de perdre le peu d'indépendance qui lui reste.
 
Alors que sous l'Ancien Régime et la période soviétique, l'indépendance de l'Académie des sciences a pu être préservée, le Gouvernement actuel a employé tout l'arsenal méthodologique néolibéral pour y mettre un terme. Sous couvert d'effectivité et de managment (qui peut être contre l'efficacité?), une Agence fédérale a été mise en place, dirigée par un "manager" qui doit libérer l'Académie des soucis matériels. Autrement dit, qui tient les cordons de la bourse. Après beaucoup de débats, de nouveaux statuts ont été adoptés et la vie a repris son cours.
Voici nos publications sur le conflit entre le Gouvernement et l'Académie des sciences:

Corporate raid du Gouvernement sur le système de l'Académie des sciences de Russie
 

L'Académie des sciences en sursis


Les députés votent la réforme de l'Académie des sciences et non sa liquidation


Les dangers pour l'Académie des sciences se précisent et se confirment
L'on pensait l'affaire réglée, qu'un certain compromis avait été trouvé entre contrôle et indépendance, mais c'était sans compter les luttes politiques internes, qui manifestent, malheureusement, peu d'intérêt pour l'institution académique elle-même.
 
Ainsi, trois candidats se sont présentés aux élections du président de l'Académie qui devait avoir lieu hier: le président en fonction V. Fortov qui déplait au pouvoir, le président de l'Institut des problèmes d'information et des lasers V. Pantchenko, principal concurrent et "protégé" de M. Kovaltchuk, proche de V. Poutine (Kovaltchuk dont la candidature avait été refusée par l'Académie), enfin le président de l'Institut de biologie moléculaire A. Makarov. La mise en scène fut magistrale, même si le scénario n'a pas totalement fonctionné comme prévu, ces scientifiques sont décidément par trop incontrôlables.
 
La réunion de l'assemblée générale commençait normalement, Fortov a dit quelques mots et passé la parole à A Dvorkovitch, vice-premier ministre, dont la tonalité fut dès le départ choquante. Après avoir félicité les académiciens pour leur travail et leur apport à la science, il a, abruptement, déclaré qu'il considère sans fondement leurs gérémiades et pleurnicheries. 
 
Cette remarque souligne tout le respect de ce Gouvernement pour l'Académie et la science.
 
Ensuite, le secrétaire scientifique du Presidium, Paltsev a pris la parole, laconiquement, pour annoncer que les candidats s'étaient réunis la veille et avaient décidé de retirer leurs candidatures en raison de l'imprécision de la procédure d'élection dans les statuts de l'Académie. Il faut préciser que l'initiative a été prise par les opposants à Fortov, subitement, il y a une semaine. Ils ont demandé et obtenu que les élections soient reportées de 6 mois. Fortov s'est au début opposé à ce coup de force, mais finalement il ne pouvait laisser se dérouler des élections sans candidatures alternatives et s'est donc également retiré. 
 
Sans vraiment entrer dans les détails de ce qui l'a poussé à agir de la sorte, il a simplement déclaré que des gens au Gouvernement et à l'Administration présidentielle ont analysé la question et ont trouvé la solution légitime.
 
Cela ressemble donc à s'y méprendre à un coup de force de certains clans au pouvoir contre l'indépendance de l'Académie, afin d'y mettre "son" homme.
 
Les académiciens réagissent très mal. Pendant ces dernières années, personne n'a rien eu à redire aux statuts et à quelques jours des élections, ils le contestent. Certains critiquent la faiblesse de Fortov dans cette situation. La déclaration de l'académicien G. Messiats est intéressante:
"Tout s'est passé comme une opération spéciale. Je sais que vendredi matin une voiture a été envoyée à Fortov et ils sont partis. Il est revenu dans la journée et il s'est passé ce qui s'est passé. Nous sommes témoins de la manière dont l'on fait de nous, qui sommes patriotes, des ennemis de la nation. Nous ne sommes pas des dissidents quand même!"
Fortov avait voulu se retirer et laisser les rènes à un président par interim en attendant les élections dans 6 mois, mais les académiciens ont refusé et ont voté pour qu'il occupe la présidence lui-même par interim d'ici l'élection du nouveau président.
 
Dans le même ordre d'idée, le directeur de l'agence fédérale gérant l'Académie a demandé qu'un nouveau Presidium soit élu en attendant l'élection du nouveau président. Sa demande a été soutenu par certains académiciens, qui par des attaques frontales ont voulu profiter de l'occasion pour se positionner politiquement. Mais finalement, la demande a été rejetée.
 
L'opération de force n'a pas tout à fait fonctionné. Certes, les élections ont été bloquées, Fortov n'a pas pu être réélu et risque de ne pas présenter sa candidature par la suite, mais il n'a pas été remplacé et le Presidium n'a pas été démis de ses fonctions. Ce qui montre que malgré toutes les attaques politiques dont l'Académie est l'objet depuis 2013, elle a encore des forces de résistance, ce dont le pouvoir devrait tenir compte. Le secrétaire scientifique a donc envoyé au Gouvernement la résolution adoptée.
 
La réaction de D. Medvedev est significative de ce que le Gouvernement s'attendait à une victoire plus facile et complète. Il semble quelque peu perdu et prend constamment les autres membres du Gouvernement à témoin. L'argumentation vole assez bas, est plutôt émotionnelle (comment osent-ils s'opposer?) finalement, au niveau du managment en fait: ce n'est pas un club quand même, ils dépensent de l'argent public et utilisent des immeubles appartenant à l'Etat. Il faudrait qu'ils se mettent d'accord, il ne faut pas laisser passer un collapse.
Certes, le Gouvernement est très intéressé par la science et la recherche et est prêt à apporter toute son aide juridique. La question reste de savoir laquelle? Un projet de loi est à l'étude, selon lequel le président de l'Académie, à l'avenir, serait nommé par le Président de la Fédération suite à proposition de candidatures par l'Académie. 
Paltsev estime que ce n'est pas si grave que cela. Les présidents des universités d'Etat de Moscou et Saint Petersbourg sont bien nommés par le Président russe et leur statut a augmenté, ils sont plus indépendants par rapport aux autres universités. Lorsque la question de l'indépendance se pose, il faut toujours de s'interroger pour savoir par rapport à qui ou à quoi. En l'occurrence, ces recteurs sont certes plus indépendants des scientifiques et universitaires, mais  le danger, pour la science, ne vient pas des scientifiques, ni des universitaires. Or, ces institutions sont maintenant directement connectées aux directives de l'OCDE que transmet le bloc néolibéral du Gouvernement et l'on voit, par exemple, le système de soutenance des thèses totalement perturbé, la restriction des postes et les problèmes récurrents d'élections qui mettent les personnes-clés en position de dépendance. C'est en effet un bel exemple à suivre pour l'Académie des sciences. Même sous l'époque soviétique, l'on n'a jamais vu de tels problèmes pour que les scientifiques puissent choisir librement leur président. Mais, c'est vrai, l'on n'avait pas alors la chance de connaître les recommandations de l'OCDE, le néolibéralisme, les managers ... L'on s'occupait bêtement de la recherche et l'on s'en occupait plutôt bien si l'on en croit les acquis, toujours exploités à ce jour. L'invasion manageriale ne semble pas avoir créé grand chose, développé, commercialisé, rentabilisé, oui. Mais l'on ne parle pas de commerce ici.
La question de la nomination ou de l'élection du président de l'Académie des sciences n'est pas anodine, elle est révélatrice de la conception que se fait le pouvoir de la sciences dont "il a besoin" et du respect réel qu'il a pour les personnes qui y dédient leur vie. Soit, il a besoin d'instituts techniques et d'un "personnel" dévoué devant remplir les commandes, soit il estime que le pays est suffisamment important pour se permettre une véritable politique de recherche avec des chercheurs indépendants. La réponse était évidente sous l'Ancien régime, la période soviétique a réussi à parfaitement conjuguer les deux, et le développement de la recherche scientifique théorique et la recherche technologique en fonction des besoins de l'industrie. Mais la Russie post-soviétique a été fortement désindustrialisée et s'est jetée vers les nouvelles technologies. L'avenir incarné par Skolkovo et ses scandales, Syrius et la connaissance immédiate des enfants géniaux parce qu'enfants. Revenir à un juste milieu ne serait pas un luxe.
Il est dommage que la Russie ne puisse développer à l'intérieur une politique comparable, fonctionnellement, à celle qu'elle développe à l'international. Car avec ces démarches brusques et injustifiées, en permettant à des intérêts très particuliers d'interférer avec l'intérêt public, elle affaiblie non seulement ses structures, mais également le soutien dont l'Etat a besoin, en plus du soutien populaire acquis par le retour de la Russie sur la scène internationale. D'autant plus que l'affaiblissement intérieur consécutif à la mise en place de cette politique néolibérale et clanique, ne pourra qu'entraîner l'affaiblissement de la Russie sur la scène internationale, qui en plus de la lutte contre le terrorisme, le gaz ou le pétrole, doit pouvoir proportionnellement développer les domaines scientifiques ou culturels, sans tomber dans les pièges affriolants de la globalisation.
 
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