« L'unità » – Journal d'un marxiste du nouveau siècle
L'esprit qui bouillonne, le coeur qui palpite, la plume qui résiste
Présidentielle, Europe et Dépossession
Texte proposé par Guillaume Sayon
Alors que le vieux continent s’apprête à fêter d’ici quelques jours les 50 ans du traité de Rome, qui fonda l’Europe économique, prolongement de l’Europe des cartels, celle de la CECA voulue par les grandes dynasties minières et sidérurgiques de l’après-guerre – ces dernières ayant engrangé un bon et beau pécule grâce à l’industrie et aux logiques de guerre boostées par la blitzkrieg et l’occupation -, quel lien peut-on tirer entre l’Europe et ce qu’elle incarne aujourd’hui avec le cheminement inédit que prend cette élection présidentielle française ?
Ne faisons pas durer le suspens inutilement d’autant plus que, ce que certains appellent avec un mépris de classe non dissimulé « le bon sens populaire » en prend la parfaite mesure. Il s’agit de l’idée de dépossession. La dépossession politique, concept qui a poussé le démographe Emmanuel Todd, qui ne manque jamais de clairvoyance et d’humour, à évoquer l’idée de maturité du vide en abordant la présidentielle et ses candidats. Un vide causé à la fois par la grande médiocrité des élites politique de la période mais aussi et surtout par une primauté paroxystique du capital financier transfrontalier sur le pouvoir politique souverain. Le citoyen appelé à faire un choix en jetant des dés pipés est sans doute le plus grand perdant avant même d’avoir joué. Fillon ou Le Pen, Macron ou Hamon, rien ne changera parce que rien ne peut changer. Non pas que nous vivions une ère tragique comme ont voulu le laisser croire les intellectuels de la fin de l’histoire, mais bien parce que la critique radicale du capitalisme a laissé place à une parodie révolutionnaire. Mélenchon en est le révélateur puissant. Même s’il ébauche un début de critique pertinent sur les évolutions du capitalisme, dénonçant la marchandisation ultime de la vie et des affects, il se refuse à pointer du doigt les véritables coupables, ne se contentant finalement que de faire évoluer la phraséologie régulatrice. La social-démocratie se meurt, vive la social-démocratie.
Je ne veux pas m’abaisser ici au petit jeu du « plus révolutionnaire que moi tu meurs » que pratiquent avec un zèle déconcertant la garde et l’arrière-garde insoumises. Pour qui sait lire entre les lignes, Mélenchon n’a jamais dissimulé ses inclinations profondes. Son modèle est Mitterrand, père fondateur de la deuxième droite pour reprendre l’idée de l’excellent ouvrage de Jean-Pierre Garnier et Louis Janover. Le plus grave dans l’histoire, ou en tout cas le plus ubuesque, c’est que comme Mitterrand, la motivation première de Mélenchon est de faire une O.P.A sur la gauche. Une ambition d’une très grande modestie quand on voit ce qu’est la gauche aujourd’hui, ce qu’il en reste. Un PCF sous respirateur artificiel, un PS, vieux coucou lowcost en pilotage automatique où tout le monde saute sans parachute et la chaîne abrupte et sauvage du mouvementisme gauchiste.
De toute manière, on aura beau agiter les bras plus vite et plus fort, quand on brasse du vide on ne peut résolument pas progresser dans la matière. Qui-plus-est, le capital semble avoir fait son choix qui, c’est là la nouveauté du cru présidentiel 2017, nous l’impose sans même y mettre les formes. La Macronite aiguë semble en effet avoir contaminée tous les recoins de la presse officielle, officiellement assujettie au capital qui la possède dans son entièreté ou presque. Un rail sur la petite table basse de la loge, et le bonhomme peut tout vous vendre. C’est le nec-plus-ultra du porte-parolat de la bourgeoisie organisée. Pas besoin de lui graisser la patte, le monsieur mangeait à la gamelle directement chez les Rothschild où il est devenu millionnaire après une fusion-acquisition particulièrement juteuse. Pour autant, la présidentielle américaine devrait rappeler à nos élites que le peuple sait se montrer indomptable quand on n’y met pas les formes. L’entreprise est si grossière que le bail présidentiel pourrait tomber, par un concours de circonstances regrettable, entre les mains des Le Pen. Ces messieurs qui tirent les ficelles ont plus d’un tour dans leur sac ou plutôt plusieurs sacs pour y glisser leurs œufs. L’élection de Le Pen comme celle de Trump ne serait finalement pas une si terrible tragédie. Le capital a une fascinante capacité de rebondir quoi-qu’il-arrive.
Je comprends donc le profond désespoir qui gangrène le cœur des honnêtes militants de la lutte des classes partout en Europe et plus particulièrement en France. Nous voilà entrés dans la phase du capitalisme absolu, un capitalisme qui colonise l’imaginaire, qui transforme absolument tous les aspects de l’existence en marchandises rentables, y compris l’amour. C’est la mort du poète … Il se concrétise surtout (ce capitalisme absolu) par la destruction méthodique de l’État, qui même s’il finit toujours par dégénérer ce qui explique qu’un marxiste digne de ce nom vise à sa disparition, permet de contraindre pour une part le capitalisme et ses excès, à rendre possible dans une certaine mesure l’hégémonie de la politique sur l’économie. Il est précisément là le lien avec l’Europe. Détruire l’État en régime capitaliste, c’est détruire la nation et par là détruire le pouvoir politique. C’est assurer le triomphe absolu du capitalisme, lui permettre d’atteindre son stade le plus avancé. Celui qui défit l’éthique et la morale, qui marchandise tout, qui place la civilisation humaine face à sa propre mort. C’est un peu l’idée d’ « a priori historique » qu’on trouve chez Foucault : le capital est devenu aujourd’hui la condition de réalité pour toutes prestations de sens de la pensée, pour toutes prestations symboliques de notre imaginaire.
Face à un tel constat, comment peut-on se limiter au stade de la croyance déraisonnable en les vertus thérapeutiques de la régulation keynésienne ? C’est le fameux sparadrap sur la jambe de bois. La cruauté de cette contradiction historique acide, c’est qu’il existe une maturité philosophique et même un désir presque métaphysique pour une part au sein de la classe ouvrière, aussi multiple soit-elle, de changement. Il manque simplement le carburant dans le moteur.
Sans perspective il ne peut y avoir de mouvement. Sans échelle de pensée et d’organisation il ne peut y avoir de convergence et de résurgence. La gauche sera souverainiste et socialiste ou ne sera plus. Il en va de l’idée même de changement. Il en va de l’idée même de survie.
Pier Paolo Nogara
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