vendredi 3 mars 2017

La « déprivatisation » au Donbass : un test de faisabilité, par Andrei Babitsky
 
03 Mars 2017
 

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1 mars 2017
Voir aussi l’article de Karine Bechet-Golovko : DNR et LNR mettent les entreprises ukrainiennes sous administration provisoire. Personne ne semble bien comprendre cette affaire, mais tout le monde en parle, les conséquences semblent colossales pour l’Ukraine… Le KPRF salue cette « nationalisation » qui n’en est pas vraiment une
 
(note et traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société)

 
Je comprends que mon hypothèse semblera audacieuse à beaucoup, mais il est possible que la « nationalisation » au Donbass soit une expérimentation, une tentative de mettre en œuvre au niveau d’une seule région un schéma de déprivatisation partielle.
 
Naturellement, nous ne pouvons que faire des conjectures sur le contexte politique ayant dicté la décision de transférer les entreprises industrielles de LDNR en gestion externe, mais personne ne peut nous interdire de supposer l’existence d’un tel contexte.
 
Le printemps russe au Donbass a été une espèce de test de l’état mental, psychologique et spirituel dans lequel se trouvaient les Russes plus de 20 ans après l’effondrement de l’Union soviétique.
 
Si vous mettez de côté le motif essentiel bien sûr, mais non pertinent pour la Russie, qui a poussé les gens à envahir les rues et les places des villes du Donbass – la protestation contre le nazisme et le coup d’Etat à Kiev – un autre motif bien présent, qui a inspiré des dizaines, voire des centaines de milliers de citoyens, est douloureusement proche et compréhensible pour les Russes.
 
Le mouvement de protestation depuis le début avait une orientation anti-oligarchique prononcée.
 
La demande sociale pour le démantèlement des biens acquis par des moyens injustes a été formulée par les participants des diverses réunions et manifestations si clairement que les gens qui dirigeaient le processus d’accession à l’indépendance du Donbass ont parlé ouvertement de la nécessité de la nationalisation.
 
De plus, en 2014 les dirigeants des républiques ont promis de résoudre ce problème dans un avenir plus ou moins proche.
 
Ensuite, il est devenu évident que couper le nœud d’un seul coup était impossible, car dans ce cas, l’énorme complexe des entreprises industrielles allait s’arrêter, laissant sans travail et moyens d’existence des dizaines de milliers de personnes.
 
Néanmoins l’opinion publique anti oligarchique n’a pas disparu, mais au contraire, s’est renforcée par le fait que les propriétaires ukrainiens d’actifs au Donbass devenaient réellement les argentiers de la politique criminelle de Kiev, investissant par leurs impôts des fonds pour la poursuite de la guerre, pour l’assassinat des habitants de la province, la destruction de ses agglomérations et infrastructures.
 
Cet exemple criant de la manière dont les grandes entreprises sont indifférentes au sort des simples gens, quand dans leur quête du profit, elles sont prêtes à oublier toutes les normes de la morale humaine, je suppose, a dû inspirer non seulement les citoyens des républiques rebelles, mais aussi leurs voisins de l’autre côté de la frontière russe.
 
D’ailleurs, les Russes n’ont pas particulièrement besoin de preuves supplémentaires que le capital qui s’est constitué dans une atmosphère raréfiée de vide moral continue de prospérer à la même adresse.
 
Le pays tout entier se souvient des monstrueuses années 90 du siècle dernier, lorsqu’ils sont loin d’avoir tous réussi le test de survie dans les conditions de pauvreté et de banditisme aveugle.
 
En ce sens, la Russie et le Donbass sont absolument unis dans le rejet des fondements de l’ordre social et politique existant.
 
Le thème anti oligarchique n’a jamais disparu de l’ordre du jour, il n’a jamais perdu de son actualité brûlante et douloureuse, et au fur et à mesure que se résolvaient les problèmes liés aux mauvaises conditions de vie, à la criminalité galopante, au chômage, il poursuivait avec assurance son ascension, grimpant toujours plus haut vers les premières places dans la liste des questions que le Russe moderne considère comme vitales.
 
Et le fait que la protestation contre les débordements nazis sur le Maidan avait un fond anti oligarchique si puissant, a démontré une nouvelle fois que ce traumatisme de naissance était incurable.
 
L’injustice sur laquelle a été construit l’ordre social dans l’espace postsoviétique n’est pas mieux acceptée qu’autrefois, et dans le cas du Donbass, encore moins bien.
 
Je pense que l’image de ce qui se passe dans le Sud-Est de l’Ukraine n’a pas manqué d’impressionner les gens de la lointaine Moscou qui suivent les tendances en matière de développement social russe, et réfléchissent à la façon d’éviter les pires scénarios.
 
Le printemps russe dans l’une des régions les plus industrialisées de l’ex-URSS a clairement démontré que tout ébranlement, peu importe provoqué par quoi, des fondations de la Russie sera accompagné d’un contenu anti-oligarchique, conférant aux processus une dynamique et une puissance impressionnante.
 
Et il est impossible d’éviter cela, tant que vivra chez les gens la mémoire que le fondement du système actuel a été un pillage cynique et sans vergogne des actifs de ce vaste pays, actifs créés par la main de millions de personnes et pillés en un tournemain par une poignée d’escrocs qui ont reçu en raison de leur proximité avec le pouvoir, l’accès à la richesse appartenant à tous.
 
La recherche de variantes permettant de se débarrasser de cette tache originelle, cette filiation liée aux mensonges et aux crimes – voilà ce qui fait l’agenda politique pour aujourd’hui et demain en Russie, quelles que soient les tentatives de bercer le peuple de douces illusions, de plonger l’opinion publique dans un état d’anabiose béate.
 
Il ne s’agit pas de restaurer la justice sociale selon des recettes communistes – la probabilité d’une renaissance socialiste ne sera guère tolérée par ceux qui profitent depuis déjà un quart de siècle d’un capitalisme prédateur.
 
Il s’agit d’interrompre la chaîne d’héritage, de transmission d’une génération à une autre de la croyance que le monde ne peut être organisé autrement, qu’il est fondé sur la volonté criminelle de ceux qui renient les lois humaines  et divines, ont le courage de voler les autres, de les dépouiller de leurs propriétés, leurs Etats et leurs lois.
 
Je comprends que mon hypothèse semblera audacieuse à beaucoup, mais il me semble qu’il y a des raisons de croire que la « nationalisation » au Donbass, qui, au sens strict, n’est pas une nationalisation, soit en fait une expérimentation, une tentative de Moscou de mettre en œuvre au niveau d’une seule région qui, grâce à son isolement peut servir en quelque sorte de laboratoire, d’un schéma de déprivatisation partielle, pour ensuite introduire chez nous des éléments de l’expérimentation.
 
C’est ce qui explique pour moi la douceur avec laquelle se déroule à grande échelle se passage de l’industrie sous le contrôle de l’Etat.
 
Tous, je pense, ont remarqué que de nombreux fonctionnaires de LDNR ne se lassent pas de répéter que nous ne parlons pas d’expropriation, les sociétés ne deviennent pas la propriété de l’Etat, simplement on enlève aux propriétaires le droit de gérer leurs propres actifs. C’est pourquoi, d’ailleurs, toutes ces supputations sur le fait que des oligarques russes auraient l’intention de s’en saisir sont à mon avis dénuées de sens.
 
Un crime ne peut pas être effacé par une action similaire, qui ne ferait que multiplier la série des méfaits, rendant la situation encore moins tolérable du point de vue de la morale et du droit.
 
Par conséquent, il ne s’agit pas de piller les pilleurs, la dé-privatisation est un processus à plusieurs niveaux impliquant des manœuvres subtiles uniquement dans les limites du droit.
 
Créer un nouvel ordre social, en mettant dans son squelette les mêmes problèmes liés à une discrimination totale, d’un propriétaire même illégitime, conduit toujours à former une structure instable, comme l’est n’importe quel système post-soviétique.
 
Je comprends que beaucoup de mes hypothèses semblent absurdes et délirantes, même à moi elles m’apparaissent comme telles, mais personne ne peut nous interdire de rêver. Donc, rêvons au moins un peu!
 
Traduit par Marianne Dunlop pour Histoire et Société
 
Voir aussi à ce sujet: DNR et LNR mettent les entreprises ukrainiennes sous administration provisoire. Karine Bechet-Golovko.[Suite…]

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