vendredi 10 mars 2017

Source : Foreign Policy, Josh Cohen, 02-05-2016


Volodymyr Viatrovich est en train d’effacer tous les témoignages du passé raciste et sanglant – nettoyages ethniques et pogroms des archives officielles

Quand il s’agit de politique et d’histoire, une mémoire pointue peut être bien dangereuse. En Ukraine, alors que le pays lutte avec son identité, c’est doublement vrai. Pendant que les partis politiques ukrainiens tentent de pousser le pays soit vers l’Europe, soit vers la Russie, un historien ukrainien, jeune étoile montante, Volodymyr Viatrovych s’est positionné en plein milieu de cette bataille.
Soutenant une vision nationaliste et révisionniste de l’Histoire qui glorifie le mouvement du pays vers l’indépendance – expurgée de ses chapitres sanglants et opportunistes – Viatrovych a tenté de réécrire l’histoire moderne du pays, pour blanchir l’implication des groupes ukrainiens nationalistes dans l’Holocauste et les nettoyages ethniques de Polonais durant la Seconde guerre mondiale. Et aujourd’hui, il est en train de gagner.
En mai 2015, le président Petro Poroshenko a signé une loi ordonnant le transfert des archives provenant « d’organes soviétiques de répression », tel que le KGB et son successeur, le Service de Sécurité Ukrainien (SBU) vers un organisme gouvernemental nommé l’Institut Ukrainien pour la Mémoire Nationale.
Dirigée par le jeune chercheur, et chargée de la « mise en œuvre de la politique gouvernementale afférant à la restauration et la préservation de la mémoire nationale du peuple ukrainien » – l’Institut a reçu des millions de documents, y compris des informations sur des dissidents politiques, des campagnes de propagande contre la religion, des activités d’organisations nationalistes ukrainiennes, des activités d’espionnage et de contre-espionnage du KGB, et d’affaires criminelles liées aux purges staliniennes.
Sous la loi des archives, une des quatre « lois sur la mémoire » rédigées par Viatrovych, le mandat semblant anodin de l’institut est simplement une couverture pour présenter une vision biaisée et unilatérale de l’histoire ukrainienne moderne – et qui pourrait bien impacter le chemin que prend le pays.
La controverse se concentre sur un récit qui amplifie les crimes soviétiques et glorifie les combattants nationalistes ukrainiens tout en ignorant le rôle majeur qu’ils ont joué dans les nettoyages ethniques de juifs et de Polonais entre 1941 et 1945, après l’invasion de l’ex-Union Soviétique par les nazis.
À la place, la vision de Viatrovych de l’histoire nous parle de guérillas rebelles qui se sont héroïquement battus contre la toute puissance soviétique.
Elle transmet aussi le message à ceux qui ne s’identifient pas aux faiseurs de mythes ethno-nationalistes du pays – comme beaucoup de russophones dans l’Est de l’Ukraine qui célèbrent toujours l’héroïsme de l’Armée Rouge durant la seconde guerre mondiale – qu’ils sont « out ». Et plus particulièrement, les intellectuels craignent maintenant le risque de représailles s’ils ne suivent pas la ligne officielle – ou ne soutiennent pas Viatrovych dans ses distorsions historiques. Sous le règne de Viatrovych, le pays pourrait bien entrer dans une nouvelle et terrifiante ère de censure.
Bien que des événements ayant eu lieu il y a 75 ans pourraient sembler être de l’histoire ancienne, ils sont très présents dans la guerre de l’information que se livrent la Russie et l’Ukraine.
Le révisionnisme se concentre sur deux groupes nationalistes ukrainiens : l’Organisation des Ukrainiens Nationalistes (OUN) et l’Armée Ukrainienne Insurgée (UPA), qui se sont battues pour une Ukraine indépendante. Durant la guerre, ces groupes ont tué des dizaines de milliers de juifs et ont lancé une violente campagne de nettoyage ethnique qui a tué pas moins de 100 000 Polonais. Créée en 1929 pour libérer l’Ukraine du giron Soviétique, l’OUN a défendu la notion d’une nation ukrainienne ethniquement pure. Lorsque les nazis ont envahi l’Union Soviétique en 1941, l’OUN et sont chef charismatique Stepan Bandera, ont accueilli l’invasion comme un pas en avant vers l’indépendance ukrainienne. Ses membres ont commis un pogrom à Lviv qui tua 5000 juifs, et les milices de l’OUN ont joué un rôle majeur dans les violences contre les juifs dans l’Est de l’Ukraine qui ont coûté la vie à 35 000 juifs.
Cependant, Hitler ne souhaitait pas donner son indépendance à l’Ukraine. En 1943, l’OUN avait pris violemment le contrôle de l’UPA et s’est déclarée opposée tant aux Allemands, qui alors battaient retraite, qu’aux Soviétiques qui arrivaient.
De nombreux membres de l’UPA avaient déjà assisté les nazis en tant que police auxiliaire ukrainienne, dans l’extermination de centaines de milliers de juifs dans l’Ouest de l’Ukraine en 1941 et 1942, et devenaient maintenant les petits soldats d’une nouvelle vague de nettoyages ethniques en Ukraine en 1943 et 1944, cette fois-ci directement contre les Polonais.
Quand les soviétiques s’approchèrent en 1944, l’OUN repris sa coopération avec les Allemands et continua de combattre les Soviétiques jusque dans les années 50, avant d’être définitivement écrasée par l’Armée Rouge.
Cet héritage de sacrifice contre les Soviétiques continue à pousser de nombreux nationalistes ukrainiens à voir Bandera et l’OUN-UPA comme des héros dont le courage a permis de garder en vie le rêve de nation Ukrainienne.
Maintenant que l’Ukraine cherche à se défaire des griffes russes, les nationalistes ukrainiens ajoutent de l’eau au moulin de la machine à propagande du Kremlin, qui déclare que l’Ukraine post-révolutionnaire est dirigée par des fascistes et des néo-nazis.
Cette nouvelle loi, qui promet que les personnes qui « présenteront une attitude irrespectueuse » vis-à-vis de ces groupes, ou bien qui « nieraient la légitimité » de la lutte de l’Ukraine pour son indépendance durant le XXème siècle seront poursuivies en justice (bien qu’aucune peine ne soit précisée), signifie aussi que l’Ukraine indépendante est partiellement construite sur une narrative falsifiée sur l’Holocauste.
En transférant le contrôle des archives nationales à Viatrovych, les nationalistes ukrainiens se sont assurés que la gestion de la mémoire nationale est maintenant entre de « bonnes » mains.
***
Depuis le début de sa carrière, il a été une étoile montante. Viatrovich est titulaire de l’équivalent d’un doctorat de l’université de Lviv, située dans la ville Ouest-ukrainienne où il est né, et est un orateur doué et passionné, bien qu’il ait tendance à parfois s’emporter.
Le chercheur de 35 ans s’est d’abord fait un nom à l’Institut pour l’Étude du Mouvement de Libération, connu sous son acronyme ukrainien TsDVR, une organisation créée pour promouvoir la narrative héroïque des OUN-UPA, où il a commencé à travailler en 2002. En 2006 il en était devenu le directeur. Pendant ce temps, il a publié des livres à la gloire de l’OUN-UPA, a lancé des programmes pour aider les intellectuels ukrainiens à promouvoir les vues nationalistes, et servir de pont aux ultra-nationalistes dans la diaspora qui financent largement le TsDVR.
En 2008, en plus de son rôle au TsDVR, Viktor Yushchenko, le président de l’époque, désignât Viatrovych comme chef des archives du Service de Sécurité Ukrainien (SBU).
Le Président Yushchenko (2005-2010) fit de la promotion de la mythologie OUN-UPA une part fondamentale de son héritage, faisant réécrire les livres scolaires, renommant les rues, et élevant les chefs de l’OUN-UPA au rang de « héros de l’Ukraine ». En tant que principal gardien de la mémoire de Yushchenko – autant au TsDVR qu’au SBU – Viatrovich était son bras droit dans cette croisade. Il a continué à pousser une représentation héroïque de l’OUN-UPA et de leurs leaders Bandera, Yaroslav Stetsko et Roman Sukhevych, financée par l’état. « La bataille de l’Ukraine pour son indépendance est l’une des pierres angulaires de notre identité nationale, » écrivit Viatrovych dans la Pravda en 2010. « Parce que sans l’UPA, sans Bandera, sans Shukhevych, il n’y aurait pas d’état ukrainien contemporain, il n’y aurait pas de nation ukrainienne contemporaine. »
Vyatrovich est aussi régulièrement cité dans les médias ukrainiens, et même en allant aussi loin qu’en défendant la division SS Ukrainienne Galicie qui combattit au côté des nazis durant la seconde guerre mondiale.
Après que Victor Yanukovych ait été élu président en 2010, Vyatrovich disparut des écrans radar. Yanukovich était glorifié dans l’Est de l’Ukraine et était un ami de la Russie, ainsi il ne partageait pas avec le chercheur une lecture nationaliste de l’Histoire. Durant cette période Viatrovych a passé quelques temps en Amérique du Nord, pour une série de conférences, ainsi que pour un court séjour à l’Institut de Recherche Ukrainien à Harvard (HURI). Il a par ailleurs continué son activisme académique en écrivant des livres et des articles à la gloire de l’OUN-UPA. En 2013 il a essayé de briser et d’interrompre un atelier sur le nationalisme ukrainien et russe qui se déroulait à l’institut Harriman à Columbia. Lorsque la révolution de Maïdan éjecta Yanukovich du pouvoir en février 2014, Vyatrovych est revenu au premier plan.
En mars 2014, Vyatrovich a été nommé à la tête de l’Institut Ukrainien pour la Mémoire Nationale – une nomination prestigieuse pour un chercheur relativement jeune. Bien qu’il ne soit pas très clair qui décida de cette nomination, ses services sous Yushchenko lui ont sans doute accordé les faveurs des nationalistes. Il y a de fortes chances que cette nomination ait été faite pour récompenser les nationalistes qui ont soutenu la révolution de Maïdan. Les nationalistes ont fourni une grande partie de la force utilisée dans la bataille contre les forces de sécurité de Yanukovych durant la révolte, ont formé le cœur de bataillons privés comme le Secteur Droit et ont joué un rôle clé dans les combats contre les séparatistes du Donbass après l’annexion de la Crimée par la Russie.
Bien que son étoile politique continuait de monter, l’intégrité de Viatrovych en tant qu’historien était largement attaquée au sein de pays occidentaux ainsi que par un certain nombre d’historiens respectés en Ukraine. Selon Jared McBride, chercheur à l’Institut Kennan et membre du Musée Mémorial de l’Holocauste aux États-Unis, « la glorification de l’OUN-UPA n’est pas réduite à l’Histoire. C’est un projet politique actuel qui consolide une vue très unilatérale dans la société ukrainienne, qui n’a une profonde résonance que dans la province occidentale de Galicie. »
Bien que le point de vue de Viatrovych soit très populaire dans l’Ouest de l’Ukraine, où il y a de nombreux monuments à Bandera, et des rues à son nom (le TsDVR lui même se trouve sur la rue Bandera à Lviv), bon nombre d’ukrainiens dans le Sud et l’Est de l’Ukraine n’apprécient pas l’héritage nationaliste de la Seconde guerre mondiale.
À Lougansk dans l’Est du pays, et en Crimée, les gouvernements locaux ont érigé des monuments aux victimes de l’OUN-UPA. De ce fait, imposer une vision nationaliste de l’Histoire à tout le pays nécessite d’éradiquer les croyances et les identités de nombreux autres Ukrainiens, qui ne partagent pas la narrative nationaliste.
À cet effet, Viatrovych a relégué les faits historiques incompatibles avec cette narratives à de la « propagande soviétique. » Dans son livre de 2006, la Position de l’OUN vis-à-vis des juifs : élaboration d’une position sur fond de catastrophe, il tentait d’exonérer l’OUN de sa collaboration à l’Holocauste, ignorant une très grande quantité de données historiques sur le sujet. Le livre a été largement critiqué par des historiens occidentaux. Le professeur John-Paul Himka de l’Université de l’Alberta, l’un des spécialistes de l’Histoire ukrainienne les plus reconnus depuis trois décennies le décrit comme « employant une série de procédés douteux : rejetant les sources qui compromettent l’OUN, acceptant sans aucune critique des sources censurées émanant des cercles de l’OUN de l’émigration, se gardant de reconnaître un quelconque antisémitisme dans les textes de l’OUN. » (Source)
Encore plus inquiétant pour l’intégrité future des archives ukrainiennes sous Viatrovych : sa réputation en sein des historiens occidentaux à vouloir prétendument ignorer ou même falsifier des documents historiques.
« Les chercheurs de son équipe publient des documents falsifiés » dit Jeffrey Burds, professeur d’histoire Russe et Soviétique à l’Université Northeastern. « Je le sais car j’ai vu les originaux, fait des copies et comparé leurs transcriptions aux originaux. »
Burds a décrit un livre de 898 pages contenant des documents transcrits par un des collègues de Viatrovych, que Viatrovych utilise pour défendre sa revendication comme quoi il libèrera tout ce qui est nécessaire des archives ukrainiennes pour examen par les chercheurs. Burds cependant, décrit ceci comme un « monument de blanchissage et de falsification avec des mots, des phrases et des paragraphes entiers supprimés. Qu’est-ce qui a été supprimé ? » Burds continue. « Tout ce qui critique le nationalisme ukrainien, tout ce qui prouve les conflits à la tête de l’OUN-UPA, des sections de rapports d’interrogatoires où les interrogés divulguaient des preuves contre d’autres nationalistes, des enregistrements d’atrocités. »
L’expérience de Burds n’est pas inhabituelle. J’ai été en contact et interviewé un certain nombre d’historiens pour cet article, et leurs griefs face à Viatrovych sont remarquablement constants : faits historiques établis ignorés, documents falsifiés et nettoyés et accès restreint sous sa surveillance aux archives du SBU.
« J’ai eu du mal à travailler aux archives du Service de Sécurité Ukrainien, quand Viatrovich était à sa tête. » dit Marco Carynnyk, un émigré Ukrainien-Canadien, et chercheur indépendant sur l’Histoire Ukrainienne du XXème siècle depuis de nombreuses années. « J’ai aussi la preuve que Viatrovych a falsifié des données historiques dans ses propres publications, puis a trouvé des excuses pour ne pas me laisser voir les données qui pourraient le démontrer. »
McBride confirme les dires de Carynnyk, notant que « quand Viatrovych était le chef des archivistes au SBU, il créa une archive numérique ouverte aux citoyens ukrainiens et aux étrangers. Malgré ce développement plutôt positif, lui et son équipe se sont assurés d’avoir exclu tous les documents des archives qui pourraient donner une mauvaise image de l’OUN-UPA, incluant leur participation à l’Holocauste et d’autres crimes de guerre. »
Avec toutes ces mauvaises expériences qu’ont endurées autant d’historiens avec Viatrovych, laisser toutes les archives les plus sensibles de la nation sous son contrôle est un signe que les choses n’iront que plus mal. Compte tenu de son profil, on peut aisément imaginer que Viatrovych contrôlera ce qui peut – ou ne peut pas – sortir des archives de l’Institut Ukrainien pour la Mémoire Nationale.
***
Les historiens ukrainiens se sont déjà inquiétés ouvertement sur la façon dont la nouvelle loi sur les archives affectera leurs recherches. Le syndicat des Archivistes d’Ukraine s’est opposé à la loi, et l’historien ukrainien Stanislav Serhiyenko l’a dénoncée comme une opportunité pour Viatrovich et son Institut pour la Mémoire de « monopoliser et restreindre l’accès à tout un pan de documents significatifs, qui sont  incompatibles avec sa vision primitive de l’histoire moderne de l’Ukraine, ou dans le pire des cas, de détruire des documents. Des études non biaisées de l’Histoire soviétique, de l’OUN, l’UPA, etc. seront alors impossibles. » Soixante-dix historiens ont signé une lettre ouverte à Poroshenko, lui demandant d’opposer un véto au projet de loi qui bannit toute critique de l’OUN-UPA.
Viatrovych a riposté, « l’inquiétude sur les possibles interventions de politiciens dans des discussions académiques, qui est une des raisons principales de cette lettre, n’est pas nécessaire. »
Les inquiétudes de Serhiyenko sont cependant bel et bien fondées, et un incident récent montre bien la pression que subissent les historiens ukrainiens pour laver les atrocités commises par l’OUN-UPA.
Suite à la publication de la lettre, l’initiateur de cette législation Yuri Choukhevytch a réagi furieusement. Choukhevytch, fils du chef de l’UPA Roman Choukhevytch, et activiste politique d’extrême-droite depuis longtemps, a envoyé une lettre au ministre de l’éducation Serhiy Kvit clamant que « les services spéciaux russes ont produit cette lettre et ont demandé à des historiens « patriotes » de la publier. » Kvit, lui aussi un activiste d’extrême droite depuis longtemps, et l’auteur d’une biographie admirative de l’un des théoriciens clefs du nationalisme ethnique ukrainien, a surligné sur sa copie de la lettre le nom des historiens ukrainiens signataires, laissant planer une ambiance menaçante.
De plus, Kvit a contacté au moins un de ces historiens ukrainiens, un chercheur établi et réputé, lui demandant de rédiger une réponse à la lettre, désavouant sa position et la condamnant.
Comme le notait la lettre, « le contenu et l’esprit de ces quatre lois contredit l’un des droits politiques les plus fondamentaux : le droit de liberté d’expression […] ces 15 dernières années, Vladimir Poutine a investi énormément de ressources dans la politisation de l’Histoire. Ce serait un désastre si l’Ukraine suivait la même direction, même partiellement ou timidement. »
Si les Historiens ukrainiens ne peuvent pas signer une simple lettre sur la liberté d’expression en toute sécurité, quelles sont les chances pour eux d’être autorisés à réaliser des recherches objectives sur des sujets sensibles, alors que Viatrovych récupère le contrôle des archives les plus importantes de la nation ?
En réponse à un e-mail que j’ai envoyé à Viatrovych le 24 février (dans lequel je l’informais de la publication de cet article, et dans lequel je lui demandais des commentaires sur la représentation dans l’Ukraine contemporaine des organisation nationalistes durant la période de la Seconde guerre mondiale), il a nié avec véhémence les accusation levées contre lui dans cet article.
Viatrovich considère les allégations d’historiens occidentaux comme quoi il ignore ou falsifie des documents histoires comme « sans fondement. » En réponse à une question sur le fait si les inquiétudes du Syndicat des Archivistes d’Ukraine étaient fondées, Viatrovych a répondu, « durant tout mon travail en relation avec les archives, j’ai travaillé exclusivement sur leur ouverture, de ce fait, je ne vois aucune raison  de s’inquiéter que maintenant j’allais en restreindre l’accès. »
Dans cette même réponse, Viatrovych a aussi nié que l’OUN et l’UPA a effectué un nettoyage ethnique sur les juifs et les Polonais après l’invasion de l’Union Soviétique par les nazis, rejetant les accusations comme « une part intégrale de la guerre d’information que l’URSS a menée contre le mouvement ukrainien de libération de puis la seconde guerre mondiale. »
Alors que Viatrovych  admettait aussi (par e-mail) que certains membres de l’OUN soutenaient des visions antisémites, il soutient que « la plus grande partie des membres de l’OUN étaient ceux qui considéraient que l’extermination des juifs par les nazis n’étaient pas leur problème, puisque leur but premier était de défendre la population ukrainienne contre la répression allemande, » écrit Viatrovych. « C’est pour cette raison que [au début de 1943] ils [l’OUN] ont créé l’UPA. Les accusation comme quoi des soldats de cette armée ont pris part à l’Holocauste ne sont pas fondée puisqu’au moment de sa création, les nazis avaient quasiment terminé la destruction des juifs, » conclut-il.
Le problème est que la défense de Viatrovych de l’OUN et de l’UPA ne concorde pas avec les preuves détaillées présentées par de nombreux historiens occidentaux. L’idéologie de l’OUN était explicitement antisémite, décrivant les juifs comme « un corps hostile prédominant dans notre organisme national » et utilisait des éléments de langage comme « combattez les juifs comme des défenseurs du régime Moscovite-Bolchevique » et « l’Ukraine aux ukrainiens ! … Mort à la communauté juive-moscovite !»
En fait, mais avant l’invasion de l’Union Soviétique par les nazis, les leaders d’OUN tels que Yaroslav Stetsko ont explicitement soutenu les méthodes allemandes d’exterminations de juifs.
La logique de Viatrovych sur l’UPA sonne creux elle aussi. Des centaines de témoignages de juifs survivants – dont nombreux sont documentés de façon exhaustive par Himka – confirment que l’UPA a abattu bon nombre de juifs encore en vie dans l’Ouest de l’Ukraine avant 1943.
De plus, alors que Viatrovych présente un nombre compris entre 70 000 et 100 000 Polonais tués par l’UPA entre 1943 et 1944 comme un effet collatéral d’une guerre « polono-ukrainienne, » là-encore des documents historiques le contredisent. En réalité, des rapports de l’UPA confirment que le groupe tuait les Polonais aussi systématiquement que les nazis tuaient les juifs.
Le commandant suprême de l’UPA, Dmytro Kliachkivs’kyi a explicitement déclaré : « nous devrions lancer une action de liquidation à large échelle contre les éléments polonais. Durant l’évacuation de l’armée allemande, nous devrions trouver le moment approprié pour liquider entièrement la population mâle âgée de 16 à 60 ans. » Considérant que plus de 70% des cadres dirigeants de l’UPA avaient un passif de collaborateurs nazis, rien de tout cela n’est surprenant.
Alors que ces débats entre Viatrovych et les historiens occidentaux peuvent sembler académiques, c’est loin d’en être le cas. En juin dernier, le Ministère de l’Éducation de Kvit a publié une directive aux enseignants concernant la « nécessité d’accentuer le patriotisme et la moralité des activistes du mouvement de libération, » incluant le fait de dépeindre l’UPA comme « un symbole de patriotisme et d’esprit de sacrifice dans la lutte pour une Ukraine indépendante » et Bandera comme un « remarquable représentant du peuple ukrainien. » Plus récemment, l’Institut Ukrainien pour la Mémoire Nationale de Viatrovych a proposé que la ville de Kiev a renommé deux rues au nom de Bandera et de l’ancien commandant suprême de l’UPA  et de la Schutzmannschaft Roman Choukhevytch.
La consolidation de la démocratie ukrainienne – sans compter son ambition d’intégrer l’Union Européenne – nécessite que le pays soit capable d’affronter les aspects les plus sombres de son passé. Mais si Viatrovych suit son chemin, cette repentance pourrait très bien ne jamais arriver, et l’Ukraine n’obtiendra jamais une réconciliation complète avec son passé compliqué.
Source : Foreign Policy, Josh Cohen, 02-05-2016
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
P.S. : dans l’urgence, la traduction n’a pas été relue. Si quelqu’un peut le faire et nous indiquer ses remarques sur les éventuelles modifications importantes à apporter ? Merci d’avance.

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