jeudi 13 octobre 2016


Le salaire

 

 

Daniel Paquet                                                                                                                 dpaquet1871@gmail.com

 

Quand le capitaliste (propriétaire des moyens de production) rencontre au ’ marché’ celui ou ceux qui complètent les forces productives en lui louant sa force de travail, il lui verse un salaire.  (Salaire origine de l’échange du temps de travail contre le sel, denrée rare au Moyen-âge).  « Il  est tout à fait exact que la classe ouvrière, considérée dans son ensemble, dépense et doit forcément dépenser son revenu tout entier en moyens de subsistance (même si avec les années, elle est devenue, par le biais des syndicats –notamment au   Québec -, actionnaire de fonds d’investissement et d’épargne : ex. Fonds de solidarité du Québec  (FTQ) et Fondaction (CSN), et de préparation à la retraite, - ndlr).  Une hausse générale des salaires provoquerait donc une augmentation de la demande des moyens de subsistance et, par conséquent, aussi une hausse de leur prix sur le marché. Les capitalistes qui les produisent se dédommageaient des augmentations des salaires par les prix croissants de leurs marchandises sur le marché. (…)

Or, quelle sera la situation des capitalistes qui ne produisent pas d’objets de première nécessité?  Le taux de leur profit baissant par suite des augmentations générales des salaires, ils ne pourraient pas se rattraper par l’élévation des prix de leurs marchandises puisque la demande de ces marchandises n’aurait pas augmenté.  Leur revenu diminuerait, et c’est avec ce revenu amoindri qu’il leur faudrait payer davantage pour la même quantité d’articles courants de prix accru.  Mais ce ne serait pas tout.  Leur revenu diminuant, ils auraient également  moins à dépenser en objets de luxe et, de cette façon, il y aurait recul dans la demande réciproque de leurs marchandises respectives.  Cette diminution de la demande ferait baisser les prix de leurs marchandises.  Donc, dans ces branches d’industrie, le taux des profits baisserait non pas simplement en proportion de l’élévation générale des salaires, mais aussi en rapport avec l’action combinée de la hausse générale des salaires, de l’augmentation des prix des objets de première nécessité et de la baisse des prix des objets de luxe.

Quelle serait la conséquence de cette différence entre les taux de profit pour les capitaux employés dans les différentes branches d’industrie?   La même conséquence qui se produit chaque fois que, pour une raison quelconque, surviennent des différences dans les taux moyens des profits dans les diverses sphères de la production.  Le capital et le travail seraient transférés des branches les moins rémunératrices dans les plus rémunératrices, et ce processus de transfert durerait jusqu’à ce que l’offre dans une branche d’industrie eût augmenté proportionnellement à la demande accrue, et qu’elle eût baissée dans les autres branches d’industrie en raison de la demande  diminuée. (…)

Si, l’accroissement des salaires était dépensé en objets ne figurant pas auparavant dans la consommation des ouvriers, il ne serait pas nécessaire de prouver l’augmentation effective de leur pouvoir d’achat.  Mais comme elle n’est que la conséquence de l’élévation de leur salaire, il faut bien que l’augmentation du pouvoir d’achat des ouvriers corresponde exactement à la diminution du pouvoir d’achat des capitalistes.  Par conséquent, ce ne serait pas la demande totale des marchandises qui augmenterait, mais les parties constituantes de cette demande qui se modifieraient. (Finalement), la hausse générale du taux des salaires n’entraînera finalement rien d’autre qu’une baisse générale du taux de profit. »[1]

« (Les)  efforts pour relever les salaires ne sont que des tentatives pour maintenir la valeur donnée au travail, et que la nécessité d’en disputer le prix avec le capitaliste est en connexion avec la condition  qui l’oblige à se vendre (i.e. la classe ouvrière) elle-même comme une marchandise.  Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d’entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure.  En même temps, et tout à fait en dehors de l’asservissement général qu’implique le régime du salariat, les ouvriers ne doivent pas s’exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne.  Ils ne doivent pas oublier qu’ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets, qu’ils ne peuvent que retenir le mouvement descendant, mais non en changer la direction.  Ils ne doivent donc pas se laisser absorber exclusivement par ces escarmouches inévitables que font naître sans cesse les empiétements ininterrompus du capital  ou les variations du marché. (…)

Les trade-unions agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital.  Elles manquent en partie leur but dès qu’elles font un emploi peu judicieux de leur puissance.  Elles manquent entièrement leur but dès qu’elles se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps  à sa transformation et de se servir de leur propre force organisée comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse, c’est-à-dire pour l’abolition du salariat (i.e. au-delà d’une rémunération au sein d’un régime nouveau, le socialisme, -ndlr). »[2]

Finalement, nous avons pour preuve de cette bataille édulcorée, l’éditorial de la dernière livraison du journal syndical Le  Monde Ouvrier où on peut lire : « Ces luttes ne s’inscrivent pas dans le cadre des relations de travail traditionnelles, mais plutôt dans le cadre d’une action politique non partisane (sic), mais porteuse de notre projet de société. (…)

Le programme d’austérité du gouvernement libéral fait mal à l’emploi et a freiné la croissance économique.  Les moyens pour atteindre la promesse de 250 000 emplois demeurent pour le moment insuffisants. Nous allons continuer d’intervenir pour exiger un véritable dialogue social (sic). Nous sommes convaincus que c’est par la mise en place de véritables lieux de concertation que nous pourrons trouver des solutions viables  pour l’emploi et pour une transition juste pour les travailleurs et travailleuses. (…)

(Pourtant, le diagnostic est juste) : Les inégalités sociales augmentent, les droits des travailleurs et travailleuses reculent, les systèmes écologiques sont fragilisés, les emplois se précarisent, le filet social se désagrège, l’économie répond de moins en moins aux besoins humains.  C’est à nous d’y voir, de rester mobilisés et de provoquer les changements souhaits. »[3]

La position du patronat, elle, est claire.  « Voyant la campagne en faveur du salaire minimum à 15$ prendre de l’ampleur au Québec, des représentants d’employeurs fourbissent leurs armes, de crainte que le gouvernement soit tenté de céder aux pressions.  La Fédération canadienne de l’entreprise  indépendante (FCEI) a lancé une pétition sur la question et une campagne de lettres adressées à la ministre du Travail, Dominique Vien.  En entrevue… la vice-présidente principale de la FCEI, Martine Hébert, a insisté sur le fait que même étalée sur plusieurs années, une majoration de 10,75$ à 15$ l’heure reste ‘une hausse de 40 cents’.  ET une telle augmentation, même sur quelques années ‘ ne sera pas sans conséquences’ sur les emplois ou les heures de travail… »[4]

Retour à Marx : « À la surface de la société bourgeoise, la rétribution du travailleur se représente comme le salaire du travail : tant d’argent payé pour tant de travail.  Le travail lui-même est donc traité comme une marchandise dont les prix courants oscillent au-dessus ou au-dessous de sa valeur.  Mais qu’est-ce que la valeur?  La forme objective du travail social dépensé dans la production d’une  marchandise.  Et comment mesure la grandeur de valeur d’une marchandise?  Par la quantité de travail qu’elle contient. »[5]

« Ce qui sur le marché fait directement vis-à-vis au capitaliste, ce n’est pas le travail, mais le travailleur.  Ce que celui-ci vend, c’est lui-même, sa force de travail. Dès qu’il commence à mettre cette force en mouvement, à travailler, dès que son travail existe, ce travail a déjà cessé de lui appartenir et ne peut plus désormais être vendu par lui.  Le travail est la substance et la mesure inhérente des valeurs, mais il n’a lui même aucune valeur  (c). (page 579)

« Le salaire revêt à son tour des formes très variées… La vente de la force de travail a toujours lieu, comme on s’en souvient, pour une période de temps déterminée. La forme apparente sous laquelle se présente la valeur soit journalière,  hebdomadaire ou annuelle, de la force de travail est donc en premier lieu celle du salaire au temps, c’est-à-dire du salaire à la journée, à la semaine, etc.  La somme d’argent (a) que l’ouvrier reçoit pour son travail du jour, de la semaine, etc., forme le montant de son salaire nominal ou estimé en valeur. Mails il est clair que, suivant la longueur de sa journée ou suivant la quantité de travail livré par lui chaque jour, le même salaire quotidien, hebdomadaire, etc. peut représenter un prix du travail très différent, c’est-à-dire des sommes d’argent très différentes payées pour un même quantum de travail. (b)  Quand il s’agit du salaire au temps, il faut donc distinguer de nouveau entre le montant total du salaire quotidien, hebdomadaire, etc. et le prix du travail. (…)

Le capitaliste peut maintenant extorquer à l’ouvrier un certain quantum de surtravail sans lui accorder le temps de travail nécessaire à son entretien.  Il peut anéantir toute régularité d’occupation et faire alterner arbitrairement, suivant sa commodité et ses intérêts du moment, le plus énorme excès de travail avec un chômage partiel ou complet. Il peut sous le prétexte de payer le prix normal du travail’ prolonger démesurément la journée sans accorder au travailleur la moindre compensation. »[6]

« Mais la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui lui apportent la mort; elle a aussi engendré les hommes qui porteront ces armes – les ouvriers modernes, les prolétaires. Dans la mesure même où se développe la bourgeoisie, c’est-à-dire le capital, se développe le prolétariat, la classe des ouvriers modernes qui ne vivent que tant qu’ils trouvent du travail et qui n’en trouvent que tant que leur travail augmente le capital.  Ces ouvriers, obligés de se vendre par portions successives, sont une marchandise comme tout autre article du commerce et sont donc exposés de la même manière à tous les aléas de la concurrence, à toutes les fluctuations du marché. L’extension du machinisme et la division du travail ont fait perdre au travail des prolétaires tout caractère indépendant et par suite tout attrait pour l’ouvrier.  Celui-ci n’est plus qu’un accessoire de la machine et  l’on n’exige de lui que le geste le plus simple, le plus monotone, le plus facile à apprendre. »[7]

« Il faudrait donc dire que nulle part les machines ne sont employées aussi volontiers qu’en U.R.S.S., puisqu’elles économisent du travail à la société et allègent la peine des hommes.  Et comme le chômage n’existe pas en U.R.S.S., les ouvriers emploient très volontiers les machines dans l’économie nationale.  Quand on parle de la situation matérielle de la classe ouvrière, on pense d’habitude aux ouvriers occupés, et l’on ne tient pas compte de la situation matérielle de ce qu’on appelle l’armée de réserve, l’armée des chômeurs.  Une telle façon de traiter la situation matérielle de la classe ouvrière est-elle juste?  Je pense que non.  Si les chômeurs forment une armée de réserve, dont les membres n’ont pas de quoi vivre, sinon de la vente de leur force de travail, les chômeurs doivent forcément faire partie de la  classe ouvrière; mais alors leur situation misérable ne peut qu’influer sur la situation matérielle des ouvriers occupés.  Je pense donc qu’en définissant la situation matérielle de la classe ouvrière dans les pays capitalistes, il faudrait tenir compte aussi de la situation de l’armée de réserve des sans-travail. »[8]



[1] Marx, Karl, Salaire, prix et profit, Œuvres choisies, tome 2, Éditions du Progrès, Moscou, 1978, pages 31-33
[2] Ibidem, pages 75-76
[3] Éditorial, L’action politique pour défendre notre projet de société, Le Monde Ouvrier, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, Montréal, no. 117, septembre-octobre 2016, page 3
[4] La Presse canadienne, Les employeurs préparent leur riposte, Métro, mercredi 12 octobre 2016, page 12
[5] Marx, Karl, Le Capital, Livre I, Gallimard, Paris, 1968, page 577
[6] Ibidem, Le Capital, pages 579-590
[7] Marx, Karl; Engels, Friedrich, Le Manifeste du Parti communiste, Flammarion, Paris, 2008, pages 236-237
[8] Staline, J., Les problèmes économiques du socialisme en U.R.S.S., www.marxisme,fr, Édition électronique réalisée par Vincent Gouysse à partir de l’ouvrage publié en 1974 aux Éditions en langues étrangères, Pékin, page 21

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