mardi 8 novembre 2016


Les Lumières

Ils ont appelé la grande Révolution française de 1789, voire porté l’enfant tant désiré

 

Daniel Paquet                                                                                                 dpaquet1871@gmail.com

In English :     Communist News                                                                               www.dpaquet1871.blogspot.com

 

Oh là, je  vois qu’il y en a plusieurs qui bougent sur leur strapontin.  Il n’est pas ici question de vous rappeler  une vague facture d’Hydro-Québec égarée on ne sait trop où; ou encore de vous faire dire : que le paiement est « dans la malle », monsieur le percepteur des comptes en souffrance!

Parlant de cette période, alors que nos ancêtres « Canayens » s’enracinaient dans leur nouvelle patrie, c’était et c’est tout ce que l’on a retenu de l’Histoire, que  Voltaire aurait dit qu’il était stupide de se battre pour quelques arpents de neige, en se référant au  Canada, alors la Nouvelle-France ; nous étions  à l’époque de la guerre opposant l’Angleterre à la France.  Voltaire était un homme d’une rare intelligence ; il est navrant qu’on veuille dénigrer ses propos qui dénonçaient  une guerre fratricide mobilisant des ressources financières  énormes pour un territoire qui ne semblait pas valoir beaucoup.  Somme toute, il avait le droit de se tromper, après tout!

MONTESQUIEU

Cent ans avant la Révolution française naquit au château de la Brède Charles-Louis de Secondat dit Montesquieu (18 janvier  1689).  À l’âge adulte, il a refusé,  par crainte de redite, d’écrire des articles politiques pour l’Encyclopédie, mais il remanie pour celle-ci son Essai sur le goût  de 1726.  Nous sommes toujours à l’époque de la monarchie absolue en France ; il écrit : « l’amour de la république, dans une démocratie, est celui de la démocratie ; l’amour de la démocratie est celui de l’égalité.  L’amour de la démocratie est encore l’amour  de la frugalité. Chacun devant y avoir le même bonheur et les mêmes avantages, y doit goûter les  mêmes plaisirs et former les mêmes espérances ; choses qu’on ne peut attendre que de la frugalité  générale. (C’était avant l’ère de la production de masse résultant du capitalisme industriel, -ndlr).  L’amour de l’égalité, dans une démocratie, borne l’ambition au seul désir, au seul bonheur de rendre  à sa patrie de plus grands services que les autres citoyens.  Ils ne peuvent pas lui rendre tous des services égaux ; mais ils doivent tous également lui en rendre.  En naissant, on contracte envers elle   une dette immense dot on ne peut jamais s’acquitter. »[1]

Il ajoutera : « Il est vrai que lorsque la démocratie est fondée sur le commerce, il peut fort bien arriver que des particuliers y aient de grandes richesses, et que les mœurs n’y soient pas corrompues.  C’est que l’esprit de commerce entraîne avec soi celui de frugalité, d’économie, de modération, de travail, de sagesse, de tranquillité, d’ordre et  de règle.  Ainsi, tandis que cet esprit subsiste, les richesses qu’il produit n’ont aucun mauvais effet.  Le mal arrive, lorsque l‘excès des richesses détruit cet esprit de commerce ; on voit tout à coup naître les désordres de l’inégalité, qui ne s’étaient pas encore fait sentir. »[2]

« …dans les démocraties le peuple paraît faire ce qu’il veut ; mais la liberté politique ne consiste point  faire ce que l’on veut.  Dans un État, c’est-à-dire dans  une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir.  Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté.  La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent : et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tout de  même ce pouvoir. »[3]

Montesquieu meurt le 10 février 1755 ; Diderot est le seul écrivain connu à suivre son convoi, mais Rousseau écrit quelque jours plus tard : ‘C’est à ceux qui ont une patrie et qui l’aiment  à pleurer ce grand homme.’ 

DIDEROT

Parlant de Diderot, il entre (en 1746), avec d’Alembert, dans le comité rédacteur de l’Encyclopédie dont ils prendront la direction l’année suivante.  Très avant-gardiste pour l’époque, Diderot publie sa Lettre sur les aveugles, où il joint à une étude de la psychologie des aveugles-nés une déclaration assez peu équivoque d’athéisme ; il va correspondre avec Voltaire et s’efforcer d’atténuer l’impression fâcheuse produite par l’athéisme de la Lettre. Le 24 juillet 1749, Diderot est arrêté et en prison, il lira Platon.  Quelques années plus tard, il se brouillera avec Jean-Jacques Rousseau (nous parleront de lui un peu plus loin). Le comte Shoucvalov, chambellan de Catherine II lui propose de terminer en  Russie l’Encyclopédie, mais Diderot refuse.  Malgré tout il vend sa bibliothèque  à celle-ci contre 15 00 livres (la monnaie) et une pension de cent pistoles ; on achève l’impression de l’Encyclopédie.

Au mois d’août 1769, il rédige l’essentiel des trois dialogues du  Rêve de d’Alembert ; alors que l’année suivante d’Holbach publie le Système de la nature.  En 1773, Diderot repart pour Saint-Pétersbourg ; en  1775, il écrit un Plan d’une Université pour la Russie et  un Essai sur les études en Russie, tous deux destinés à Catherine II.  Il travaille beaucoup et le plus souvent hors de Paris, notamment chez le baron d’Holbach.  Diderot  recevra 10 000 livres de Catherine II.  En 1784, il s’installe dans son bel appartement de la rue de Richelieu, mais meurt le 31 juillet de la  même année.

La pensée philosophique de Diderot n’était pas statique ;  il était un fin dialecticien : « Dans la goutte d’eau de Needham, tout s’exécute et se passe en un clin d’œil.  Dans le monde, le même phénomène dure un peu davantage ; mais qu’est ce que notre durée en comparaison de l’éternité des temps ? Moins que la goutte que j’ai prise avec la pointe d’une aiguille, en comparaison de l’espace illimité qui m’environne.  Suite indéfinie d’animalcules dans l’atome qui fermente, même suite indéfinie d’animalcules dans l’autre atome qu’on appelle la Terre.  Qui sait les races d’animaux qui nous ont précédés ? Qui sait les traces d’animaux qui succéderont  aux nôtres ?   Tout change, tout passe, il n’y a que le tout qui reste.  Le   monde commence et finit sans cesse ; il est à chaque instant à son commencement et à sa fin ; il n’en a jamais eu d’autres, et n’en aura jamais d’autres. ‘Dans cet immense océan de matière, pas une molécule qui ressemble à une molécule, pas une molécule qui se ressemble à elle-même un instant :  Rerum novus nascitur ordo, voilà son inscription éternelle… »[4]

JEAN-JACQUES ROUSSEAU

En 1712, naît  à Genève (en Suisse), Jean-Jacques Rousseau qui s’instruira seul par des lectures.  En 1742, il devient le secrétaire de M. De Montaigu avec qui se brouillera ; ce ne sera pas le seul d’ailleurs.  En 1749, d’Alembert le charge d’écrier les articles sur la musique dans l’Encyclopédie.  Il visite Diderot alors en prison.  Quelques années plus tard, il y aura brouille et réconciliation avec Diderot.  L’année d’après, la rupture est consommée.  En 1766, il quitte Paris en compagnie de Hume.  En fait, à l’arrivée d’un nouvel ambassadeur, Hume quitte Paris pour Londres, accompagné de Rousseau (‘chassé de la Suisse’ où il s’était réfugié après la condamnation de l’Émile), dont il fait faire le portrait par le peintre Ramsay.  Plusieurs incidents entraîneront la brouille des deux philosophes.  Hume laisse ses amis publier l’Exposé succinct de la contestation qui  s’est élevée entre M. Hume et M. Rousseau, ainsi qu’une version anglaise de cet exposé.  Nous reviendrons à Hume, terminons avec Rousseau qui était aussi doué musicalement, et créa notamment une nouvelle musique pour le Devin du village de  Gluck (auteur allemand).  Rousseau meurt le 2 juillet 1778.  Cinq ans après la révolution française, ses cendres seront transférées au Panthéon.  Il a couché les lignes suivantes marquées au sceau d’une grande perspicacité : « Tant que plusieurs hommes réunis se  considèrent comme un seul corps, ils n’ont qu’une seule volonté qui se rapporte à la commune   conservation, et au bien-être général.  Alors tous les ressorts de l’État sont vigoureux et simples, ses maximes sont claires set lumineuses, il n’a point d’intérêts embrouillés, contradictoires, le bien commun se  montre partout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour être  aperçu  (Karl Marx et Friedrich Engels auront aussi cette attitude en jugeant l’intelligibilité et la logique de leurs arguments inexpugnables pour rallier les hommes de bonne volonté  à la cause du communisme, entre autres  dans le Manifeste du Parti communiste,-ndlr).

La paix, l’union, l’égalité, sont ennemies de subtilités politiques.  Les hommes droits et simples sont difficiles à tromper  à cause de leur simplicité, les leurres, les prétextes raffinés ne leur en imposent point ; ils ne sont pas même assez  fins pour être dupes.  Quand on voit chez le plus heureux peuple du monde des troupes de paysans régler les affaires de l’État sous un chêne et se conduire toujours sagement, peut-on s’empêcher de mépriser les raffinements des autres nations, qui se rendent illustres et misérables avec tant d’art et de  mystères ?   Un  État ainsi gouverné a besoin de très peu de Lois et à  mesure qu’il devient nécessaire d’en promulguer de  nouvelles, cette nécessité se voit universellement.  Le premier qui les propose ne fait que dire ce que tous ont déjà senti, et il n’est question ni de brigues ni d’éloquence pour faire passer en loi ce que chacun a déjà  résolu de faire, sitôt qu’il sera sûr que les autres le feront comme lui. »[5]

DAVID HUME

C’est en 1711 que naît David Hume (Home à l’origine), à Édimbourg (en Écosse).  À 50 ans (après une longue et brillante carrière au Royaume-Uni), il établira une correspondance avec la comtesse de Boufflers, maîtresse du Prince de Conti dont elle anime, au palais du Temple, le salon, amie de Rousseau et bien sûr admiratrice de Hume.  Deux ans plus tard, il devient le secrétaire privé de Lord Herford, nommé ambassadeur en France (après le Traité de Paris mettant fin à la guerre de Sept Ans.  C’est ce traité qui livra la Nouvelle-France (le Canada) à la couronne britannique.  Lorsqu’il arrive à Paris, Hume est accueilli chaleureusement et il se lie avec les Encyclopédistes: d’Alembert, Diderot, Helvétius, d’Holbach, Turgot, etc.

On commentera ses essais dans les salons parisiens et il sera comblé.  Son goût pour le travail d’écriture, ses préoccupations littéraires les plus précises, dont  son souci d’éliminer de son style les tournures typiquement écossaises, dont il dresse une liste destinée à son propre usage plutôt qu’à la publication, trouvent leur comte dans la composition d’essais.  Il a d’ailleurs colligé ses propres constatations : « l’esprit humain est naturellement formé de manière à ressentir  un sentiment d’approbation ou de blâme  à l’apparition de certains caractères, de certaines dispositions et actions ; il n’y a pas d’émotions plus essentielles   à sa structure et à sa constitution.  Les caractères qui s’attirent notre approbation sont surtout ceux qui contribuent à la paix et à la sécurité de la société humaine ; les caractères qui éveillent le blâme sont surtout ceux qui tendent  à nuire à la société et  à la troubler ; on peut raisonnablement en présumer que les sentiments moraux naissent, soit médiatement, soit immédiatement, d’une réflexion sur ces intérêts opposés.   Qu’importe que des méditations philosophiques établissent une opinion ou une conjecture différente, à savoir que toute chose est  bonne à l’égard du tout et que les qualités qui troublent la société  sont, dans l’ensemble, aussi bienfaisantes et sont aussi conformes  à l’intention primitive de la nature que celles  qui accroissent plus directement son  bonheur et son bien-être? »[6]

LE BARON D’HOLBACH

Moins connu que Rousseau et Diderot, ou encore Voltaire ; le Baron d’Holbach a écrit et réfléchi sur les tares de son époque, et n’a pas manqué de vilipender  et même de peindre à grands traits caricaturaux le comportement des gens de son rang dans l’aréopage ; i.e. la Cour, soit  le lieu de prédilection des aigrefins de l’époque ;  et aussi l’observatoire du roi pour avoir toujours un œil sur ses sujets immédiats, l’aristocratie française.  C’était ainsi au Château de Versailles, toujours près de Paris où des gens « bien » avaient leur hôtel particulier et leur salon conséquemment.

« L’homme de Cour est sans contredit la production la plus curieuse que montre l’espèce humaine.  C’est un animal amphibie dans lequel tous les contrastes se trouvent communément rassemblés. (…) Il faut avouer qu’un animal si étranger est difficile à définir ; loin d’être connu des autres, il peut à peine se connaître lui-même ; cependant il paraît que, tout bien considéré, on peut le ranger dans la classe des hommes, avec cette différence néanmoins que les hommes ordinaires n’ont qu’une  âme, au lieu que l’homme de Cour paraît sensiblement en avoir plusieurs.  En effet, un courtisan est tantôt insolent et tantôt bas ; tantôt de l’avarice la plus sordide et de l’avidité la plus insatiable, tantôt de la plus extrême prodigalité, tantôt de l’audace la plus décidée, tantôt de la plus honteuse lâcheté, tantôt de l’arrogance la plus impertinente, et tantôt de la politesse la pus étudiée ; en un mot c’est un Protée, un Janus, ou plutôt un Dieu de l’Inde qu’on représente avec sept faces différentes.

Quoi qu’il en soit, c’est pour ces animaux si rares que les Nations paraissent faites ; la Providence les destine  à leurs menus plaisirs ; le Souverain lui-même n’est que leur homme d’affaires ; quand il fait son devoir, il n’a d’autre emploi que de songer  à  contenter leurs besoins, à satisfaire leurs fantaisies ; trop heureux de travailler pour ces hommes nécessaires dont l’État ne peut se passer.   Ce n’est que pour leur intérêt qu’un Monarque doit lever des impôts, faire la paix ou la guerre, imaginer mille inventions ingénieuses pour tourmenter et soutirer ses peuples.  En échange de ces soins, les courtisans reconnaissants payent le Monarque en complaisances, en  assiduités, en flatteries, en bassesses, et le talent de troquer contre des grâces ces importantes marchandises est celui qui sans doute est le plus utile à la cour. »[7]

KARL MARX ET FRIEDRICH ENGELS

Quelques décennies plus tard, deux jeunes philosophes allemands refont le chemin des courants de pensée (surtout français) qui ont nourri le XVIIIe siècle et fourni un argumentaire de taille aux révolutionnaires français qui ont brisé la féodalité et la monarchie en France, avec comme toile de fond l’impétueux développement industriel et commercial qui s’annonçait en Europe (d’abord en Angleterre, mais d’autres métropoles suivirent bientôt).  Ce qui change la donne et surtout fournit un nouveau cadre à la question soulevée par  Aristote et à son tour Diderot sur le matérialisme.

« Autrement dit,  on ne part pas de ce que les hommes disent, s’imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu’ils sont dans les paroles, la pensée, l’imagination et la représentation d’autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os ; non, on part des hommes dans leur activité réelle, c’est à partir de leur processus de vie réel que l’on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital.   Et même les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle  que l’on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles.  De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l’idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d’autonomie.  Elles n’ont pas d’histoire, elles n’ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et les produits de leur  pensée.  Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience.  Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l’individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond   à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l’on considère la conscience  uniquement comme leur conscience. »[8]

La production industrielle et son caractère révolutionnaire a entraîné des changements   profonds dans le rapport d’un producteur vis-à-vis un autre producteur avec qui il entre en relation par la médication du marché.  « En général, des objets d’utilité ne deviennent des marchandises que parce qu’ils sont les produits de travaux privés, exécutés indépendamment les uns des autres. (…)  Le double caractère social des travaux privés ne se réfléchit dans le cerveau des producteurs que sous la forme que leur imprime le commerce pratique, l’échange des produits.  Lorsque les producteurs mettent en présence et en rapport les produits de leur travail  à titre  de valeurs, ce n’est pas  qu’ils voient en eux  une simple enveloppe sous laquelle est caché un travail humain identique, tout au contraire : en réputant égaux dans l’échange leurs produits  différents, ils établissent par le fait que leurs différents travaux sont égaux. »[9]

Mais revenons sur le terrain de la philosophie : « L’homme cultivé, en effet, se montre en n’exigeant dans chaque genre de recherche que le degré de précision compatible avec la nature du sujet.  Faute  de quoi on s’exposerait  à attendre d’un mathématicien des arguments simplement persuasifs et d’un orateur des démonstrations probantes.  Chacun juge bien de ce qu’il sait; là il se montre bon juge.  Ainsi quand on est instruit sur un sujet particulier, on en parlera avec compétence ; pour traiter d’une question d’ensemble, il faut avoir une culture générale.  Pour cette raison, le jeune homme est peu apte à étudier la science politique, car il manque d’expérience su r la pratique de la vie. »[10]

Après Aristote, c’est à Friedrich Engels que nous laissons le soin de conclure ce court, trop cour peut-être, exposé sur  l’idéalisme et le matérialisme.  « La question du rapport de la pensée à l’être, de l’esprit à la nature, question suprême de toute philosophie, a par conséquent, tout comme n’importe quelle religion, ses racines dans les conceptions bornées et ignorantes de l’état de sauvagerie.  Mais elle ne pouvait être posée dans toute sa rigueur et ne pouvait acquérir tout son sens que lorsque la société européenne se réveilla du long sommeil hivernal du moyen âge chrétien. (…) Selon qu’ils répondaient de telle  ou telle façon à cette question, les philosophes se divisaient en deux grands camps.  Ceux qui affirmaient le caractère primordial de l’esprit par rapport à la nature, et qui admettaient par conséquent, en dernière instance, une création du monde de quelque espèce que ce fût – et cette création est souvent chez les philosophes, par exemple chez Hegel, beaucoup plus compliquée et plus impossible encore que dans le christianisme - , ceux-là formaient le camp de l’idéalisme. Les autres, qui considéraient la nature comme l’élément primordial, appartenaient aux différentes écoles du matérialisme. »[11] 

« … l’idée que le monde matériel, perceptible par les sens, auquel nous appartenons no us-mêmes, est la seule réalité, et que notre conscience et notre pensée, si transcendantes qu’elles nous paraissent, ne sont que les produits d’un organe matériel, corporel, le cerveau.  La matière n’est pas un produit de l’esprit, mais l’esprit n’est lui-même que le produit le plus élevé de la matière. »[12]

« … on ne saurait éviter que tout ce qui met les hommes en mouvement passe nécessairement par leur cerveau, - même le manger et le boire, qui commencent par une sensation de faim et de soif, éprouvée par l’intermédiaire du cerveau, et se terminent par une impression de satiété, ressentie également par l’intermédiaire du cerveau.  Les répercussions du  monde extérieur sur l’homme s’expriment dans son cerveau, s’y reflètent sous forme de sentiments, de pensées, d’instincts, de volontés, bref, sous forme de ’tendances idéales’, et deviennent sous  cette forme des ‘puissances idéales’  exercer de l’influence sur lui, - si cela suffit pour faire de lui un idéaliste, tout homme quelque peu normalement constitué est un idéaliste-né et, dans ce cas, comment peut-il somme toute y avoir encore des matérialistes ? (…) Les matérialistes français, tout autant que les déistes Voltaire et Rousseau, avaient cette conviction  à un point tel qu’elle frisait le fanatisme, et plus d ‘une fois ils se sacrifièrent pour elle.  Si jamais quelqu’un consacra toute sa vie à  ‘l’amour de la vérité et du droit’ – la phrase étant prise dans son bon sens – ce fut, par exemple Diderot. »[13]

 

 

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[1] Montesquieu, De l’esprit des lois, Éditions sociales, Les classiques du peuple, Paris, 1977, page 70
[2] Ibidem, De l’esprit des lois, page 72
[3] Ibidem, De l’esprit des lois, page 117
[4] Diderot, Entretien entre d’Alembert et Diderot; Le rêve de d’Alembert; Suite de l’entretien, Garnier Flammarion, Paris, 1965, page 82
[5] Rousseau, Jean-Jacques, Du Contrat social, Librairie Larousse, Paris, 1973, pages 90-91
[6] Hume, David, Enquête sur l’entendement humain, GF Flammarion, Paris, 2006, page 171
[7] Baron  d’Holbach, Essai sur l’art de ramper, à l’usage des courtisans et autres conseils des classiques pour survivre en politique, Librio, Paris, 2014, page 7
[8] Marx-Engels, l’Idéologie allemande, Éditions sociales, Paris, 1968, pages 36-37
[9] Marx, Karl, Le Capital, Livre I, Gallimard, Paris, 1968, pages 154, 155-156
[10] Aristote, Éthique de Nicomaque, Éditions Garnier Frères, Paris, 1961, page 7
[11] Engels, Friedrich, Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande, Éditions sociales, Paris, 1966, pages 26-27
[12] Ibidem, Ludwig Feuerbach, page 32
[13] Ibidem, Ludwig Feuerbach, pages 39-40

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