06Déc
quel plaisir de lire cet interview dans l’Humanité et de constater l’évolution de ce journal, et félicitations aux journalistes pour l’ensemble de cet interview . (note de danielle Bleitrach)
2016/12/05 | Par Marc de Miramon et Jérôme Skalski
Le linguiste et philosophe Noam Chomsky, figure majeure du paysage intellectuel états-unien, nous a livré ses réflexions exclusives après la mort de Fidel Castro à l’occasion d’une rencontre dans les locaux de « l’Humanité » et de « l’Humanité Dimanche ».
« Les réactions à la mort de Fidel Castro diffèrent selon l’endroit du monde où vous vous trouvez. Par exemple, en Haïti ou en Afrique du Sud, c’était une figure très respectée, une icône, et sa disparition a suscité une grande émotion.
« Aux États-Unis, l’ambiance générale a été résumée par le premier titre du « New York Times », lequel indiquait en substance : « Le dictateur cubain est mort ». Par curiosité, j’ai jeté un oeil aux archives de ce journal pour voir combien de fois ils avaient qualifié le roi d’Arabie saoudite de « dictateur ». Sans surprise, il n’y avait aucune occurrence…
« Il y a également un silence absolu sur le rôle joué par les États-Unis à Cuba, la manière dont Washington a oeuvré pour nuire aux velléités d’indépendance de l’île et à son développement, dès la révolution survenue en janvier 1959. L’administration Eisenhower a tenté de renverser Castro, puis, sous celle de Kennedy, il y a eu l’invasion manquée de la baie des Cochons, suivie d’une campagne terroriste majeure.
« Des centaines, voire des milliers de personnes ont été assassinées avec la complicité de l’administration américaine et une guerre économique d’une sauvagerie extrême a été déclarée contre le régime de Fidel Castro. Cette opération, baptisée opération « Mangouste », a culminé en octobre 1962 et devait aboutir à un soulèvement à Cuba auquel Washington aurait apporté son appui.
« Mais en octobre 1962, Khrouchtchev a installé des missiles à Cuba, sans doute en partie pour contrecarrer l’opération « Mangouste » mais aussi pour compenser l’avantage militaire dont disposait l’armée américaine dans la guerre froide, conséquence du refus par Washington de l’offre de désarmement mutuel émise par Moscou. Ce fut sans doute le moment le plus dangereux de l’histoire de l’humanité.
« Personne ne se demande pourquoi Mandela, à peine libéré de prison, a rendu hommage à Fidel Castro.
« Dès la fin de la crise des missiles, Kennedy a relancé les opérations terroristes contre Cuba ainsi que la guerre économique, ce qui a eu des implications majeures sur les capacités de développement de Cuba.
« Imaginez ce que serait la situation aux États-Unis si, dans la foulée de son indépendance, une superpuissance avait infligé pareil traitement : jamais des institutions démocratiques n’auraient pu y prospérer.
« Tout cela a été omis lors de l’annonce de la mort de Fidel Castro. Autres omissions : pourquoi une personnalité aussi respectée que Nelson Mandela, à peine libérée de prison, a-t-elle rendu hommage à Fidel Castro en le remerciant de son aide pour la libération de son pays du joug de l’apartheid ?
« Pourquoi La Havane a-t-elle envoyé tant de médecins au chevet d’Haïti après le séisme de 2010 ?
« Le rayonnement et l’activisme international de cette petite île ont été stupéfiants, notamment lorsque l’Afrique du Sud a envahi l’Angola avec le soutien des États-Unis. Les soldats cubains y ont combattu les troupes de Pretoria quand les États-Unis faisaient partie des derniers pays au monde à soutenir l’apartheid.
« Sur le plan interne, à Cuba, il y avait certes une combinaison de répression, de violations des droits de l’homme, mais à quels niveaux ces abus étaient-ils liés aux attaques répétées venues de l’extérieur ? Il est difficile d’avoir un jugement clair sur cette question. Il faut également noter que le système de santé à Cuba s’est imposé comme l’un des plus efficaces de la planète, bien supérieur, par exemple, à celui que nous avons aux États-Unis.
« Et concernant les violations des droits de l’homme, ce qui s’y est produit de pire ces quinze dernières années a eu lieu à Guantanamo, dans la partie de l’île occupée par l’armée américaine, qui y a torturé des centaines de personnes dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». »
Cette entrevue fait partie d’un dossier de 28 pages paru dans « l’Humanité Dimanche » ( édition du 1er au 14 décembre 2016 ) à l’occasion du décès de Fidel Castro.
www.humanite.fr
« Les réactions à la mort de Fidel Castro diffèrent selon l’endroit du monde où vous vous trouvez. Par exemple, en Haïti ou en Afrique du Sud, c’était une figure très respectée, une icône, et sa disparition a suscité une grande émotion.
« Aux États-Unis, l’ambiance générale a été résumée par le premier titre du « New York Times », lequel indiquait en substance : « Le dictateur cubain est mort ». Par curiosité, j’ai jeté un oeil aux archives de ce journal pour voir combien de fois ils avaient qualifié le roi d’Arabie saoudite de « dictateur ». Sans surprise, il n’y avait aucune occurrence…
« Il y a également un silence absolu sur le rôle joué par les États-Unis à Cuba, la manière dont Washington a oeuvré pour nuire aux velléités d’indépendance de l’île et à son développement, dès la révolution survenue en janvier 1959. L’administration Eisenhower a tenté de renverser Castro, puis, sous celle de Kennedy, il y a eu l’invasion manquée de la baie des Cochons, suivie d’une campagne terroriste majeure.
« Des centaines, voire des milliers de personnes ont été assassinées avec la complicité de l’administration américaine et une guerre économique d’une sauvagerie extrême a été déclarée contre le régime de Fidel Castro. Cette opération, baptisée opération « Mangouste », a culminé en octobre 1962 et devait aboutir à un soulèvement à Cuba auquel Washington aurait apporté son appui.
« Mais en octobre 1962, Khrouchtchev a installé des missiles à Cuba, sans doute en partie pour contrecarrer l’opération « Mangouste » mais aussi pour compenser l’avantage militaire dont disposait l’armée américaine dans la guerre froide, conséquence du refus par Washington de l’offre de désarmement mutuel émise par Moscou. Ce fut sans doute le moment le plus dangereux de l’histoire de l’humanité.
« Personne ne se demande pourquoi Mandela, à peine libéré de prison, a rendu hommage à Fidel Castro.
« Dès la fin de la crise des missiles, Kennedy a relancé les opérations terroristes contre Cuba ainsi que la guerre économique, ce qui a eu des implications majeures sur les capacités de développement de Cuba.
« Imaginez ce que serait la situation aux États-Unis si, dans la foulée de son indépendance, une superpuissance avait infligé pareil traitement : jamais des institutions démocratiques n’auraient pu y prospérer.
« Tout cela a été omis lors de l’annonce de la mort de Fidel Castro. Autres omissions : pourquoi une personnalité aussi respectée que Nelson Mandela, à peine libérée de prison, a-t-elle rendu hommage à Fidel Castro en le remerciant de son aide pour la libération de son pays du joug de l’apartheid ?
« Pourquoi La Havane a-t-elle envoyé tant de médecins au chevet d’Haïti après le séisme de 2010 ?
« Le rayonnement et l’activisme international de cette petite île ont été stupéfiants, notamment lorsque l’Afrique du Sud a envahi l’Angola avec le soutien des États-Unis. Les soldats cubains y ont combattu les troupes de Pretoria quand les États-Unis faisaient partie des derniers pays au monde à soutenir l’apartheid.
« Sur le plan interne, à Cuba, il y avait certes une combinaison de répression, de violations des droits de l’homme, mais à quels niveaux ces abus étaient-ils liés aux attaques répétées venues de l’extérieur ? Il est difficile d’avoir un jugement clair sur cette question. Il faut également noter que le système de santé à Cuba s’est imposé comme l’un des plus efficaces de la planète, bien supérieur, par exemple, à celui que nous avons aux États-Unis.
« Et concernant les violations des droits de l’homme, ce qui s’y est produit de pire ces quinze dernières années a eu lieu à Guantanamo, dans la partie de l’île occupée par l’armée américaine, qui y a torturé des centaines de personnes dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme ». »
Cette entrevue fait partie d’un dossier de 28 pages paru dans « l’Humanité Dimanche » ( édition du 1er au 14 décembre 2016 ) à l’occasion du décès de Fidel Castro.
www.humanite.fr
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