samedi 28 janvier 2017

Alors que plusieurs rapports internationaux dénoncent les violences et les tortures infligées aux migrants en Libye, la Commission européenne s’apprête à offrir 200 millions d’euros à ce pays pour qu’il retienne les migrants sur son territoire et les empêche de rejoindre l’Europe.
La politique de l’Union européenne face à la crise des réfugiés et des migrants a le défaut de la constance. Après le tollé soulevé par l’accord passé entre l’Europe et la Turquie, la Commission européenne persiste et s’apprête à signer : c’est désormais avec la Libye qu’un accord du même type va être passé. Principe: l’Europe paie, et l’Etat sous-traitant s’engage à garder les migrants sur son territoire, et en tous cas, à les empêcher de rejoindre l’Europe. Moins archaïque que Trump et son mur avec le Mexique ( mais un roi du BTP sait-il faire autre chose que des murs ? ), L’Union européenne « délègue » à d’autres Etats contre monnaie sonnante : 3 milliards d’euros par an pour la Turquie jusqu’en 2018, la Libye recevra elle 200 millions pour commencer. A quoi vont servir ces financements ? Si l’on en croit le projet de la Commission européenne qui sera présenté le 3 février au cours de la réunion des chefs d’Etats à Malte, ils seront essentiellement destinés à améliorer la formation et l’équipement des garde-côtes libyens, et à multiplier les retours volontaires des migrants dans leurs pays d’origine. L’objectif est clair, il s’agit de freiner l’arrivée des migrants empruntant « la route de la Méditerranée centrale » qui est devenue aujourd’hui la voie principale des migrations vers l’Europe, celle qui, partant de tous les pays africains ravagés par la guerre ou la misère, converge vers la Libye. C’est en effet de ce pays que partent aujourd’hui 90% des personnes qui souhaitent rejoindre l’Europe. 181 000 migrants sont arrivés dans l’UE par cette « route » en 2016, selon la Commission, et plus de 5 000 d’entre eux y sont morts noyés au cours de la même année, le bilan le plus lourd jamais enregistré.
La libye, au bord de l'implosion
Si l’accord passé avec la Turquie en 2015 avait déjà suscité de très vives réactions de la part de nombreuses ONG et d’une majorité de députés européens dénonçant « l’accord de la honte », celui prévu avec la Libye provoque déjà le même tollé, et celui-ci ne peut que s’amplifier compte tenu de la situation chaotique que connaît le pays, rongé par la guerre civile et les affrontements entre bandes armées. Un Etat au bord de l’implosion, où la sécurité publique continue à se dégrader, et où le sort des migrants est la dernière des préoccupations. La députée européenne Barbara Spinelli ( GUE-GVN ) explique ainsi qu’un rapport récent de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye et du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, montre que « la dégradation du système de justice en Libye a conduit à un état d’impunité dans lequel les groupes armés, les bandes criminelles, les trafiquants et même les fonctionnaires publics, contrôlent les flux de migrants à travers le pays de manière absolument arbitraire et cruelle. » Ce même rapport décrit comment les migrants sont détenus arbitrairement dans des centres de détention -  dirigés principalement par le département de lutte contre la migration illégale – et soumis à la torture et autres mauvais traitements dégradants et inhumains. Malgré les recommandations du rapport - qui considère la Libye comme un pays peu sûr et rappelle qu’il n’a même pas souscrit à la Convention de Genève sur les réfugiés - les états membres de la Commission européenne sont donc disposés à renforcer la coopération de l’UE avec la Libye. « Cela va gravement à l’encontre , comme dans le cas de l’accord UE-Turquie, des droits des migrants que l’UE prétend aider, » conclut la députée italienne.
Car c’est bien au nom de l’aide à apporter aux migrants que l’UE justifie aujourd’hui l’accord qu’elle s’apprête à passer avec Tripoli. Mais lorsque l’on regarde en détail toutes les mesures dont les financements sont envisagés par l’UE, on s’aperçoit que tous vont dans le même sens : il s’agit d’empêcher les migrants d’atteindre les rives de l’Europe, et de tout mettre en place pour organiser leur retour à leur point de départ. Ce que le texte préparatoire à la rencontre des chefs d’Etats à Malte, appelle sans ambigüité « amplifier la réinstallation et promouvoir les retours volontaires aidés. »
Des voix s'élèvent à gauche
« Une fois de plus, explique la députée Eva Joly ( Verts-ALE ), la Commission donne la priorité au maintien en dehors de nos frontières des personnes qui doivent être protégées. Si elle voulait vraiment sauver des vies, elle chercherait d'abord à instaurer des voies d’accès légales et sécurisées vers l'Europe pour les réfugiés et s’assurerait de garantir un traitement humain des demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne. » Pour la députée Verte, l’Union européenne externalise ses responsabilités en matière d'accueil des réfugiés vers des pays comme la Libye, le Niger, l'Égypte, la Tunisie et l'Algérie, « tout en sachant que les réfugiés et migrants détenus en Lybie sont victimes de torture, de travail forcé, de violences sexuelles et d'autres violations des droits humains. » Eva Joly affirme donc que l’Union européenne ne peut consentir à un tel accord, « d’autant plus, ajoute-t-elle, que, comme pour la Turquie et l’Afghanistan, le Parlement européen n’a pas été consulté et n’est donc pas en mesure d’exercer son droit de contrôle démocratique. » La députée allemande Cornelia Ernst ( GUE-GVN ) parle elle aussi d’un « nouvel accord de la honte » pour empêcher les réfugiés de venir se mettre en sécurité en Europe, avec, pour résultat concret, que « d’avantage de réfugiés vont être enfermés en Afrique du Nord avec les risques élevés de torture, de viols et d’autres formes de mauvais traitements que cela suppose. » En termes légaux, explique-t-elle, cela revient à une inversion de la charge de la preuve pour les réfugiés qui devront désormais prouver que chaque pays traversé n’était pas sûr. Marie-Christine Vergiat ( GUE-GVN ) rappelle que pourtant, depuis des mois, toutes les organisations internationales et les ONG alertent sur la situation des migrants en Libye, et juge qu’il est « inacceptable que la Commission accepte de s’allier à un Etat défaillant qui est devenu un centre de trafic d’êtres humains. »
Crise des migrants : rien n'a changé
Si l’on ajoute la décision de la Commission européenne de prolonger pour une durée de trois mois les contrôles actuellement en place à certaines frontières intérieures de l’espace Schengen ( en Autriche, Allemagne, Danemark, Suède et Norvège, ) on constate que rien dans la politique de l’Union européenne vis-à-vis de la crise des migrants n’a changé, malgré les mises en garde de nombreuses ONG et de responsables politiques - y compris chez les conservateurs. Il s’agit toujours de renforcer les frontières de la citadelle Europe, en déléguant aux Etats extérieurs les moins respectables le soin de s’en charger. Une attitude qui lie par ailleurs les mains de Europe vis-à-vis de ses exécutants, quand il s’agit de dénoncer leurs exactions ou les atteintes aux droits de l’Homme dont ils se rendent coupables. On le constate avec la Turquie, Erdogan ne cessant depuis l’accord conclu avec l’Europe de menacer « d’ouvrir le robinet des réfugiés, » si l’Union européenne s’avise de lui faire des remontrances sur ses visées dictatoriales et sa répression aveugle contre les forces démocratiques. Situation des migrants toujours aussi dramatique, complicité de fait avec les régimes les plus douteux, voici donc les deux termes de l’accord perdant-perdant dans lequel semble se complaire la Commission européenne. La députée suédoise Malin Björk ( GUE-GVN ) parle elle d’une politique « tout simplement inacceptable, une politique inhumaine, incompatible avec le droit international. »

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