À la suite des heurts et affrontements de lundi à Bejaïa, la police a interpellé une centaine de jeunes manifestants. Après l’adoption d’une loi de finances 2017 aux allures de plan d’austérité, le pouvoir accuse les contestataires de vouloir « semer la zizanie » pour « déstabiliser le pays ».
Le calme est revenu, les transports en commun ont timidement repris le service, mais le sentiment de révolte contre les mesures d’austérité décidées à Alger reste intact. Hier, pour la deuxième journée consécutive, la plupart des commerces ont baissé le rideau à Béjaïa, la grande ville du littoral kabyle, à 180 kilomètres à l’est d’Alger. Lundi déjà, le mot d’ordre de grève générale, lancé sur les réseaux sociaux, amplifié par le bouche-à-oreille, avait été massivement suivi. Sans relais politique, ni syndical. Le même jour, une marche partie des quartiers populaires d’Ighil Ouazoug, des Ihaddaden et de la cité Remla a dégénéré aux abords du siège de la wilaya (l’équivalent de la préfecture), lorsque les forces de sécurité ont tenté de disperser les jeunes manifestants par des jets de grenades lacrymogènes. Les affrontements ont perduré jusque tard dans la soirée. L’agence BNP Paribas, le showroom d’appareils électroménagers Condor, le dépôt de la Société nationale des tabacs et allumettes (SNTA) et les locaux de la Direction de l’éducation ont été pris pour cibles par les émeutiers. Un bus et un camion de la police antiémeute ont été incendiés.
« Le pouvoir a coupé tous les canaux de discussion et de médiation »
D’autres villes de la wilaya étaient le théâtre de heurts, avec des commissariats caillassés à Tichy, Sidi Aïch et Tazmalt. Au total, une centaine de jeunes manifestants ont été interpellés et, dès lundi, les sections locales de la centrale syndicale UGTA ont multiplié les appels au calme. « Seul un cadre pacifique est en mesure de faire aboutir des revendications citoyennes toutes légitimes », affirmait de son côté la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Laddh), en appelant à « la vigilance ». Pour Saïd Salhi, son vice-président, le tour violent pris par les événements à Bejaïa était prévisible. « La responsabilité de ces émeutes revient d’abord au gouvernement, qui bâillonne la société civile, refuse de laisser les Algériens s’exprimer de façon libre et organisée. Le pouvoir a joué la carte de la dépolitisation, coupé tous les canaux de discussion et de médiation », regrette-t-il. Au centre de la contestation, les mesures d’austérité inscrites dans la loi de finances 2017, qui prévoit de sévères coupes dans les dépenses publiques, des taxes plus lourdes et des hausses des prix des carburants, de l’électricité, des produits de première nécessité. « Les Algériens sont attachés à la justice sociale. Pour surmonter la crise, ils sont prêts à consentir des efforts. Mais à condition qu’ils soient partagés. Or, l’austérité pèse sur les plus vulnérables, les chômeurs, les travailleurs, les classes moyennes. Pas sur ceux qui ont amassé des fortunes faciles par des moyens illégaux, ni sur les ministres au train de vie dispendieux », poursuit Saïd Salhi. Surtout, l’absence de cap politique alimente l’incertitude et la peur du lendemain. Avec la chute des cours des hydrocarbures, l’économie algérienne, très dépendante du gaz et du pétrole, connaît depuis deux ans un choc violent et durable. Conséquence du repli de 30 % des recettes d’hydrocarbures, les ressources du Fonds de régulation des recettes budgétaires (FRR), alimenté par l’épargne pétrolière, ont fondu, passant de 25,6 % du PIB en 2014 à 12,3 % en 2016. Et les scénarios, avec une prévision de croissance de 2,9 % en 2017, ne sont pas optimistes, malgré l’accord de réduction de la production conclu cet automne par les pays membres de l’Opep. En fait, en suivant les recommandations du FMI pour réduire son déficit budgétaire, (16,4 % du PIB), l’Algérie, faute de réformer son économie, entre à son tour dans le cercle vicieux de l’austérité. Choix périlleux, dans un pays aux besoins sociaux colossaux, où le taux de chômage des jeunes flirte, officiellement, avec les 30 %. Autant de défis qui restent sans réponses sérieuses : la semaine dernière, lors d’une intervention télévisée, le premier ministre, Abdelmalek Sellal, s’en remettait à la « baraka » et conseillait aux Algériens de consommer des oranges. Pour conjurer le spectre d’une vaste mobilisation sociale, le pouvoir joue surtout sur les peurs que suscite un contexte régional troublé. Hier, à Guelma, le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui, s’en est pris à « ceux qui veulent semer la zizanie au sein du peuple algérien », appelant même à « déjouer les tentatives de déstabilisation du pays ».
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