Une bonne tête sur les épaules
Daniel Paquet
C’est tout de même fascinant que de voir comment des
cerveaux peuvent disjoncter. Une
journée, certains sont heureux; quelques jours ou quelques heures plus tard,
ils deviennent colériques, sans motifs déterminés ou provocations très
blessantes… morales ou physiques.
Alors survient la riposte : un grave mutisme ou la gesticulation
violente. Attention, la violence est aussi
un moyen de protection ou de défense.
Ce n’est pas –toujours et ainsi- une désorganisation de la
personnalité. De plus, ce n’est pas vraiment et absolument un échappatoire.
La maladie suppose souvent que se dresse un miroir déformant
et une vision fantasmagorique. Le regard
sur soi ou l’autre (avec l’environnement ambiant – la Nature-, est instable et
incohérent).
La souffrance envahit.
Étant donné que le trouble a comme source – un tenant et un aboutissant
-, le cerveau; il est difficile d’en arriver à une pleine guérison. On peut seulement parler
de réhabilitation ou de rétablissement.
Pour en parvenir là, les recherches ont conduit à l’utilisation de
substances médicamenteuses (la fameuse molécule), et le discours assisté. Les deux approches peuvent être concomitantes;
et c’est le cas au Québec où l’espoir d’un « aller-mieux » passe par ce
chemin obligé.
Dans le cas des médicaments, c’est un parcours de tentatives
hésitantes : on y va, on recule, on
essaie de nouveau, etc. L’approche psycho-thérapeutique
est – et ça peut surprendre - très efficace.
Par exemple, il peut y avoir un flot de paroles du malade s’il fait
confiance au thérapeute; ce dernier délicatement fixe les balises. A l’issue d’une séance, le patient se souviendra
toujours plus de l’origine de ses malaises.
Et ça peut entraîner un grand soulagement, la satisfaction de la tâche
accomplie et toujours plus dans le temps qui se déroulera.
Rebâtir une personnalité, c’est comme le cube Rubik. Il n’y a pas de rythme précis, colligé dans
un calendrier. Ça peut aller plus ou
moins rapidement. Pensons à cette blague : « combien ça prend de psychiatre
pour changer une ampoule? Juste un, en
autant que l’ampoule veuille bien changer! »
Reconstruire l’individu suppose qu’on doive l’aider à
trouver (ou retrouver) un but dans la vie et à se fonder de(s) ou un
projet(s). Mais, c’est impérieux que le
sujet apprenne à se tourner vers l’autre, vers les autres, vers la société.
Il n’est pas un cobaye sans direction bien orientée. Il doit
apprendre à vivre avec des objectifs. Il
n’a pas à craindre d’emprunter des traits de caractère chez des membres de sa
famille, d’amis, de la société (théâtre, cinéma, etc.) en général et même des
soignants… en particulier. Ce n’est pas
un aveu de faiblesse, car on grandit avec les autres. On se nourrit des autres.
Personnellement, je crois que le discours idéologique de
gauche alimente la « réflexion » du patient. L’idéal serait que les partis politiques qui
se réclament de la gauche, comme le Parti communiste, contribuent activement à
briser les tabous qui gravitent autour de la maladie mentale.
Déjà, Frantz Fanon, médecin psychiatre, militant actif du Front
de Libération Nationale, lors de la guerre d’indépendance en Algérie, dans les
années 1950-1960, avait senti la nécessité de cette démarche.
Probablement, le médecin communiste canadien Norman Bethune,
qui s’est illustré lors de la guerre civile en Espagne aux côtés des
progressistes contre les forces fascistes du général Franco; et plus tard avec
Mao Zédong pour la libération de la Chine contre les nationalistes
réactionnaires de Tchang kaï-Chek.
Évidemment, le contexte est différent en Amérique du
Nord. D’abord, le principal courant
social et politique, c’est l’individualisme; alors que la philosophie triomphante
c’est le pragmatisme.
Qu’est-ce à dire?
C’est que l’entourage n’arrive pas toujours à détecter chez l’individu -
ou intervenir si possible -, sa déviance ou son dérapage. L’unique solution : s’emparer entre autres de la semaine
nationale pour la santé mentale afin d’initier des débats, inviter soignants et
soignés à bousculer l’omerta, la gêne et les fichus tabous. On doit parler ouvertement de la schizophrénie
(de la bi-polarité, etc.) comme on parle du cancer du sein ou du diabète.
Finalement, aimer le malade, c’est déjà le restituer dans
ses droits à un mieux-être et à la santé.
C’est enfin contribuer à ce qu’il soit pris en charge avant
qu’il ne commette – même si c’est loin d’être la majorité – un geste
irréparable.
Remercions donc tous ceux qui ont pris à bras le corps la
maladie; osons pour qu’elle devienne un jour, rien de plus qu’un souvenir
douloureux.
Daniel Paquet a été admis à l’Institut Philippe-Pinel de
Montréal en juillet 1981. Il a connu de
longues périodes de rémission, malgré un va-et-vient constant. Aujourd’hui, il a des amis et fréquente des centres
pour anciens patients, à Montréal. Il a
de même une formation universitaire en communications (journalisme).
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