"Les suprémacistes ont étendu leur sphère d’influence aux Etats-Unis"
Quel est le poids de cette idéologie aux Etats-Unis ? Entretien avec Farid Ameur, spécialiste du Ku Klux Klan.
Emile Boutelier
"La haine raciale a toujours existé en Amérique. Nous le savons, mais Donald Trump vient de la remettre à la mode !" En quelques mots, le roi du basket américain, LeBron James, a résumé mardi sur Twitter l’impact des propos du président Donald Trump après l’attaque suprémaciste de Charlottesville contre un mouvement anti-raciste.
En déclarant qu’"il y avait des gens bien des deux côtés", et donc en refusant de condamner le racisme, Donald Trump a révélé son rôle dans le retour en force des groupes d’ultra-droite américains. Et soulevé une vague d'indignation à travers le monde. Jamais au cours de ces dernières années l’idéologie raciste et réactionnaire de la supériorité de la "race blanche" n’avait eu autant le vent en poupe. Entretien avec Farid Ameur, historien spécialiste des Etats-Unis à l’université Paris I et auteur d’un ouvrage intitulé "Le Ku Klux Klan".Quelle a été la genèse du phénomène suprémaciste blanc aux Etats-Unis?
Il s’inscrit dans la longue histoire du racisme aux Etats-Unis. L’événement fondateur est la guerre de Sécession, l’American Civil War. Au printemps 1861, elle oppose une dizaine d’états du sud, dits "Confédérés", qui refusent l’abolition de l’esclavage, à l’"Union" abolitionniste des Etats du Nord. Après quatre ans de combats et 630.000 morts, la guerre reste une cicatrice profonde dans la mémoire des Américains. Nombre de Sudistes n’acceptent pas la défaite. L’occupation de certains Etats du Sud par l’armée nordiste pendant près de 10 ans et la proclamation de la loi martiale renforcent encore l’humiliation.
Quel est l’état des lieux du suprémacisme aujourd’hui ?
Les années 1970 marquent le début d’une nouvelle phase d’expansion du suprémacisme, marquée par plusieurs spécificités. Le chef du Ku Klux Klan d’alors, David Duke, œuvre à rassembler la nébuleuse de groupuscules suprémacistes blancs derrière l’objectif majeur qu’ils ont en commun : la défense de "la race blanche". Néo-nazis, gangs de skin-heads, survivalistes, congrégations de chrétiens intégristes, se joignent alors à une même croisade raciste, xénophobe et antisémite, menée au nom de "l’Amérique blanche". La nébuleuse suprémaciste est donc à la fois caractérisée par un extrême éclatement (il y a par exemple une quarantaine de courants différents parmi le Klu Klux Klan, le groupe le plus influent) et par des tentatives de mouvements centripètes. C’est le sens de la manifestation de ce weekend, intitulée "Unite the Right". En réalité, les tentatives d’unification ne réussissent jamais que temporairement, tant les variétés idéologiques de ces groupuscules sont nombreuses et la décentralisation de leurs institutions est forte. En exploitant des faits divers, en s’impliquant dans des débats de société comme l’immigration, la délinquance, le mariage homosexuel et l’avortement, les suprémacistes ont étendu leur sphère d’influence aux Etats-Unis.
Sont-ils nombreux ?
On entend de plus en plus parler des suprémacistes mais il ne faut pas surévaluer l’importance de ces mouvements. L’élection de Donald Trump, l’absence de législation prohibant l’expression du racisme aux Etats-Unis, de même que l’usage massif des réseaux sociaux, leur a permis d’être surreprésentés dans le champs politique américain. Leur éclatement rend très difficile toute tentative d’évaluer leur nombre, mais un rapport de l’ONG Anti-Defamation League, daté de 2007, dénombre –en donnant la fourchette haute - à 5.000 les membres du Ku Klux Klan et des groupes suprémacistes qui leur sont affiliés.
Sur une population de 320 millions, ce n’est finalement pas tant que ça. Ils font certes des actions coup de poing, sur le terrain - lorsqu’ils défilent en tenues de combat, fusils d’assaut en bandoulière - ou sur le plan symbolique - quand ils organisent des cotisations pour les frais de justice des policiers qui tuent des Noirs - mais c’est une minuscule minorité, plus bruyante et provocatrice que dangereuse. La violence de rue fait partie de leur ADN politique, mais ils ont rompu depuis longtemps avec la politique menée par les suprémacistes des années 1960 qui organisaient des attentats à la bombe ou à l’arme lourde contre des cibles civiles. Aujourd’hui, il faut moins craindre les démonstrations de force collectives que les attaques individuelles des loups solitaires : en juin 2015, un jeune suprémaciste blanc a par exemple tué neuf personnes dans un temple méthodiste noir à Charleston. Il y a une résurgence à craindre, mais elle n’est pas aussi apocalyptique que pourraient le laisser penser l’apparence des défilés.
Quel est le rôle de Donald Trump dans ce phénomène ?
Donald Trump porte les espoirs des suprémacistes. Il les galvanise. Il y a un an déjà, avant même qu’il soit élu, je disais que le phénomène Donald Trump était une aubaine pour le Ku Klux Klan et les groupes suprémacistes en général. Dans les meetings, on entendait des slogans comme "l’Amérique aux Américains" ou "Make America White Again". Les déçus de l’administration Obama, qui voyaient dans le président noir l’exemple de la victoire des autres "races" sur la "race" blanche, ont senti l’occasion venue de se faire entendre. L’ambiance semblait un écho des années 1920 et de l’apogée du Ku Klux Klan, période à laquelle les mêmes slogans (comme "America First") étaient déjà utilisés. Je ne suis donc pas du tout surpris par ces violences.
Trump mène un double-jeu. Il sait que beaucoup de suprémacistes ou de gens proches d’eux ont voté pour lui. Il ne veut pas les désavouer. Déjà, durant la campagne, Hillary Clinton avait reproché à Donald Trump d’avoir reçu le soutien de David Duke. En faisant mine de ne pas connaître l’homme, il avait refusé de le mettre à distance, et donc de condamner les courants suprémacistes. Ces derniers y ont vu une porte ouverte. Il ne faut cependant pas exagérer la capacité de l’Etat fédéral à influer sur des prises de décision locales relevant de chaque Etat. Le déboulonnage des statues, par exemple, relève des municipalités. La violence des néo-nazis naît aussi de cette confrontation entre les espoirs suscités par l’élection de Trump et l’indignation qu’ils ressentent face au développement, malgré lui, des idées progressistes.
Propos recueillis par Emile Boutelier
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L'avenir, c'est Frankenstein ?
Une minorité en fait, un peu comme les végans. sur représentés grâce à leurs entrée dans le monde des politiques et des journaleux et surtout qui n'ont pas peur de faire parler d'eux de manière violente...
Mais qui adule ce pays très étrange? Qui admet si bien que nous soyons intellectuellement colonisés par cette amérique fondamentalement puérile et violente? Nos zélites!
Gardons nous de jamais vraiment devenir comme eux. Restons Français! ou plutôt: redevenons-le!
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