Tandis que les supporters de l’équipe algérienne scandent “One, two, three - Viva l’Algérie”, des articles font remonter le slogan au FLN et à la guerre d’indépendance. En fait, aucune source ne permet d’étayer ce récit, qui reste révélateur d’une volonté, bien avérée, d’internationaliser la cause.
Alors que l’équipe nationale algérienne s’est hissée en finale de la Coupe d’Afrique des Nations et affronte ce vendredi 19 juillet le Sénégal, le slogan des Fennecs résonne de part et d’autre de la Méditerranée : “One, two, three - Viva l’Algérie !”. Vous pouvez trouver sur YouTube plusieurs versions chantées de ce qui passe pour l’hymne officiel de la sélection nationale algérienne :
En ligne toujours, vous tomberez rapidement sur plusieurs articles qui cherchent à dater l’origine du chant de supporters… et qui entretiennent ce qui, à ce jour, apparaît avant tout comme une légende urbaine aux historiens. Les premiers articles semblent remonter principalement à 2014. C’est à ce moment-là qu’on apprend (sur Slate) que “One, two, three - Viva l’Algérie” puiserait ses racines du côté du Front de libération nationale (FLN) pendant la guerre d’Algérie. 2014 est une année de Coupe du monde, et l’Algérie va jusqu’en huitième de finale (un match perdu 2-1 face à l’Allemagne, un 30 juin 2014). Et on lit que le “One, two, three” qu’on entend date “des années 50, à l’époque de la décolonisation”. Plus précisément quand “les partisans de l’indépendance algérienne décident d’internationaliser leur message” et de “se mettre à l’anglais”.
C'est ce “We want to be free” qui serait devenu, en une petit contraction, “Want to be free”... repris plus tard en “One, two, three” par des supporters des Fennecs. Apparemment un peu durs de la feuille, ils auraient confondu les mots mais conservé la sonorité du slogan d'origine. Et voilà l'idée de la naissance d'un slogan en anglais qui s'enracine - ce mercredi 17 juillet, le dernier article en date (dans Le Parisien) écrivait pour sa démonstration :
L’histoire est pourtant séduisante, et plusieurs articles ou notes de blog la reprennent. Qui citent souvent le même linguiste algérien déjà mentionné dans le premier article de Slate en 2014, Mohamed Benrabah, chercheur à l'université de Grenoble (dont le petit nombre d'exemplaires du livre en circulation dans les bibliothèques françaises peut faire penser que tout le monde ne l'a pas lu). Certains précisent que le slogan “faisait fureur dans de nombreuses manifestations” pendant la guerre d’Algérie ; d’autres qu’il faut attendre douze ans après l’indépendance et un match des Fennecs face au club anglais Sheffield United le 3 mai 1974 pour que le “Want to be free” se transforme en “One, two, three” un soir de triplé algérien sur la pelouse d’Oran. A moins que ce ne soit l’année suivante, en 1975, face à la France en finale de Jeux méditerranéens qui rejouait la guerre d’Algérie ? (sur la pelouse aussi, l’Algérie l’emporte)
Problème : historiographiquement, il semble bien n’y avoir sur ce “Want to be free” séminal… rien. Mais vraiment rien du tout en termes de sources. Aucune archive, aucun article, et aucune occurrence dans le moindre travail académique consacré à l'histoire de l’indépendance algérienne. Serait-ce un oubli, un angle mort, ou peut-être même, qui sait, le signe d’un mépris académique pour la culture populaire que charrie le foot ? En rouvrant cette bonne bande dessinée Un Maillot pour l’Algérie que Kris, Bertrand Galic (les scénaristes) et Javi Rey (l’illustrateur) consacraient en 2016 à l’incroyable histoire de la toute première sélection algérienne qui s’était montée en 1958 en pleine guerre de Libération, on ne trouve pourtant pas non plus la moindre apparition du slogan au détour d’une case. Or impossible de soupçonner ces auteurs-là de mépriser le football. Et l’album édité chez Dupuis (collection Aire libre) s’achève par des archives et un dossier signé du journaliste Gilles Rof, qui a rencontré plusieurs footballeurs à l’origine de cette épopée politico-sportive… et qui n’en disent rien non plus.
On ne trouve pas plus de trace d'un "We want to be free" à vocation internationale ciselé par le FLN dès la guerre d'Algérie dans Alger, capitale de la révolution publié en mai 2019 par Elaine Mokhtefi (à La Fabrique). Des mémoires dont l'objet est précisément de tramer la dimension internationale d'un combat - par exemple avec ce pont, que l'auteure incarne personnellement, entre FLN et Black Panthers.
C'est ce “We want to be free” qui serait devenu, en une petit contraction, “Want to be free”... repris plus tard en “One, two, three” par des supporters des Fennecs. Apparemment un peu durs de la feuille, ils auraient confondu les mots mais conservé la sonorité du slogan d'origine. Et voilà l'idée de la naissance d'un slogan en anglais qui s'enracine - ce mercredi 17 juillet, le dernier article en date (dans Le Parisien) écrivait pour sa démonstration :
On peut également noter certaines proximités phonétiques qui expliquent cette déformation, comme celles du "to" et du "two", ou encore celle du "free" avec le "three".On se pince un peu à imaginer Ferhat Abbas (Président du Gouvernement provisoire de la République algérienne), Ahmed Boumendjel ou Frantz Fanon en train de “se mettre à l’anglais” et d'inventer depuis Tunis, la base arrière du FLN, un slogan sur un coin de table ?
Problème : historiographiquement, il semble bien n’y avoir sur ce “Want to be free” séminal… rien. Mais vraiment rien du tout en termes de sources. Aucune archive, aucun article, et aucune occurrence dans le moindre travail académique consacré à l'histoire de l’indépendance algérienne. Serait-ce un oubli, un angle mort, ou peut-être même, qui sait, le signe d’un mépris académique pour la culture populaire que charrie le foot ? En rouvrant cette bonne bande dessinée Un Maillot pour l’Algérie que Kris, Bertrand Galic (les scénaristes) et Javi Rey (l’illustrateur) consacraient en 2016 à l’incroyable histoire de la toute première sélection algérienne qui s’était montée en 1958 en pleine guerre de Libération, on ne trouve pourtant pas non plus la moindre apparition du slogan au détour d’une case. Or impossible de soupçonner ces auteurs-là de mépriser le football. Et l’album édité chez Dupuis (collection Aire libre) s’achève par des archives et un dossier signé du journaliste Gilles Rof, qui a rencontré plusieurs footballeurs à l’origine de cette épopée politico-sportive… et qui n’en disent rien non plus.
On ne trouve pas plus de trace d'un "We want to be free" à vocation internationale ciselé par le FLN dès la guerre d'Algérie dans Alger, capitale de la révolution publié en mai 2019 par Elaine Mokhtefi (à La Fabrique). Des mémoires dont l'objet est précisément de tramer la dimension internationale d'un combat - par exemple avec ce pont, que l'auteure incarne personnellement, entre FLN et Black Panthers.
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